under the moon. (étape 2 / 7J)

J'me suis tiré de la maison dès qu'on a raccroché. Le fait de savoir que May nous avait un peu grillé m'a stressé et je préfère l'éviter pour l'instant. Je n'ai pas le temps de gérer ça, on doit se retrouver dans quelques heures avec Seven et faut que je garde mes forces pour ça - parce que putain, une soirée avec lui, ça demande pas mal ressources. Et je ne suis pas encore totalement remis de mon retour à Savannah. Il s'est passé beaucoup trop de choses dernièrement, j'ai encore du mal à tout traiter, tout assimiler. Et toute cette merde de chantage avec Seven n'aide en rien. Mais alors vraiment pas.

Je passe les heures en tournant en voiture en ville, je m'occupe comme je peux. Je m'achète des clopes, m'enfile une bière dans un bar random, regarde des flics courir après une bande de gosses latinos, roule encore, fume un peu, rebois une bière ailleurs, roule et roule, trompe l'ennui, tue le temps. Et enfin, il est 23h. J'arrête la voiture, me gare le long d'un trottoir et je viens me poser sur le capot de la voiture pour fumer une énième clope en ricanant un peu. Douce vengeance pour son dernier retard. J'aurais pas la patience de le faire mariner jusqu'à 3h du mat, mais connaissant la sienne de patience, trente minutes suffiront bien à faire l'affaire.

Les minutes s'écoulent et je me bouge uniquement lorsque mon portable affiche 23h31. Je retourne dans la voiture, claque violemment la portière, inspire un grand coup et me lance en direction de North End pour le récupérer devant cet endroit pourri que je déteste. The Safe Place, mon cul ouais. Je l'aperçois sur le trottoir, ralentis et m'arrête à sa hauteur. Je me penche au niveau du siège passager et ouvre la fenêtre, sourire de gosse coupable placardé sur la face. — Salut Cendrillon. Que je le raille sans trop articuler, ma clope coincée entre mes lèvres. Je lui fais signe de la tête de grimper dans la caisse pendant que je me redresse. Dès qu'il est dedans je relance la voiture et demande. — Bon, c'est où ton super coin là ? Cette soirée me fait vraiment chier. Encore plus que le coup des flics et pourtant ce soir c'est moins risqué. Mais l'idée de devoir me foutre à poil avec lui et de devoir nager dans une eau probablement glacée en pleine nuit me réjouis très moyennement - pas du tout en fait. Et j'me demande ce que sera l'étape d'après et ce qu'on pourrait bien faire pour arrêter tout ça. On a aucun indice, rien du tout, qui nous permettrait de nous retourner. On est comme deux cons, animaux pris au piège, et sans issue. Tout ça parce que Seven peut pas s'empêcher d'me rouler des pelles. Quel connard.

L'enfoiré. Les clopes s'enchaînent jusqu'à former un petit cimetière autour de lui, à mesure que les minutes s'égrainent. Il comprend peu à peu ce que JJ est en train de faire, alors que son « je t'attends bouge » envoyé à la va-vite reste sans réponse. C'est sûrement une façon de lui faire payer pour leur dernière petite virée, quand il est arrivé avec plusieurs heures de retard. Ça le fout en rogne, mais il ne peut rien faire d'autre qu'attendre.

Alors il attend.

Plus d'une demie-heure au total ; quel sale petit con. Et bien évidemment, quand JJ daigne enfin se ramener, il ne trouve rien de mieux à faire que d'aggraver son cas. – Salut Cendrillon. Les gestes de Seven sont rageurs quand il ouvre la portière puis la referme violemment, après s'être installé côté passager. – Ferme ta gueule. T'es en r'tard. Il tire la tronche, s'enfonçant dans le siège en croisant les bras contre son torse, un peu comme le ferait un sale gosse boudeur. – Bon, c'est où ton super coin là ? Il a bien envie de l'envoyer balader. À vrai dire, il aimerait juste sortir de la voiture et rentrer, ou peut-être aller se défoncer. Cette idée le fait grincer des dents alors qu'il finit par répondre d'un air revêche : – Roule, j'te dirai.

Tout le long du trajet, il se contente de lâcher des indications ici et là, manquant de s'engueuler avec JJ à plusieurs reprises parce que putain mais j't'avais dit de tourner là – non tu l'as pas dit – si je l'ai dit et ainsi de suite. Il est toujours aussi enfoncé dans son siège, à croire qu'il voudrait se faire avaler et disparaître. C'est peut-être un peu le cas. Ça serait toujours mieux que d'avoir à faire un nouveau défi avec JJ, surtout qu'il est encore pire que le premier. Il a les nerfs à vif rien qu'à l'idée de devoir prendre un bain de minuit avec lui. Sur la défensive, les jambes qui battent le sol frénétiquement, le ton trop sec ; tout en lui trahit son état d'agitation. Et même une fois arrivés à destination, il n'arrive pas à se calmer. – C'est bon gare-toi. Ils ont roulé un bon moment et se sont enfoncés sur des routes peu praticables, jusqu'à être loin de la ville et des gens. Rien d'autre que des arbres, de la terre boueuse, des graviers, et le lac. Il aimait venir là quand il était adolescent, seul ou à plusieurs, quand il avait besoin de voir autre chose que les rues crasseuses de Detroit. Ça l'emmerde un peu de souiller l'endroit avec JJ, mais il préfère être totalement sûr que personne ne les verra ce soir, quitte à ne plus jamais revenir ici ensuite.

La lune brille assez fort pour les éclairer, et il se dirige jusqu'aux abords du lac d'un pas raide, s'arrêtant à quelques mètres de l'eau. Il retire ses baskets et ses chaussettes, déjà trop pressé d'en finir. Et plus il regarde l'eau noire qui les attend, plus il maudit leur maître chanteur. Ils vont se les geler. – Fait chier. Il râle à voix basse, un frisson qui lui parcoure l'échine quand il ôte son sweat, l'air frais qui lui hérisse les poils. L'inscription sur le bas de son ventre a disparu, raturée salement à l'encre noire – il l'a fait lui-même dans une soirée pourrie où tout le monde manie le dermographe, dans le mépris le plus total des règles d'hygiène. C'est laid mais au moins, le nom de Meadbh n'est plus visible, et c'est tout ce qui lui importe. Il finit rapidement de se déshabiller, abandonnant ses fringues en petit tas. Ses mains viennent couvrir son entrejambe par réflexe alors qu'il se met en marche jusqu'au lac, le tout en évitant soigneusement de poser le regard sur JJ. La situation l'énerve autant qu'elle le met mal à l'aise ; pour ça qu'il veut que ça se termine le plus vite possible. Mais une fois arrivé dans l'eau, il trempe à peine les pieds dedans qu'il a déjà envie de faire demi-tour. – Nan mais on va crever d'hypothermie là. Putain de chantage à la con.

— Ferme ta gueule. T'es en r'tard. Il est énervé et ça me fait totalement plaisir - faut dire que c'était le but premier. Je souris, lui dévoile toutes mes dents, tout fier de moi. — J'sais, j'voulais pas t'dépayser. Que je raille, l'ayant toujours un peu mauvaise du presque-lapin qu'il m'avait posé la dernière fois. Il devrait plutôt s'estimer heureux que je ne débarque qu'avec trente minutes de retard au lieu de râler - comme toujours. Je m'élance et lui demande où on va, je ne récolte qu'une réponse vaseuse et ça me fait rouler des yeux. Je mets la musique pendant le trajet, mes doigts qui tapotent le volant au rythme des sons qui défilent et je n'écoute que d'une oreille les indications de Seven. De toute façon, ce con me les donne toujours au dernier moment. Il a déjà conduit ou merde ? Faut an-ti-ci-per. Bref, on perd un temps fou à rouler dans les mauvaises rues, on perd encore plus de temps à s'engueuler pour savoir qui a tort avant de finalement arriver à bon port. Les chemins sont peu praticables, on y voit que dalle et à tout moment je m'attend à voir surgir devant nous Freddy les griffes de la nuit ou j'sais pas quoi là, pour nous découper vivant. Sans déconner, c'est le décor parfait.

Je m'arrête là où il me dit, on descend de la voiture mais je ne coupe pas le moteur ni les phares. On voit vraiment rien du tout ici, les lumières de la ville sont loin et ne servent strictement à rien. Et déjà que de m'enfoncer dans de l'eau noire ça m'enchante pas vraiment, j'aime autant savoir au moins où je mets les pieds - c'est pas trop demander j'crois. On descend vers le bord de l'eau et je dois bien reconnaitre qu'il ne fait vraiment pas chaud. C'est quand même con qu'on ait pas fait ça en plein mois de juillet quand on crevait de chaud. Sans un mot on commence à se déshabiller chacun de notre côté et sur ce point, je crois que j'ai un petit avantage. J'en ai rien à foutre de la nudité, rien à foutre de mon corps. J'ai toujours été à l'aise avec ça, et le fait que ce soit Seven ne change rien. De toute façon, ma queue, il l'a déjà vue, on a plus rien à s'cacher. Je m'accroupis pour farfouiller dans mes poches pour récupérer mon téléphone. — Nan mais on va crever d'hypothermie là. Je l'attrape enfin et me relève tout en tournant la tête vers Seven. Je m'approche à grandes enjambées, toujours avec ma drôle de démarche habituelle. Quoi que je penche plus d'un côté que de l'autre cette fois, ma blessure au ventre peine à cicatriser - faut dire qu'elle était salement infectée - et ça joue en ma défaveur. Du coup, j'ai tendance à plus pencher de ce côté-là. A  l'aise, je lui passe devant pour venir enfoncer mes pieds dans l'eau. Putain ! Je serre les dents et manque de broyer ma clope au passage. La vache, il a raison, c'est glacé. — Ouais bah justement, dépêchons nous d'nager jusqu'à ce putain d'ilot à la con là, d'prendre la photo et d'se tirer avant de crever. Je me tourne vers lui, mes yeux qui glissent aussitôt vers son ventre, là où se trouvait le tatouage de May. Je tire sur ma clope avant de recracher nerveusement la fumée. — Sympa ton nouveau tatouage. Que je marmonne ironiquement. Ce que j'aime surtout, ce sont les marques restantes autour, trace de mon passage. Je ricane un peu et me dis que c'est quand même bien dommage de ne pas lui avoir troué le bide. Tant pis. Mes yeux se baissent encore sur son entre-jambe qu'il cache du mieux qu'il peut. Je hausse un sourcil et remonte les yeux jusqu'aux siens, moqueur. — T'es pudique Cendrillon ? Je me marre un peu avant de me détourner de lui et d'enclencher le mode vidéo de mon téléphone et d'y ajouter le flash pour qu'on puisse y avoir quelque chose. — Bon comme faut que j'filme toute la traversée et que j'peux pas nager à un bras et que j'risque de tremper le téléphone, va falloir que tu me tires jusqu'à là-bas. T'auras qu'à attraper une de mes chevilles. Comme ça, ça t'réchauffera. J'me marre de nouveau avant de m'élancer dans la flotte glacée. Je passe les mollets, les genoux, la moitié des cuisses. Et puis, j'arrive à une zone délicate. Bordel, quelle galère. Je me retourne pour voir où en est Seven et braque le téléphone et la lumière dans sa direction. — Fais coucou à la caméra. Que je lâche en me marrant. Quitte à passer une soirée de merde et à se transformer en glaçon, autant essayer de se dérider un peu. De toute façon, on est foutus pour le moment et j'ai pas envie de laisser les connards qui jouent avec nous me pourrir la vie à ce point. J'suis réputé pour mon optimisme, c'est pas ce soir que ça va changer. Enfin, j'suis pas certain que Seven connaisse la définition du mot optimisme, ou encore moins de s'amuser. J'suis vraiment pas aidé dans cette histoire.

– J'sais, j'voulais pas t'dépayser. Et en plus il est fier de lui, ce con. Seven ne prend pas la peine de répondre, parce qu'ils ont déjà perdu trop de temps à son goût, et parce que moins il communique avec JJ, mieux il se porte. Ça ne se finit jamais bien quand ils le font. Mais c'est justement ce qui finit par leur porter préjudice, parce que les indications sont mal données et mal comprises, rendant le trajet plus laborieux et tendu que nécessaire. Les nerfs de Seven sont plus aiguisés que jamais quand ils arrivent finalement à destination.

L'eau glacée n'arrange rien. Les pieds dedans, il râle, clairement contrarié à l'idée de devoir y plonger tout entier. – Ouais bah justement, dépêchons nous d'nager jusqu'à ce putain d'îlot à la con là, d'prendre la photo et d'se tirer avant de crever. Il jette une œillade en coin à JJ qui vient de le rejoindre, juste à temps pour le voir baisser les yeux sur lui. Sa mâchoire se crispe. – Sympa ton nouveau tatouage. L'ironie lui écorche les oreilles, parce que ça n'a rien de sympa. C'est même franchement moche et encore douloureux. Parce qu'il a tatoué sur sa peau abîmée, par-dessus les traces et griffures laissées par JJ, et que ça peine encore à cicatriser. – Ta gueule. Mais JJ n'a jamais su se taire. Et Seven se tend un peu plus en voyant que ses yeux glissent trop bas. – T'es pudique Cendrillon ? Leurs regards se croisent et il voudrait lui arracher son sale petit air moqueur. À défaut, il se contente de rétorquer avec virulence. – Pourquoi ? T'es déçu d'pas pouvoir mater, pédé ? Le ton est si méprisant qu'on dirait presque qu'il lui crache dessus. Mais c'est pour mieux tenter de camoufler son malaise, parce qu'il ne supporte pas de se retrouver nu avec JJ, seuls au milieu de nulle part. Peu importe qu'ils aient déjà tout vu l'un de l'autre – c'est trop intime à son goût et ça lui donne envie de s'arracher la peau.

– Bon comme faut que j'filme toute la traversée et que j'peux pas nager à un bras et que j'risque de tremper le téléphone, va falloir que tu me tires jusqu'à là-bas. T'auras qu'à attraper une de mes chevilles. Comme ça, ça t'réchauffera. Un rire incrédule lui échappe, parce qu'ils n'ont pas vraiment parlé du déroulement de la mission, et que JJ lui impose ça sans lui demander son avis. – Donc c'est à moi de m'taper tout l'boulot ? Tu te fous d'ma gueule ? Faut croire qu'il n'en a surtout rien à foutre, parce qu'il n'a pas l'air de l'écouter, trop occupé à avancer dans l'eau glaciale. Seven reste immobile, enregistrant encore l'information. Il n'a aucune envie de fournir tous les efforts, mais il a beau retourner la situation dans tous les sens, il voit pas d'alternative. La contrainte du portable complique tout. – P'tain. Il se retrouve soudainement éclairé par le flash de JJ, devinant que l'objectif est braqué sur lui. – Fais coucou à la caméra. Automatiquement, il brandit ses deux majeurs droit devant lui. Après coup, il réalise que ses mains ont donc quitté leur poste qu'il jugeait pourtant crucial, et il est si agacé par cet échec qu'il se met à avancer brusquement. La morsure du froid le crispe de la tête aux pieds, mais il continue, jusqu'à arriver à la hauteur de JJ, puis le dépasser. Il finit par s'allonger dans la flotte pour immerger son corps totalement. Mais il est allé trop vite – des tremblements agitent soudain sa carcasse alors qu'il se met à claquer des dents, pris d'un sale coup de froid. Ça l'empêche pas d'essayer de garder la face. – Allez b-bouge, j'ai p-pas qu'ça à f-foutre. Il trébuche un peu sur les mots et double certaines consonnes malgré lui, son élocution qui trahit à quel point le choc de température est brutal. Tant pis.

Quand JJ s'avance enfin jusqu'à lui, il ne perd pas plus de temps et attrape l'une de ses chevilles, commençant à le tirer en nageant comme il peut. Les débuts sont laborieux, il boit la tasse, cherche l'équilibre, donne des coups à JJ sans vraiment le faire exprès – même s'il n'est clairement pas désolé pour ça. – Mais faut qu'tu m'aides trouduc, essaie d'nager avec ton autre jambe ou ton bras, j'sais pas mais fais quelque chose. Et arrête de trop bouger. Ses ordres sont contradictoires, mais à force de persévérance, ils finissent par réussir à avancer tant bien que mal. Assez pour être proches de l'îlot quand quelque chose effleure la jambe de Seven. – J't'ai déjà dit d'arrêter de bouger ! Il tourne la tête pour le fusiller du regard, déjà usé par la tâche, pressé d'arriver sur la terre ferme. Un nouveau contact malvenu finit de lui faire perdre patience. – Putain mais garde ton pied loin d'moi, t'arrêtes pas d'me toucher là, c'est casse-couilles ! À aucun moment il n'imagine que ça puisse être autre chose que JJ. Peut-être à tort.

— Pourquoi ? T'es déçu d'pas pouvoir mater, pédé ? Je lève les yeux au ciel et soupire bruyamment, blasé par sa réflexion. — C'est ça, t'as raison, j'suis obsédé par ta queue Seven. Et pour bien lui signifier ce que j'en pense de sa queue de merde, je crache dans l'eau dans un mouvement de dégoût. Je passe rapidement à autre chose, n'ayant vraiment aucune envie de perdre du temps à parler de ça. De toute façon, on tourne toujours en rond quand on se lance là-dedans et franchement, c'est pas le moment. Ça caille, il fait nuit et on a d'autres choses à foutre. En plus, ça filme et j'aimerais autant éviter de donner encore plus de détails gênants aux enfoirés qui nous font changer. Ils ont déjà bien assez de matière comme ça.

— Donc c'est à moi de m'taper tout l'boulot ? Tu te fous d'ma gueule ? Je hausse les épaules tout en m'avançant dans l'eau, lui tournant le dos lorsque je réponds en élevant un peu la voix pour qu'il m'entende malgré tout. — J'y peux rien moi, c'est eux qui ont dit que j'devais filmer. Et je dois bien reconnaitre que ça m'arrange pas mal. Je n'avais absolument aucune envie d'être celui qui doit nager pour deux. En plus je ne nage pas hyper bien, donc ça m'arrange. Je l'entends râler derrière moi mais je n'y prête pas attention, de toute façon, ça ne change pas vraiment avec lui. Ce mec, on dirait un putain de disque rayé.

Lorsque l'eau m'arrive vers le haut des cuisses je m'arrête un instant, n'ayant pas spécialement envie d'aller plus loin. Je me retourne alors pour emmerder un peu Seven et forcément, ça marche à fond. Ce mec est trop prévisible. Il retire ses mains pour brandir ses deux majeurs et j'explose de rire, pas mécontent de moi. Évidemment, ça le vexe et il se met à tracer, me passe devant pendant que je le suis avec la caméra et s'immerge totalement. Je souffle un peu avant de me bouger, non sans lâcher quelques injures, parce que l'eau est vraiment gelée. On est loin de la douceur de l'océan de Savannah à cette période de l'année. Saloperie de Detroit. — Allez b-bouge, j'ai p-pas qu'ça à f-foutre. Je me marre et l'imite aussitôt, d'une petite voix chevrotante. — O-oui S-Seven. J'inspire un grand coup et me baisse dans l'eau et ça me fait l'effet d'une claque dans la gueule. La violence du truc, woh. La prochaine fois que quelqu'un me fait chier, promis, je ne perds pas de temps à lui cogner dessus, je l'envoie directement à l'eau. En plus c'est moins salissant, c'est tout bénef donc. — Sans déc, si on crève pas d'hypo-truc là, ce s'ra un miracle. Je tourne la caméra vers mon visage et gueule un peu. — Hey Machin là, la prochaine fois choisissez un truc qui implique pas de se geler les couilles. Je marque une pause, sourcils froncés. — Non pas qu'j'voudrais que y ait une prochaine fois en fait. Mais pas le temps de s'éterniser, je sens la main de Seven qui m'agrippe la cheville et commence déjà à me tirer. Je bascule à nouveau le téléphone pour filmer cet exploit - faudrait pas qu'on puisse oublier ça un jour.

Et pendant que lui galère, moi je me laisse porter, flottant tranquillement. Finalement, à part l'eau froide qui me donne l'impression d'être en train de perdre toutes les parties de mon corps et qui me fait claquer des dents, ça va, la soirée n'est pas si pire. Moi, dès que j'fous rien et que je vois Seven s'énerver, c'est forcément une bonne soirée. — Mais faut qu'tu m'aides trouduc, essaie d'nager avec ton autre jambe ou ton bras, j'sais pas mais fais quelque chose. Et arrête de trop bouger. Je plisse les yeux et le dévisage quelques secondes, perplexe, avant de répondre. — Mais t'es vraiment con en fait ou juste tu le fais exprès ? J'vois pas comment je pourrais nager sans bouger, il a vraiment pas la lumière à tous les étages ce mec. — Et j'nage avec mon autre bras déjà, ok ? C'est pas tout à fait vrai, disons plutôt que je le fais tranquillement se balader d'avant en arrière pour le réchauffer. Mais ça, il n'a pas besoin de le savoir. — J't'ai déjà dit d'arrêter de bouger ! Je râle, excédé.  — Ohhhh mais putain, tu saoules, ferme ta gueule un peu ! Il n'est jamais content ce mec c'est insupportable. Pas étonnant qu'il donne autant envie de le buter. Du coup je ne bouge plus du tout, me laissant totalement trainer comme un pacha, les yeux levés vers le ciel. On ne voit aucune étoile quasiment, j'me demande bien pourquoi. — Putain mais garde ton pied loin d'moi, t'arrêtes pas d'me toucher là, c'est casse-couilles ! Ok il me gonfle. Je hausse le ton, vraiment saoulé. — Mais c'est pas moi PUTAIN ! Ma jambe bouge pas. On se fusille du regard et soudain, ça fait tilt. — Woh ! Je tente de me redresser tant bien que mal mais j'ai une jambe coincée dans sa main et de toute façon ça ne changerait pas grand chose. Je commence à battre sous l'eau avec mon autre jambe comme si ça allait pouvoir faire fuir je ne sais quoi. — Tu sais c'qui a dans ce putain d'lac comme bestioles ? Genre, y a des gros trucs ou juste des p'tits poissons ? Non parce que concrètement les petits poissons j'en ai rien à foutre. Mais si c'est susceptible de faire des dégâts, là, ça m'amuse beaucoup moins - surtout que j'ai les balloches à l'air. Et justement, au même moment je sens aussi un truc se glisser entre mes jambes et ça n'a pas l'air si petit que ça. Je m'agite et commence à accélérer le mouvement avec ma jambe et mon bras libres. — Putain, nage ta mère toi, dépêche ! Allez ! Je redresse le téléphone et tente d'éclairer le plus possible devant nous, mais on aperçoit à peine l'ilot, ce connard est encore méga loin. J'refuse de me faire croquer une couille, que ce soit clair putain.

– J'y peux rien moi, c'est eux qui ont dit que j'devais filmer. Et pour ça, il les déteste un peu plus encore. Il aurait préféré que les rôles soient inversés. Parce que même si ça l'emmerde de l'admettre, JJ a raison, il ne pourra pas nager tout en filmant la traversée. Mais trop borné pour lui donner raison à voix haute, il se résigne dans son coin, les poings serrés et l'air boudeur.

Ça ne fait qu'empirer quand JJ l'agace assez pour qu'il lève les majeurs et libère ainsi ce qu'il cachait. L'autre se fout de sa gueule, ça l'énerve, il lui passe devant pour se jeter dans l'eau un peu trop brutalement. Son corps accuse le coup, et le claquement frénétique de ses dents le fait bégayer quelques secondes. – O-oui S-Seven. Il le fusille du regard, mais JJ ne le remarque pas, trop occupé à entreprendre sa propre immersion. – Sans déc, si on crève pas d'hypo-truc là, ce s'ra un miracle. Certes. Finalement, peut-être qu'il vaut mieux être celui qui fournit les efforts : ça devrait le réchauffer un minimum. Et pendant que JJ semble s'adresser à la caméra, il souffle, perdant patience. Il vient attraper sa cheville sans prévenir, et entame la traversée comme il peut.

Il le sent presque se prélasser derrière lui et ça nourrit tellement sa colère que tout est encore plus difficile, ses mouvements sont trop brusques et mal coordonnés, il a l'impression de se battre avec la flotte. Il lui faut plusieurs minutes pour trouver le bon rythme, la bonne position, les bons gestes. Et même après ça, l'épreuve reste un calvaire. L'eau est trop glacée pour que les efforts suffisent à le réchauffer, ses muscles sont trop crispés, et il claque toujours des dents par intermittences. La contrariété se transforme en mauvaise humeur, qu'il renvoie sur JJ en l'engueulant gratuitement, donnant des ordres contradictoires. – Mais t'es vraiment con en fait ou juste tu le fais exprès ? Et j'nage avec mon autre bras déjà, ok ? Il ricane, continuant d'avancer tant bien que mal. – C'est ça ouais, prends-moi pour un con. En vérité il ne sait pas du tout ce que fout JJ ou non, mais il le connaît assez pour savoir qu'il n'a pas franchement l'esprit d'équipe, et que s'il peut le regarder galérer deux fois plus, il ne s'en privera pas. Ça l'exaspère. Et quand il sent quelque chose lui effleurer la jambe, il perd définitivement patience. – Ohhhh mais putain, tu saoules, ferme ta gueule un peu ! – Mais toi ta gueule ! C'est ridicule. Leur dialogue est creux, comme toujours, et tout cet énervement ne fait que ralentir Seven. D'autant plus quand un deuxième contact le fait sortir de ses gonds. – Mais c'est pas moi PUTAIN ! Ma jambe bouge pas. Il fronce les sourcils. – Comment ça, c'est pas toi ? Ça ne peut être personne d'autre. Il n'a vraiment pas envie que JJ soit innocent et qu'il s'agisse d'un truc inconnu qui se balade autour d'eux, sous l'eau, au beau milieu du lac. Manquait plus que ça.

Il entend JJ s'exclamer et le sent s'agiter, ce qui se répercute évidemment sur lui puisqu'il le tient toujours. – Tu sais c'qui a dans ce putain d'lac comme bestioles ? Genre, y a des gros trucs ou juste des p'tits poissons ? Un ricanement nerveux lui échappe, alors qu'il rétorque d'un ton sarcastique. – Ah bah y a le monstre du Loch Ness prêt à nous bouffer là, gare à ton cul. Mais il a beau faire mine de se foutre de lui, il n'en mène pas large non plus. Le stress grimpe, parce qu'il ne sait pas vraiment ce qui se trouve sous l'eau. En venant ici, il a déjà croisé des serpents d'eau douce et des poissons de tailles diverses, mais pas des mastodontes non plus. Pour autant, il serait pas étonné que des trucs énormes se baladent là-dedans – sûrement qu'ils ont eu quelques cadavres balancés dans la flotte à dévorer au fil des années. Cette idée n'a rien de rassurant, et il a beau scanner l'eau autour de lui, entre la pénombre et la teinte douteuse du lac, il ne voit absolument rien. – Putain, nage ta mère toi, dépêche ! Allez ! La panique de JJ a quelque chose de communicatif, et le sentir gesticuler n'importe comment n'arrange absolument rien. Il en a marre. – Eh j'suis pas ton chien, nique ta race et tes ordres de merde là. Il lâche sa cheville brusquement, se tournant pour lui faire face. – Démerde-toi avec Nessie. Et sans attendre de réponse, il commence à s'éloigner, nageant toujours en direction de l'îlot. Il espère sincèrement que le truc qui se balade près d'eux a des dents, et qu'il mordra JJ. S'il pouvait même le bouffer tout entier, ça lui rendrait service.

Mais après quelques brasses, il se rend compte de sa bêtise. Parce qu'ils ont besoin de faire cette foutue traversée pour remplir le défi, et que JJ est bien assez con pour lâcher le téléphone ou se noyer. Hors de question de tout recommencer ou de voir la vidéo sortir. Alors il s'arrête et finit par faire demi-tour de mauvais gré, le ton un peu rêche quand il arrive à hauteur de JJ. – C'est bon, t'es calmé ? Sûrement que non. Mais il a l'air toujours entier, alors il n'a pas à se plaindre.

— C'est ça ouais, prends-moi pour un con. Je ricane en même temps que lui, mais pour d'autres raisons. Oh, Seven, j'oserais pas voyons. Je continue d'agiter mollement mon bras libre, ne cherchant même pas à faire semblant ni à lui prouver quoi que ce soit. J'essaye juste d'éviter qu'il s'engourdisse trop dans l'eau froide. Sauf qu'il insiste et qu'il me saoule, je perds patience et lui aussi. — Mais toi ta gueule ! C'est toujours aussi instructif de discuter avec lui. J'me demande si on a déjà eu une vraie conversation un jour. J'crois pas. Ce serait suffisamment exceptionnel pour que je m'en souvienne. Je souffle et lève les yeux au ciel et j'approche ma bouche du téléphone pour murmure tout bas à la vidéo, prenant le truc quand même moyennement au sérieux. — Vous voyez c'que vous m'faites endurer sans déc. J'sais pas si Seven a entendu, je me contente de sourire lorsqu'il me lance un regard noir, avec mon petit air de gamin innocent qui ne trompe plus personne depuis longtemps. Sauf que ce gros lourd insiste encore avec ma jambe et je finis par lui expliquer que ce n'est pas moi, sur un ton irrité. Il m'a saoulé. Déjà qu'on passe une soirée merdique, pas la peine d'aggraver le truc en étant aussi chiant et de mauvais poil. — Comment ça, c'est pas toi ? Non mais il le fait exprès ou quoi ? Je souffle excédé avant de répondre précipitamment, la voix légèrement plus aigüe à cause de l'impatience qui me gagne. — Bah c'est pas moi ! C'est pas ma jambe, c'est pas moi quoi putain ! Il a vraiment le don d'empirer toutes les situations ce mec. Jusqu'à ce que les pensées cheminent jusqu'à mon cerveau. Mais du coup, si un truc le touche et que ce n'est pas moi... c'est quoi ? Ok, c'est pas drôle du tout là. Je commence à m'agiter, à tenter d'éclairer l'eau pour y voir à travers mais ce n'est pas très concluant. L'eau est opaque, la lumière se réfléchie dessus et on ne voit pas grand chose à part une multitude de particules - probablement un mélange de sable ou de petits cailloux j'en sais trop rien, un peu de végétation aussi et ça a clairement une tête un peu cheloue je trouve. Je commence à m'interroger sur ce qui vit dans ce putain de lac, ça aurait pu être bien que je m'y intéresse avant de me jeter dedans à poil en pleine nuit, ouais. J'y songerai la prochaine fois. Mon inquiétude le fait rire et je ne vois pas ce qu'il y a de drôle. Si j'y passe, il y passe aussi. Et dans le doute, je n'hésiterai pas à m'accrocher à lui pour l'entrainer au fond du lac avec moi. Si je crève, y a pas de raison que lui non. — Ah bah y a le monstre du Loch Ness prêt à nous bouffer là, gare à ton cul. Le quoi ? Probablement une référence à un truc de roumain encore, j'suis sûr. Je décide de ne pas y prêter attention et de toute façon pas le temps, parce que cette fois c'est moi qui sens un truc filer entre mes jambes. Ok, hors de question que je me transforme en nourriture pour gros poissons, HORS DE QUESTION. J'mérite une mort quand même vachement plus glorieuse que ça. En plus j'ai les valseuses à l'air et ça me stress carrément maintenant. Du coup je m'agite encore plus et je me mets à gueuler sur Seven pour l'inciter à nager plus vite. S'il arrêtait de trainasser aussi on serait déjà arrivés sur l'ilot, c'est de sa faute tout ça, comme toujours. Sauf que mon énervement n'a pas l'effet escompté, mais alors pas du tout. Et en même temps, c'était si prévisible. — Eh j'suis pas ton chien, nique ta race et tes ordres de merde là. Démerde-toi avec Nessie. L'enfoiré. Et c'est quoi ça encore Nessie, putain ? Il lâche ma cheville et je bascule à la verticale dans l'eau, agitant mes pieds comme un taré sous l'eau pour tenter de me maintenir à la surface. J'avais peut-être oublié un léger détail : j'sais pas vraiment nager. Disons que ça ne m'avait pas trop gêné jusque-là vu que je me laissais tirer par Seven, mais maintenant que je suis solo, je m'en souviens très très bien du coup. J'ai pas pied, on est loin du bord, j'suis dans la merde. Je m'agite de plus en plus et commence à lui hurler dessus, le bras qui tient le téléphone levé le plus haut possible alors que moi je m'enfonce progressivement, peinant à me maintenir à la surface. — J'peux pas nager avec un seul bras enfoiré ! J'vais lâcher le téléphone, on aura rien à leur envoyer et la vidéo sera diffusée et ce s'ra d'ta faute ! J'bois un peu la tasse, à deux doigts de vraiment lâcher le téléphone pour libérer mon bras pour m'aider à me maintenir à la surface. Bas les couilles, si je me noie au moins j'aurais pas à supporter la honte de la vidéo diffusée. Seven sera tout seul pour gérer ça et ce sera bien fait pour sa gueule. Il regrettera probablement de pas s'être laissé coulé dans le lac avec moi cette nuit. Par chance, Seven finit par faire rapidement demi-tour et revient vers moi. Ok, c'est bon, j'suis sauvé, annulez la mission noyade. En plus, franchement, ça aurait été con de crever avant même d'avoir couché avec May. Ça peut s'accoupler un fantôme ? J'suis pas sûr. D'ailleurs j'suis pas sûr non plus que les fantômes existent. Mais si c'est le cas, ce serait grave cool. Je pourrais hanter tous les mecs qui s'approchent de May pour les faire fuir ou les pousser au suicide. Bon débarras. — C'est bon, t'es calmé ? La voix de Seven me tire de mes pensées et je fais un gros effort pour me refaire basculer à l'horizontale et lui tendre ma cheville - et mon grand panard - pour qu'il la reprenne. — Au moins ça m'a réchauffé. Enfin, juste un petit peu quoi. Il finit par reprendre ma cheville et on se remet en route, je me calme aussitôt, cesse de m'agiter et à nouveau je me laisse trainer comme un prince. Voilà qui est bien mieux.

La suite du voyage se fait en silence, aucune autre bestiole ne revient nous déranger, mon agitation les a peut-être fait fuir au final. Bon à savoir. Quand on arrive enfin à l'ilot, on se hisse rapidement sur la berge et l'air frais me saisit violemment, je me mets à vraiment claquer des dents moi aussi. Je sautille un peu sur place, passant d'un pied à l'autre tout en soufflant pour tenter de me réchauffer et ne pas me transformer en glaçon instantanément. Je coupe la vidéo pour pouvoir passer en mode photo vu qu'on est censé en envoyer une également de nous sur l'ilot. Je mets le flash en route et sans un mot je m'approche de Seven. Je le prends un peu par surprise, je me colle à lui sur le côté, mon bras droit qui vient s'enrouler autour de ses épaules pendant que je brandis le gauche au-dessus de nous en clamant. — Fais un sourire pour la photo ! Au passage ça me fait penser que je ne l'ai jamais vu sourire j'crois. Mais vu ce que j'ai déjà aperçu de ses dents, c'est peut-être mieux comme ça. Je lâche un grand sourire au moment où le flash nous aveugle et la seconde d'après j'le sens qui se débarrasse de moi et me pousse loin de lui. Je me laisse faire en rigolant, pas du tout heurté par ce rejet. Moi je me contente de regarder la photo pour voir si elle est bonne. Putain, on a vraiment des sales gueules. On est livides et les lèvres bleues. Et Seven ne sourit pas, évidemment. Je me retourne vers lui, faussement déçu. — Oh mais mec, tu souris pas ! T'es relou aussi. Que j'articule comme je peux entre deux claquements de dents. Je ne réactive pas tout de suite le mode vidéo, mon regard qui se pose sur l'eau. Je grimace un peu. — Putain, j'ai vraiment pas envie de retourner là-dedans, il fait beaucoup trop froid. Je m'approche de l'eau, trempe brièvement le pied dedans avant de reculer en râlant. J'ai l'impression que l'eau est encore plus froide qu'au début et que je suis vraiment en train de me transformer en glaçon. J'ai jamais eu aussi froid de ma vie, vraiment. Je jette un coup d’œil vers Seven, voir s'il est plus motivé que moi pour retourner là-dedans ou non.

Comme toujours, ils se prennent la tête sur des choses futiles et perdent un temps monstrueux. JJ panique et s'agite, Seven stresse et s'agace, la tension monte, jusqu'à ce qu'il perde définitivement patience. Sale gosse qui ne supporte pas les ordres – d'autant plus s'ils viennent de quelqu'un qu'il n'aime pas. Il le lâche et commence à s'éloigner, prêt à terminer sa traversée tout seul. – J'peux pas nager avec un seul bras enfoiré ! J'vais lâcher le téléphone, on aura rien à leur envoyer et la vidéo sera diffusée et ce s'ra d'ta faute ! Ça l'énerve mais il abdique finalement, faisant demi-tour parce qu'il le juge assez stupide pour tout faire tomber à l'eau. Littéralement. Et la décontraction avec laquelle JJ lui tend son pied n'arrange rien à l'état de ses nerfs. – Au moins ça m'a réchauffé. Il a envie de le noyer. – Cool, ta gueule. Sa poigne est violente quand il attrape la cheville de JJ une nouvelle fois, à contrecœur, serrant bien plus que nécessaire. Il aimerait y accrocher un bloc de béton et le regarder couler. Mais ce n'est pas une option envisageable ; ou en tous cas, pas ce soir. Alors il reprend la nage en silence, mâchoire crispée, ses mouvements de plus en plus brusques à cause de la colère. De plus en plus raides aussi, parce que le froid devient franchement problématique.

Et une fois arrivés sur l'îlot, ça ne s'arrange pas.

L'air frais lui mord la peau brutalement, ses dents recommencent à claquer alors que des frissons désagréables lui secouent l'échine. Le dos un peu courbé, il enroule ses bras autour de son torse dans une tentative de se réchauffer comme il peut, en vain. Il est tellement gelé qu'il ne bouge plus. Ses réflexes sont ralentis – il ne réagit même pas quand JJ vient coller son flanc au sien et passe un bras autour de ses épaules. – Fais un sourire pour la photo ! Il se contente de lever un majeur, ne daignant pas regarder l'objectif lorsque le flash lui éblouit la gueule. Dès que la photo est prise, il s'empresse de remettre de la distance entre JJ et lui, le bousculant avec véhémence avant de faire un pas en arrière. Il ne veut pas avoir le moindre contact physique avec lui. – Oh mais mec, tu souris pas ! T'es relou aussi. Ça le fait lever les yeux au ciel. Il ne voit aucune raison de sourire : il est nu, au milieu d'un lac en pleine nuit d'automne, frigorifié, à devoir poser avec un type qu'il déteste pour un maître chanteur qu'il déteste encore plus. Quelle soirée de merde.

– Putain, j'ai vraiment pas envie de retourner là-dedans, il fait beaucoup trop froid. Il l'observe tremper un pied puis reculer, lâchant un petit ricanement alors que leurs regards se croisent. – Ah ouais ? Et tu comptes faire quoi ? Rester là à poil en attendant d'finir congelé ? Vaut mieux aller à la flotte. Et comme pour le prouver, il marche jusqu'au bord de l'îlot en continuant de frissonner, lâchant un « putain ! » de mécontentement au contact de l'eau qui lui paraît maintenant glacée. Mais il persiste quand même. Il s'immerge une nouvelle fois et ses tremblements redoublent d'intensité. – Dépêche. Au plus v-vite tu viens, au plus vite on arrive de l'autre c-côté. Le claquement de ses dents se fait si frénétique qu'il se remet à trébucher sur certaines syllabes, sans pouvoir le contrôler. À ce stade, il n'en a plus grand-chose à foutre ; il a trop froid pour lutter. Tout ce qu'il veut, c'est regagner la terre ferme, se rhabiller, et se tirer d'ici.

Quand JJ le rejoint enfin, il agrippe sa cheville et se met à nager sans attendre, tentant d'aller aussi vite qu'il le peut. Mais plus les minutes passent, plus il ralentit. Il n'a même plus peur de l'eau trouble et de ce qui pourrait rôder sous eux – de toute façon, il est si gelé qu'il ne sentirait probablement pas si un poisson le frôlait à nouveau. Ses membres s'engourdissent, il a l'impression que chacun de ses bras pèse une tonne et que l'eau devient trop compacte pour nager correctement. À tel point qu'après un long moment passé à lutter, il finit par lâcher prise. Sa respiration devient laborieuse, il ne sent plus ses mains ni ses pieds, et il a l'impression que son visage s'est figé sous une couche de glace. Il se tourne vers JJ, plissant les yeux à cause de la lumière de son téléphone. – T-t-t-tu- L'élocution est désormais si compliquée qu'il souffle et abandonne l'idée de faire une phrase complète. – On éch-change. Il ne pense même plus aux consignes qu'on leur a donné, au portable, à la vidéo – il n'est plus tellement en mesure de réfléchir, le cerveau aussi ralenti que ses gestes. – Trop froid p-putain. Chaque effort fourni devient franchement infernal. Et il aimerait ne pas être le seul à en pâtir.