The last one [Hopkins]

Si l’on devait ouvrir votre vieil album photo de famille et regarder un à un chacun de tes frères aux bouilles immortalisées sur le papier glacé, aurait-on pu prédire votre triste destin ? Non. Comment pouvait-on seulement imaginer qu’un petit garçon aux genoux écorchés et les boucles folles puisse voir sa vie lui échapper avant même de l’avoir vraiment vécue ? Pire encore, pourquoi un enfant si innocent irait-il se saboter lui-même quand il semblait encore avoir toute la vie devant lui ? C’était impensable et pourtant, d’une certaine manière, c’est ce qui s’était produit avec toi. Il n’y avait pourtant aucune bonne raison à ça, rien pour expliquer ta lente descente aux Enfers quand tu avais tant de douceur en toi. Parce que c’était sans doute ce qui te distinguait du reste du monde. Tu étais profondément gentil et dépourvu de la moindre colère, même quand l’injustice te sautait aux yeux et quand tu te tuais à toujours te relever, qu’importe les coups et les maux. Cent fois tu avais fini par te redresser d’un « Même pas mal » nonchalant.
Puis un jour, tu avais appris à ouvrir et partager ton monde, tu t’étais offert comme un livre ouvert, sans rien attendre en retour, sans rien espérer de mieux que ce qu’il voulait bien te donner. Pour le monde entier, ce n’était deux fois rien, mais tu n’étais pas le monde entier, après tout. Tu te moquais bien d’être aimé ou apprécié, tu vivais aussi bien les moqueries que les plaisanteries. Non, ce qui avait importé, le temps que ça avait duré, c’était de te sentir compris. Ni jugé ni encouragé, juste accepté sans compromis. Toi, tes qualités et tes défauts, avec tes vices comme ta malice. Puis comme il y était entré, il en était ressorti. Eteignant la lumière en repartant pour te laisser seul dans le noir. Ce n’était pourtant pas ton genre de t’attacher, tu n’étais pas un sentimental et encore moins un rêveur. T’étais pas fou, tu savais bien que tout ça ne tenait jamais qu’à un fil. Mais à force de t’y accrocher, tu avais fini par lâcher la corde, et sans même t’en apercevoir, tu n’avais su éviter la chute.
Au moins, Ash pourrait fanfaronner parce qu’il te l’avait bien dit, que tu finirais par te tuer.
Et puis Dom pourrait en rire, plus tard, en se disant que t’étais vraiment pas la moitié d’un demeuré.
Parce qu’il fallait sans doute être un peu con pour partir comme ça, tout seul. Asphyxié par tes poumons qui ne trouvaient plus d’air, les muscles raidis et l’esprit déjà parti.
C’était quand même dommage, t’étais pourtant un chouette gars.

J'y suis presque Igg, je te le jure, bientôt je pourrais te l'offrir cette putain de vie que je t'ai promis, celle que maman et papa n'ont pas su nous donner. Tu verras, fini les apparts miteux, on aura notre propre baraque dans un endroit sympa et on sera heureux pour toujours. Toi et moi contre le monde... je vais y arriver je te jure et ce sera putain de beau !

Une promesse, un rêve ! Quelque chose qu'il voulait offrir à Igg et il y était presque, il avait presque la thune pour leur offrir à tous les deux un nouveau départ. Mais ces derniers temps il avait l'impression d'être le seul à réellement le vouloir. En même temps c'était normal, il avait demandé son avis à personne, sûrement pas à Igg ! Mais avant ils étaient assez proches pour savoir qu'il le suivrait quoi qu'il arrive, pour savoir qu'il le laisserait sortir de ce trou avant qu'ils n'y laisse leur vie. Mais depuis quelques temps tout était devenu sujet à dispute à tel point qu'il avait l'impression qu'entre eux il n'y avait plus que de la tension, ce qui était inquiétant sachant que Igg était genre le gars le plus chill du monde. Après Ash le savait, il était responsable, bien trop sur son dos mais il n'y pouvait rien, il s'inquiétait pour lui, c'était normal, non ? Enfin... peut être qu'il s'accrochait un peu trop et que c'était à lui de se détendre et du coup il lui avait laissé du temps, surtout après la dernière dispute, comprenant que Igg avait besoin d'un peu de temps. Mais bientôt deux semaines maintenant et il était temps de prendre des nouvelles surtout que merde... il lui manquait son frère.

Pourquoi tu ne m'as pas prouvé tort ? Pourquoi tu ne m'as pas prouvé que j'étais qu'un con à m'inquiéter comme ça ?! Ça devait être toi et moi pour toujours ! Prouver à tous ces enfoirés qu'on allait s'en sortir ! Prouver que toi et moi on était pas fait pour crever.

Pas de réponse comme toujours, personne pour lui ouvrir la porte. Ça commençait à devenir une habitude ces derniers temps ! Mais heureusement que Ash avait les clés pour quand son frère le snobait ou qu'il pionçait ou même juste qu'il planait. Mais si il s'attendait à le trouver affaler dans le canapé, planté devant la télé dans un bordel sans nom, le spectacle qui allait s'offrir à lui... « Putain Igg, c'est quoi cette odeur ! T'es là ? » avait-il d'abord demandé, se masquant le nez face à l'horrible odeur de mort qui planait dans l'appartement, posant la bouffe sur la table comme toujours avant que son regard ne tourne dans la pièce et qu'il ne se pose sur Igg ou plutôt... sur son corps inerte. Et là ce fut comme une fracture, un choc indescriptible alors que Ash se sentit défaillir. Presque immédiatement il s'était précipité sur le corps de son frère « Igg ? IGG ! » avait-il dit en le secouant mais... même si il voulait croire que c'était impossible... entre son regard vitreux, le teint pâle de sa peau et l'odeur alors que gisait à côté le matériel de sa dernière consommation... le doute était impossible. Prit d'un haut le cœur Ash avait alors foncé à l'extérieur du petit appartement, vidant le contenu de ses boyaux dans le couloir en se sentant plus fébrile que jamais. Après quelques minutes à essayer de reprendre un peu pied il était retourné à l'intérieur, restant proche de la porte, pour s'assurer qu'il n'avait pas rêver, observant le corps de son frère jusqu'à ce que ça s'imprime dans son esprit que Igg... Igg ne l'engueulerait plus jamais.

Est-ce que j'aurais pu faire quelque chose pour empêcher ça ? Est-ce que j'aurais pu te sauver d'une quelconque manière ? J'aimerais dire que c'est leur faute à ces salauds pour nous avoir séparé ! Mais la vérité... c'est juste que je ne sais pas ce que je vais devenir sans toi. Je n'arrive pas à encaisser. J'ai juste envie de chialer.

Il avait suffit d'un appel, planté dans les escaliers, lâchant les dernières larmes qu'il pouvait en attendant que l'ambulance arrive. D'un coup le monde de Ash s'était écroulé. Détroit, les crimes, la drogue, la discrimination, le travail au fastfood, les vol... tout ça ça semblait sans importance d'un coup, ça semblait bien loin dans son esprit car putain... son frère était mort... qu'est-ce qu'il allait devenir sans son frère ? Sans le seul qui lui donnait vraiment l'envie de se décarcasser ? Il n'y avait pas eut d'enterrement, pas de cimetière où Ash se voyait y laisser le corps de son frère y pourrir. Il avait fait incinéré Igg, accompagné de ses quelques amis, de canard et d'au moins son aîné qui pour l'occasion avait fait l'effort de montrer sa gueule... Puis il avait emporter ses cendres, pas encore prêt à le lâcher.

Tu m'as toujours dit de m'occuper de moi un peu, de gérer ma vie. Oh bien sûr je sais que tu disais ça pour que je te lâche et que j'arrête de te faire chier ! Mais... et si je le faisais ? Si je tentais d'être heureux pour changer ? Je ne voulais juste pas le faire seul mais... j'ai envie de me dire que si t'es partit c'est pour me pousser à avancer car il y a que comme ça que j'accepterais que tu sois plus là. Car je vais vivre Igg et tu vas voir, je serais putain d'heureux pour nous deux !

Partir, tout simplement. Ash avait économisé pendant des années pour les faire sortir d'ici, pour qu'ils puissent s'offrir cette nouvelle vie. Il avait bossé légalement, avait créé un compte, avait des papier en règle et engendré assez de zéros du bon côté de la virgule en vivant dans la rue pour presque leur offrir cet avenir. Mais il était seul maintenant et cette somme était suffisante à présent pour le libérer de Détroit et des sales souvenirs qui y restait. Alors il allait partir, rassemblant le peu d'affaires auxquelles il tenait avant de choisir un endroit où s'envoler. Le billet en poche il ne lui restait plus que vingt-quatre heures à passer dans cette ville, venant offrir un dernier baiser au petit canard qu'il n'allait plus revoir et pour passer une dernière nuit dans cette ville qu'il avait tant haït mais qui l'avait aussi forgé. Il voulait fuir oui mais il voulait aussi laisser une dernière trace. Il avait donc cherché un mur bien en hauteur, bien à vu dans son quartier de naissance, la bombe à la main, avant de commencer à y déposer de la peinture. Toute la nuit à travailler sur sa fresque avant de sortir des pots de peintures, chose assez rare dans son travail, afin d'y apposer quelques finitions, non sans avoir vidé les cendres de son frère dans la peinture. Un travail de titan, ne lui laissant que peu de temps pour aller à l'aéroport et se préparer, mais son œuvre était fait, laissant ainsi pour tout le monde le visage de son frère dans une de ses plus belles fresques avant de s'éclipser sans jamais revenir.