don't wanna be a ghost (mason)

« Pero... 
— No puedo, Amadeo. Pide a tu padre. »
Il a l'air las, Fernando. Il a l'air plus vieux, aussi. On lui dira que c'est normal, a priori, d'avoir l'air de plus en plus vieux, mais Amadeo ne voyait son oncle que comme un adulte, avant, maintenant il est vieux et ça fait toute la différence. Il ne sait pas quand c'est arrivé parce que ça fait longtemps que Fernando fuit son regard, même quand il accepte de passer quelques minutes avec lui en souvenir du bon vieux temps, pour ne pas fâcher le Seigneur surtout. Quel oncle serait-il s'il tournait définitivement le dos à son neveu Ô combien problématique ? Non, il maintient le lien, mais il le fait à bout de bras, comme s'il craignait de se salir. Amadeo soupire et se lève pour quitter la sacristie, grommelant un « mi padre... » d'un ton qui en dit long sur ce qu'il pense de la suggestion, avant de souhaiter un bon dimanche à son oncle.
Dehors, il pleut. C'est dimanche, donc, et le seul bus qui aurait pu le ramener chez lui aujourd'hui ne circule pas. Une grève suite à l'agression d'un chauffeur, ou quelque chose comme ça. Il est hors de question qu'il demande à son père de le ramener. Il n'était pas à la messe. C'est rare qu'il y soit, mais quand il est là et qu'il voit Amadeo en costume perché sur ses caisses en sortant de l'église, il fait mine de ne pas le reconnaître, ou de ne pas le voir du tout. Chaque fois qu'ils se voient, il est clair qu'ils n'ont rien à se dire. Son père lui file un peu d'argent pour se dire qu'il fait tout ce qu'il peut, il pose à son fils une question générique pour savoir si tout va bien — à la coloc, au lycée, dans ses narines, dans ses veines —, ce à quoi Amadeo répond toujours oui en empochant les billets, et puis ils se disent au revoir après un long silence lourd de non-dits. De toute façon, s'il n'était pas là ce matin, une chance sur deux qu'il soit en déplacement, une chance sur deux qu'il soit bourré.
Au lieu de faire demi-tour et d'insister jusqu'à ce que son oncle change d'avis, Amadeo traverse en courant les deux rues qui le séparent du cimetière où est enterrée sa mère. Il gagne l'abri de grands sapins assez denses pour que la pluie l'y laisse tranquille et sort son téléphone pour passer en revue les taxis potentiels qu'il connaît dans les environs. Il exclut sa famille et les anciens voisins qui s'inquiéteraient trop de savoir ce qu'il devient, et où il vit surtout — ils doivent penser qu'il est en internat et ça convient à Amadeo comme son père. Son choix s'arrête sur Mason. C'est peut-être parce qu'il faisait le même temps de chien la première fois que Mason l'a dépanné — cette fois au moins Amadeo a pu quitter son costume, son oncle lui permettant de se changer dans la salle de bain de son petit logement attenant à l'église, même s'il ne voit pas son art d'un très bon œil. C'est peut-être parce que Mason est toujours une bonne adresse quand il a besoin de quelque chose, en gros. Accessoirement, il n'est pas de mauvaise compagnie, et c'est l'un des rares gars aussi jeunes qui réagit assez bien à ses minauderies et autres enfantillages occasionnels. Comptant sur la réactivité de Mason et la clémence son ange gardien, il n'appelle pas, préfère lui écrire simplement : Slt tu pourai venir me chercher ? Jsuis au cimetière, Holy Cross tu vois ? Jvoulai voir maman. Il pleu tro sauve moi
Oui, bon, autant le prendre par les sentiments, quitte à en rajouter un peu.

Don't wanna be a ghost_

@Amadeo Ruiz & Mason Warden

Mason est installé à la table de la cuisine en face de sa petite sœur, Kelsie. C’est fou comme elle grandit vite, et cette impression n’a fait qu’amplifier depuis qu’il a quitté le domicile familial il y a un an et demi. Chaque fois qu’il la voit, il a l’impression que ses cheveux ont encore poussé, qu’elle a gagné quelques centimètres en même temps que son corps a commencé à se former. Kelsie n’est plus une enfant maintenant, elle rentre lentement dans l’adolescence et Mason commence à s’en apercevoir plus qu’il ne le voudrait. Ainsi, tandis qu’il continue à stagner dans sa vie, le monde semble continuer de tourner autour de lui, les années passent, les gens vieillissent et Mason en est toujours au même point, comme s’il était bloqué. Sa vie n’a rien à voir avec ce qu’il avait planifié ne serait-ce que trois ans auparavant. Il était en dernière année de lycée quand son père est tombé malade, et comme le gentil garçon qu’il était à cette époque aurait tout fait pour s’attirer –pour une fois– les bons mots de son père, il s’est bêtement proposé de le remplacer temporairement au garage, repoussant ainsi sa rentrée en études supérieures. Et puis une chose en entraînant une autre, la maladie de son père n’a pas été en s’améliorant et chaque année, Mason repousse son désir d’étudier ailleurs, laissant échapper sa seule chance de se tirer d’ici. C’est pour ça qu’il passe ses dimanches attablé avec Kelsie pour l’aider à faire ses devoirs, c’est primordial qu’elle s’en sorte, qu’elle ait de bons résultats pour rêver plus grand et quitter cette ville, peut-être même avec sa mère. — Non Kelsie, pas l’hypopo j’sais pas quoi, c’est l’hypothénuse, ok ? Relis ta leçon à voix haute, ça t’aidera peut-être. Oui, il faut que Kelsie s’en sorte, qu’elle puisse un jour quitter Détroit et ses mauvais quartiers, Détroit et ses drogués à chaque coin de rue, Détroit et sa mauvaise influence. Ils en sont encore à son exercice de maths quand son téléphone vibre sur la table. « C’est qui ? » demande la petite voix de Kelsie. — Personne, t’occupes. Finis ton exercice si tu veux pas que je dise à maman que tu y mets de la mauvaise volonté. Le chantage comme stimulant, ça marche toujours avec sa sœur. Evidemment qu’il ne dira jamais ce genre de choses à sa mère, il sait trop ce que ça fait quand l’un de vos parents vous regarde avec déception et mépris, ouais, il sait trop ce que c’est Mason. Slt tu pourai venir me chercher ? Jsuis au cimetière, Holy Cross tu vois ? Jvoulai voir maman. Il pleu tro sauve moi.Un coup d’œil à sa montre et au déluge qui s’abat dehors et Mason n’hésite pas une seconde à répondre au message d’Amadeo. J’suis chez ma mère, j’arrive dans une dizaine de minutes. Il est peut-être trop gentil Mason, peut-être même un peu naïf mais il ne se voit pas laisser Amadeo prendre la pluie alors qu’il est sur la tombe de sa mère. Peut-être que son ami n’a besoin que de quelqu’un pour le ramener, ou peut-être qu’il a tout simplement besoin de compagnie et de réconfort. — Kelsie, j’ai un ami qui a besoin de moi, ça ira pour terminer ça ou pas ? Tu m’appelles ce soir si tu veux qu’on revoit ça ensembles. Il dépose un baiser sur son front et quitte la maison non sans se retenir et sourire en la voyant toujours attablé dans la cuisine. Il est persuadé qu’elle s’en sortira, et ça rend les choses un peu moins dures pour lui.

Dix minutes plus tard, la voiture de Mason ralentit dans Mexicantown et s’arrête devant les grilles du cimetière Holy Cross. Amadeo n’est pas là alors Mason klaxonne et attend un moment avant de le voir arrivé, trempé de la tête aux pieds. Il se penche pour lui ouvrir la portière et le regarde s’installer à côté de lui. — Pas de bol, tu t’es pris une sacrée averse. Il a presque envie de rire en le voyant ainsi. — J’vais mettre le chauffage, tu sècheras peut-être plus vite comme ça. Il voudrait bien dire quelque chose de réconfortant à propos de sa mère, Mason, mais il ne trouve rien à dire alors il se contente d’être là, comme il le fait toujours.

En attendant Mason, il hésite à aller faire un tour dans le cimetière. Se rendre réellement sur la tombe de sa mère, par exemple. Mais il n'est même pas sûr de pouvoir la retrouver du premier coup, tellement c'est rare qu'il lui rende visite par lui-même. Il ne sait plus à quand remonte la dernière fois, seulement que son père était avec lui. Du coup, naturellement, Amadeo n'avait pas fait très attention au chemin qu'ils empruntaient. C'est pour la même raison qu'il n'est même pas certain d'être capable de rentrer chez lui, à Delray. Il a toujours un conducteur sur qui compter — celui du bus, un de ses colocs, Mason. Adossé au tronc du sapin, les yeux perdus dans l'allée principale qui s'engouffre entre les arbres et les vieilles pierres tombales, il commence à s'en vouloir d'avoir utilisé la mort de sa mère pour manipuler un peu plus efficacement son ami. Il s'en veut d'autant plus que, connaissant Mason, la pluie aurait peut-être été une raison suffisante pour qu'il vole à son secours. Il aurait pu s'épargner la culpabilité. Les mains appuyées contre le tronc dans son dos, il gratte nerveusement l'écorce sans s'en rendre compte.

Quand Mason klaxonne quelques minutes plus tard, Amadeo rejoint mollement le portail du cimetière devant lequel il l'attend, et son intuition est confirmée quand il ouvre la portière et que Mason ne lui parle que de la pluie. Il était pas obligé de parler de sa mère. Il s'installe sur le siège passager, un sourire qui se veut reconnaissant sur les lèvres, mais une ombre demeure sur le visage poupin. « Peut-être, merci. » Des filaments dorés sillonnent sa peau encore un peu rosie par le débarbouillage expéditif chez Fernando, sur le visage et les mains, et d'autres résidus de maquillage forment de petites croûtes à la base de ses cheveux. De loin, ça passe inaperçu, mais il n'est plus qu'à quelques centimètres de Mason maintenant. Il se mord la lèvre, hésitant, ouvre deux fois la bouche sans que rien ne sorte et puis : « Tu veux pas te garer et venir avec moi, en fait ? Sur la tombe de ma mère. Je... J'ai pas eu le temps. » Et puis la pluie se calme. Peut-être. Ou bien c'est seulement qu'il n'y fait plus attention maintenant qu'il est entièrement focalisé sur sa mère et sa culpabilité. « T'as le temps, ça te dérange pas ? » Il garde le ton plaintif de sa voix à un minimum. C'est sans doute le fait qu'il vient juste de sortir de la maison de Dieu qui le rend si réticent à l'idée de conclure son excursion par un tel mensonge. Il a l'impression que Son regard est rivé sur lui et il l'imagine particulièrement désapprobateur à l'instant.  « Je pourrai t'offrir un chocolat chaud après, j'ai de quoi. » Il fait tinter le porte-monnaie dans la poche de son manteau. C'était une bonne matinée avant qu'il ne se mette à pleuvoir trop fort, mais le mauvais temps l'a peut-être servi aussi — ceux qui sortaient de la messe ont dû le prendre en pitié, assez pour vider leurs fonds de poches à ses pieds en tout cas.

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@Amadeo Ruiz & Mason Warden

Amadeo n’a pas l’air bien, mais ça n’a rien d’étonnant quand on sait que sa mère est enterrée à quelques mètres de là. Il n’a jamais vraiment perdu quelqu’un, Mason. Ses grands-parents sont décédés mais il ne les connaissait pas trop, il en avait plus entendu parler qu’il ne les avait vu, alors bien-sûr c’est une perte mais ça n’a rien à voir avec le décès d’un parent proche. Et il s’en estime chanceux Mace, parce qu’il a vu avec quelques-uns de ses amis à quel point le chagrin peut vous changer et vous briser parfois. Mason lui rend son sourire triste et fixe un moment la pluie sur le parebrise avant de reporter son attention sur Amadeo. Il n’avait pas fait attention avant de bien l’observer mais il reste des traces de maquillage sur le front et au-dessus des yeux de son ami, et il ne lui faut pas longtemps pour comprendre ce qu’Amadeo a fait avant de venir se recueillir ici. Cette vision le ramène plusieurs mois en arrière, alors qu’il se promenait sous cette même pluie, ses ailes d’ange à la main et le visage barbouillé de maquillage blanc et doré. C’était peut-être le regard triste et perdu du brun, ou la pitié qu’avait ressenti Mason en le voyant fagoté de la sorte, mais il n’avait pas hésité une seule seconde avant de lui tendre la main. Et voilà que plusieurs mois plus tard, ils sont encore là, Amadeo seul et perdu et Mason, toujours là pour lui. — Pas de problèmes, Ama, je vais venir avec toi. Mason gare la voiture un peu plus loin, remonte la fermeture éclair de son sweat et enfonce sa capuche sur sa tête. — Mais tu sais, t’es pas obligé de m’acheter avec du chocolat, lui dit-il en repensant à sa petite frimousse toute heureuse de faire tinter les pièces de son porte-monnaie, je serais venu avec toi, même sans chocolat. Ça sert à ça les amis, non ? Question rhétorique, évidemment que ça sert à ça les amis, Mason n’a-t-il pas prouvé à plusieurs reprises que le brun pouvait compter sur lui ? Dehors, la pluie n’a pas décoléré et Mason avance les mains dans les poches et la tête basse en suivant son ami à travers le dédalle de tombes. La dernière fois qu’il a mis les pieds dans un cimetière, il n’avait même pas dix ans et ces souvenirs restent flous. Amadeo finit par s’arrêter et Mason manque de lui rentrer dedans. — Pardon. Il fixe un moment la tombe avant de demander gentiment. — Est-ce que tu veux que je m’éloigne ? Genre, si tu veux lui parler ou quelque chose comme ça ? Madame Warden est une croyante non pratiquante qui ne parle pas souvent de sa foi, sûrement parce que Monsieur Warden est un athée pur et fier et qu’il a toujours refusé que sa femme « empoisonne la tête de ses gamins avec ces balivernes ». Du coup, Mason n’a jamais entendu parler de ce qu’on devait faire une fois devant la tombe, est-ce qu’on est supposé saluer, parler, prier ou tout simplement rester silencieux et penser très fort à la personne ? Alors il se mord l’intérieur de la joue, un peu gêné, et lance un regard de biais à Amadeo, il n’aimerait vraiment pas être à sa place.

J'ai pas eu le temps, ça passe mieux que j'ai menti ou j'avais même pas prévu d'y aller réellement. Qu'est-ce qu'il fait là, en même temps, s'il avait pas prévu d'y aller ? Peut-être qu'il voulait juste mettre le plus de distance possible entre lui et l'insupportable indifférence de son oncle, ou peut-être que ça lui trottait quand même dans un coin de la tête. C'est qu'il est passé devant le cimetière, à l'aller. Sans la moindre surprise, Mason n'a pas besoin de se faire prier pour lui accorder ce qu'il demande. Une minute plus tard, la voiture est garée et ils sortent sous la flotte. Ça sert à ça les amis. Amadeo se demande jusqu'où Mason pourrait aller pour un ami. Plus loin que lui, c'est certain. Ce qui est moins sûr, c'est qu'il mérite la bienveillance de Mason. Lui, il est incapable de sacrifice, peut-être même pas capable d'aimer vraiment, il se dit souvent. Tandis que Mason, il a l'air tout droit sorti d'un teenage movie du genre qui finit bien. Mason ne serait pas le héros, plutôt le sidekick, le meilleur ami sans qui rien n'aurait été possible — donc au fond, si, le héros. « Mais je t'achète pas ! » proteste Amadeo, en riant. « Et si ça me fait plaisir... ? » il marmonne. Il est pas des plus doués pour exprimer sa reconnaissance, mais elle est sincère dans le cas présent. Parce que Mason l'est, lui, Amadeo n'a jamais le moindre doute là-dessus, et il ne peut pas en dire autant de grand monde. Chez les autres, il soupçonne toujours au pire une intention cachée, au mieux la lassitude qui finira par les gagner et les pousser à l'abandonner.

C'est bon de rire au milieu des tombes, ça fait comme un talisman qui repousserait les fantômes les plus hostiles. C'est bon de prétendre garder le cœur léger du gosse qu'il était quand on a enterré sa mère, il y a toutes ces années, et qu'il ne réalisait pas encore vraiment ce qui s'était passé. Il lui faut un certain temps pour retrouver la bonne allée, ses souvenirs des repères visuels des environs étant assez maigres étant donnée la monotonie du décor. Au moins il n'est pas sûr que Mason ait remarqué qu'ils ont tourné en rond et fait un ou deux demi-tours inutiles. Quand finalement il s'arrête, c'est un peu brutalement, parce qu'il balayait sans les reconnaître les pierres tombales du regard et que tout à coup il a croisé le regard figé de sa mère, dont la plus belle photo trône au-dessous de son nom. Photo de mariage. Amadeo ne l'a jamais vue comme ça, du moins pas qu'il se souvienne. Elle avait les joues plus rondes, là. Lui, il ne l'a connue qu'émaciée, fatiguée, ses sourires toujours emprunts de tristesse. Mais les regrets qui passaient comme des ombres sur son visage, ils étaient tous pour lui, Amadeo.

Il ne remarque même pas que Mason s'arrête à un millimètre de lui, ne saisit pas la raison de son pardon et ne relève pas. Mais ce qui suit le fait se retourner, la mine illuminée d'un nouveau sourire. En fait, pire, il explose de rire. « Pardon. Je sais pas pourquoi je... Tu peux rester, je parle pas aux pierres. » Non, idiot, tu fais juste semblant d'en être une quelques fois, à peu de choses près. Il baisse les yeux et remarque qu'un bouquet de fleurs pas encore complètement desséchées gît sur la pierre, à côté des décorations plus permanentes — elles incluent un angelot doré, sans trompette mais ce n'est pas vraiment un hasard. Son père a dû passer récemment, finalement, ou bien un autre membre de la famille qui ne pense pas à elle qu'une fois par an. « Je sais jamais quoi faire, en fait. Je viens et je reste là, c'est tout. Mais ça faisait longtemps. » Il lui est déjà arrivé de prier, là, mais il est certain qu'elle a sa place au Paradis alors il ne peut pas faire grand-chose de plus pour elle. « C'est ennuyeux non ? » il demande à Mason avec une grimace, désolé de l'avoir entraîné là-dedans alors qu'il fait un temps de chien.

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@Amadeo Ruiz & Mason Warden

Mason ne peut s’empêcher de sourire, il se demande parfois où vit Amadeo et ce qu’il fait de son temps libre, mais les deux garçons ne parlent jamais de ça. Ils sont assez secrets, l’un comme l’autre. Mason, parce qu’il est pas du genre à étaler sa vie devant des inconnus, plus par pudeur et timidité qu’autre chose, et Amadeo, sûrement pour se protéger, ou parce qu’il a des choses à cacher. Dans le fond, on a tous un peu des choses à cacher, mais Mason sent bien qu’Amadeo tire un long bagage derrière lui, comme s’il portait un fardeau, quelque chose qui lui bouffe la vie et dont il ne peut se défaire. Pourtant, le brun ne l’a jamais interroger là-dessus, il parlera quand il sera prêt qu’il se dit, un peu comme son amie Nana. — Alors si ça te fait plaisir, j’accepte. Amadeo est plus jeune que lui et c’est dans ces moments que ça lui revient à Mason, parce qu’il a l’air innocent, presqu’enfantin quand il rit comme ça. Parce qu’à chaque fois que Mason le voit, il semble sérieux, presque triste, toujours sur ses gardes. C’est peut-être le cimetière ou la proximité de sa mère qui lui fait faire tomber ses barrières comme ça, ou tout simplement que Mason a réussi à percer un petit trou dans la carapace qu’il s’est forgé, allez savoir.

Et puis soudain, il s’arrête, mais c’est pas son arrêt brutal qui te fait sursauter mais son rire. Son rire qui se perd dans les bourrasques de pluie et les rafales de vent qui vont entourent, son rire qui paraît tellement insouciant au milieu de toutes ces pierres tombales. Il l’a pas souvent entendu rire Amadeo, et c’est bien le dernier endroit où il s’attendait à le voir faire, céder à l’hilarité pour oublier sa peine. — Non t’excuses pas, t’inquiètes… J’imagine que c’est normal de craquer dans ce genre d’endroits. En réalité, il en sait rien Mason, mais c’est sûrement pas le moment d’avoir ce genre de conversation, si ? — Ah d’accord. Il est étonné le brun de l’entendre dire ce genre de choses, lui qui l’imaginait très croyant, pratiquant même. Il s’imaginait qu’avec ses habitudes quelques peu différentes, Amadeo serait le premier à croire à la vie après la mort ou aux disparus qui veillent sur nous et nous entendent, toutes ces choses qui paraissent abstraites à Mason mais qui pourrait avoir tellement de sens aux yeux d’un ange comme Ama. En même temps, il se demande bien ce qu’on peut dire à un mort, est-ce qu’on lui raconte sa journée ou est-ce qu’on pleure en implorant le ciel ? Finalement, il est plutôt content que son ami ait décidé de ne rien dire, il aurait été trop gêné, Mason. — Peut-être que ça suffit d’être juste là ? Je t’avoue que je suis pas très croyant alors… je sais pas trop ce qu’on est censé faire ou dire. Il a été honnête sur le coup Mace, il espère juste qu’il aura pas choquer Amadeo et sa belle âme. A sa question, Mason sourit et hausse les épaules. — Disons que le temps n’est pas idéal mais ça va, j’ai connu pire. Ça fait du bien un peu de calme parfois, tu n’trouves pas ? C’est vrai que depuis le cimetière, on n’entend ni les bruits de circulation, ni ceux de la rue et de ses passants. Mason garde le silence un moment puis finit par poser la main sur l’épaule d’Amadeo pour attirer son attention, la pluie s’abattant trop bruyamment sur sa tête. — Est-ce que ça va ? Il se sent un peu con de demander ça dans un moment pareil.

Mieux que les rires qui ricochent sur les pierres tombales, la simple présence de Mason, qui sait pas trop quoi faire ni où se mettre, mais sa présence rassurante quand même. Amadeo hoche la tête quand Mason lui assure que c'est normal de craquer dans cette situation, prêt à le croire parce qu'il préfère ne pas penser qu'il est un peu fou ou sans cœur. Reste que ça lui paraîtrait plus normal d'éclater en sanglots que de rire, mais on peut pas reprocher ça à un pauvre gosse comme lui, hein. Pas Mason, en tout cas. Dans son ombre, Amadeo ne ressent que bienveillance et compassion, et comme il aime se faire plaindre et sentir qu'on prend soin de lui, il s'y sent parfaitement à son aise. Contrairement à son ami ici-même. Pas très croyant, pas de quoi étonner Amadeo qui traîne avec pas mal d'impies et autres athées, et qui est loin d'être un bon catholique lui-même. L'ambivalence gouverne sa foi. « Je sais pas si la religion compte vraiment pour se recueillir sur une tombe, même les athées rendent visite à leurs morts nan ? » Il ne pense pas immédiatement à la question sous-jacente lancée sans le moindre tact : et tes morts à toi, y en a, c'est qui, tu leur rends jamais hommage ? C'est seulement après coup qu'il se le demande en posant son regard curieux sur Mason. Il lui en pose pas tellement, des questions. Il sait qu'il a une sœur plus jeune, dont il est peut-être un peu gaga, et ça conforte Amadeo dans son envie de jouer les petits frères pour ce type qui semble être fait pour ouvrir son grand cœur à qui veut. Mais il ne sait pas grand-chose de sa vie personnelle, finalement, parce qu'il ne lui donne pas beaucoup de raisons de se poser des questions. Mais là, tout à coup, alors que Mason comme d'habitude ne s'intéresse qu'à lui — est-ce que ça va ? —, la moue d'Amadeo trahit une certaine curiosité, éveillée par il-ne-sait-quoi. Il se penche en avant pour effleurer brièvement la pierre et la photo de sa mère, puis il se redresse. « Oui, ça va. J'suis content d'être venu, on peut repartir se mette au sec si tu veux. » Il ne s'est pas vraiment recueilli, pas comme les quelques fois où il est venu avec son père ou Fernando, qui s'agenouillent toujours devant la tombe en prière, son père en silence, Fernando récitant parfois quelque prière appropriée. C'est pas qu'Amadeo est précieux, mais il a pas très envie de se tremper les genoux plus que nécessaire en les imitant, et puis ça lui semble quand même trop intime pour faire ça en présence de quelqu'un d'étranger à la famille. Au moins il a rendu visite à sa mère, c'est déjà un bon point sur sa carte d'entrée au Paradis, sans doute. Et surtout, dans l'immédiat, sa mère est repassée au second plan et Mason au premier. « T'es pas souvent au calme toi ? il lui demande, intrigué par sa remarque. J'espère que t'en trouves ailleurs que dans les cimetières quand même, » il commente d'un ton léger.