lumière bleue (lazare)

Y a des relans de fierté qui lui traînent aux basques, la retiennent encore quelques secondes. Pourtant il ne devrait plus y en avoir après la dernière fois. Surtout parce que c’est un étranger. Elle hésite, les talons qui usent le parquet de son appart pourri. Tourner en rond, les mêmes pensées qui font des boucles dans le labyrinthe qu’est sa tête. Encore encore encore encore. C’est la troisième fois en même pas deux mois que Rafael disparaît sans donner signe de vie. Et aujourd’hui, ça fait trois jours. Trois jours qu’elle inonde son téléphone alors qu’elle s’noie dans ses propres poumons. Elle sait même pas si ce sont vraiment ses pensées de “traumatisée” (comme dirait Malcolm) qui torturent le plus sa tête, ou si c’est l’effet de toutes ces hypothèses inarrêtables sur son coeur qui la bouffent le plus. Certainement les deux. Elle a perdu l’appétit dès qu’elle a commencé à s’faire manger par tout ça. Ça l’écrase de l’extérieur. Ça la grignote de l’intérieur. Se sentir encore enfermée en prison, se faire écrabouiller, se désagréger… Ces sensations s’accentuent comme une courbe mathématique qui grimpe en flèche, tout se mélange petit à petit à mesure que le temps passe... Ça s’entasse sur ses os une nouvelle fois de trop. Un jour, ça signera sa fin.

Mais peut-être pas tout de suite. Quand elle attrape ses clés de voiture, ses doigts se cramponnent un peu plus à un bout de papier noirci de chiffres. L’air qui s’engouffre dans l’habitacle ne suffit pas. Ça a même l’effet inverse, alors elle accélère jusqu’à la rue de la supérette. Plus que quelques mètres, et sa respiration sifflante pourra peut-être se taire. La tension qui la crispe, lui permet de bouger, tenir debout, toute articulée, c’est tout ce qui lui reste quand elle déboule comme une balle dans le magasin. Cible repérée et vite rejointe. Les doigts encore plus fébriles et désespérément suspendus au bout de papier que ce qu’elle laisse transparaître. Enfin elle croit. Elle sait pas, elle sait plus. Elle s’en fout. Il a déjà vu pire. J’respire plus. Le sifflement meurtri qui surgit du fond d’sa gorge et l’aveu qui perce au même moment. Elle pourrait pas s’montrer comme ça devant Eka ou devant n’importe qui d’autres qui la connaît depuis des lustres. Elle peut plus compter sur Malcolm avec qui exploser. Elle peut pas s’montrer faible devant eux. Elle peut pas les inquiéter, laisser ce qui la mange, les manger aussi. Alors que devant celui qui l’a déjà repêchée, celui qui lui a laissé son numéro pour bouée… Elle a pas besoin de faire de secrets. La force et la fierté déjà morcelées, elle ne saurait pas le reconnaître ailleurs qu’ici.
Elle a pas réussi à l’appeler. Mais elle a réussi à venir. C’est peut-être dans ses gênes de constamment se débattre. Olivia ne fait que ça. Lutte constante depuis toujours, pour elle, les autres, ses rêves, les leurs. Et puis elle-même. Mais peut-être qu’elle devrait arrêter, juste tout stopper. Est-ce que je coulerais si j’fais ça ? Et c’est tout ce que Lazare peut voir dans l’émeraude chauffé à blanc d’ses yeux. Détresse qui tremble, suffocante, trop brute, comme offerte sur un plateau. Fallait pas t’servir la première fois. T’inquiète- … demande pas un câlin- … juste- Les mots lacérés et le recul qui la démange. Son conflit. Elle sait pas, elle sait plus quoi faire. De l’air, du temps, une distraction, des solutions… Une façon de gérer ce qui la dévore.