Rez - Blessed be the fight

01_ Ça a failli être la dernière de la famille Rez, à huit minutes près. Huit minutes qui la séparent de Mihail. Huit minutes qui lui ont donné une date d’anniversaire différent de celle de son frère jumeau. Ces mêmes huit minutes qui lui ont permis de l’envoyer balader lorsqu’il se faisait presque étouffant avec elle « J’suis grande, j’sais ce que je fais ». Parce qu’il peut être étouffant Mihail, possessif, presque jaloux et puis disparaître de sa vie sans un mot jusqu’au prochain équinoxe. Elle lui en a voulu au début, parce que c’était leur façon d’être tous les deux, il la surprotégeait et elle faisait mine de ne pas en avoir besoin. Elle s’est habituée, elle a grandi, parfois sans lui, sans peur de l’abandon pour autant. Rez sait maintenant lui dire au revoir sans se battre et l’accueillir à bras ouvert lorsqu’il revient. Quoi qu’il arrive, elle garde toujours un œil sur son petit frère. « Fais çe que tu veux de ta vie, mais fais pas de connerie ». Mihail, c’est son double. On dit qu’on ne devrait pas avoir de frère ou sœur préféré pourtant, sans hésiter une seule seconde, c’est celui qu’elle sauverait s’il ne devait qu’en rester un.

02_ Il n’y en a pas qu’un dans la famille. Non, ils sont 9 en plus de leurs géniteurs. À défaut d’être belle, c’est une grande famille. C’est bruyant neuf gamins dans une baraque trop petite à North End. Ça va vite et ça doit filer droit, pas le temps pour la découverte, la réflexion, les moments d’accalmie. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle n’a jamais passé un moment tendre avec son père, profondément misogyne – traditionnel dirait-il. C’est comme ça en Roumanie, les hommes sont forts et virils, les femmes s’effacent au profit de leurs pères, frères, maris… Mais elle n’a jamais voulu faire la vaisselle et ranger sa chambre pendant les entraînements des garçons Rez. Malgré tous les efforts de son père pour transmettre sa vision du monde, ce n’est jamais rentré dans sa tête et elle s’est construite en opposition à ce dernier. D’abord par simple envie de se rebeller, puis par conviction.  

03_ Son père l’a malgré lui rendue militante. Depuis qu’elle sait lire Rez emprunte des bouquins à la bibliothèque pour découvrir le monde autrement que par les yeux de son père – sa mère n’a jamais été présente, et l’aînée qui l’avait remplacée a eu la bonne idée de finir derrière les barreaux à ses huit ans. Alors elle lit, des livres, des articles, des blogs., tout ce qui lui passe sous le nez. Non la Roumanie n’est pas un pays d’arriéré, c’est juste son père, non les femmes ne sont pas des objets fragiles et inanimés, non la société dans laquelle elle vit n’est pas condamnée à rester ainsi. Au fur et à mesure de ses découvertes, sa conscience politique s’éveille, sa colère aussi. À quinze ans elle manifeste pour la première fois ; contre le port d’arme. Depuis, elle n’a jamais vraiment quitté le pavé. Elle est persuadée qu’en faisant preuve de ténacité elle arrivera à changer le monde, en commençant par sa ville de Détroit en ruine.

04_ C’est son militantisme qui l’a menée au code. On lui a présenté de façon désintéressée au début dans son association, comme un truc en vogue : à l’ère d’internet il faut savoir coder. La vérité, ce que ses capacités servent désormais dans les actions « coup de poing » comme ils disent. On lui a montré qu’elle pouvait agir autrement qu’en brandissant des pancartes dans la rue. Si on sait comment sont construits les ordinateurs, les réseaux, les sites internet, on sait aussi comment ils peuvent être brisés. Ce n’est pas une hackeuse de renom mais elle connaît de nombreuses portes secrètes qui lui permettent de s’amuser un peu sur des domaines qui ne sont pas les siens. Et accessoirement, elle maintient le site de son association.

05_ Assez logiquement, Rez s’est dirigée vers des études de sciences politique au Community College de Detroit. C’est en devenant experte de son sujet que l’on peut déstabiliser l’ordre établi non ? C’est en apprenant comment fonctionnent les rouages de notre société que l’on peut déceler les failles. Aucun système n’est parfait, ça elle n’a pas eu besoin d’user les bancs de la fac pour le savoir. Alors elle cherche la faille avec assiduité, mais il faut bien l’avouer ce n’est pas une mince affaire.

06_ La seule faille qu’elle a trouvé pour l’instant, c’est que le contre-pouvoir populaire est une illusion. Ils ont le droit de manifester, cela n’oblige personne – et surtout pas les concernés – à les écouter. Alors il faut les forcer. User d’autres moyens plus persuasifs, mettre plus de pression, … Au fur et à mesure, sa colère se transforme en rage et Rez se radicalise. Elle participe à des actions plus dangereuses, franchit les barrières qu’elle s’était auparavant imposées, unes par unes. Il faut leur faire peur à ces salauds, il n’y a que comme ça que la vermine dégage. Du moins c’est ce qu’elle a conclu, à force de l’entendre répéter autour d’elle, à force de marcher et d’afficher des pop-up sur les sites institutionnels sans aucun résultat.

07_ Elle a un mode vie décousu Rez. Elle a beau encore habiter chez les parents, cela fait bien longtemps qu’elle n’est plus réglée sur des horaires normaux. Elle arrive aux repas la figure enfarinée, touche à peine à tous ses plats immondes que prépare sa mère – Rez vous déconseille la cuisine roumaine – et préfère grignoter tout ce qui peut bien lui passer sous la main. Elle se nourrit volontiers de pâtes, pizza et de toute la junk food que peut bien offrir ce beau pays qu’est l’Amérique. Lorsque papa a foutu des clopes dans le bec de Mihail, elle a commencé à rallumer les mégots et depuis elle fume Rez. Pas d’alcool par contre, elle n’a jamais trop compris l’intérêt de se rendre malade et d’oublier ses soirées. Il se peut qu’elle ait accepté quelques lignes de coke de ces startupper à qui elle a codé des sites web, en afterwork, mais rien d’autres de psychotrope. Elle n’a jamais ressenti le besoin d’altérer sa perception pour aller mieux ou « profiter ».