tell the wolves i'm home.

(cette partie est obligatoire, vous devez remplir au moins 7 anecdotes, mais vous pouvez en faire autant que vous voulez si vous êtes inspiré)

01_Poppy a toujours vécu à Detroit, pourtant elle rêve d’ailleurs. Pas de manière maladive, seulement elle est persuadée que quelque chose a contrarié les astres en ce qui concerne sa petite vie. Elle aurait été bien plus à sa place dans le Mississippi natal de sa mère, proche de la branche de sa famille qui lui ressemble le plus. Pourtant Detroit reste chez elle, là où se trouve son cœur et sa maison. Elle n’envisage pas de partir voir ailleurs, ou peut-être n’en a-t-elle simplement pas le courage ?

02_Elle vit dans une petite maison qui ne paye pas de mine de l’extérieur mais qui a l’avantage de ne pas lui coûter trop cher en loyer. Si la façade décrépie ne présage rien de bon, l’intérieur a le mérite de s’être laissé transformer au grès des envies de Poppy. Plus important encore, le minuscule jardin aux deux tiers dallés par les anciens locataires. Pleine d'ambition, la jeune femme a redoublé d’imagination pour pouvoir y faire pousser toutes les plantes qu’elle utilise quasiment au quotidien. Ce n’est pas le plus beau des jardins, mais on ne lui enlèvera pas le fait d’avoir essayé et de ne pas trop mal réussir.

03_La famille Strauss est divisée en deux : d’un côté les descendantes des Bassett, la mère et l’aînée, pour lesquelles la meilleure des occupations est de s’occuper de leur jardin ou bien de préparer de nouveaux mélanges d’huiles et de fleurs – de l’autre le père et la benjamine qui partagent bien plus volontiers des dimanches à jouer au baseball ou résoudre des équations mathématiques. Pourtant c’est une drôle de famille unie. Si Poppy ne comprend pas l’intérêt d’une équation, elle ne se fait pas prier pour aller voir les matchs de baseball de sa petite sœur et pour l’encourager de toute la force de ses poumons. Les Strauss c’est une petite famille qui fonctionne sans trop savoir comment sinon avec pas mal d’amour.

04_Poppy c’est la sorcière de ton quartier et c’est bizarre parce qu’elle a pas du tout le look qui va avec. Adieu la vieille hideuse, ciao la hippie défraichie, Poppy c’est la sorcière p’tite meuf, lunettes de soleil sur le bout du nez et rouge à lèvres carmin. Elle fait pousser des plantes aux vertus inconnues, tire son jeu de tarot plus souvent qu’à son tour, prétend lire l’avenir dans la mousse de bière et les restes de paquet de tabac. Elle a ce truc bizarre qui fait qu’on la prend à moitié au sérieux mais elle laisse à chacun le soin d’y croire ou non. Elle se contente de son petit chemin tant que personne ne l’embête avec ça. Elle espère seulement que Detroit ne régressera pas au point de lancer une chasse aux sorcières. On est sûr de rien.

05_Dernière heure de l’après-midi, un mardi, au collège. Tout le monde est sorti, seuls restent les suppliciés, obligés de rester en cours de soutien. La plupart des élèves sont en train de quitter leurs salles et le collège. Alors quand les deux premiers coups retentissent, personne ne les identifie immédiatement. Le professeur lève un sourcil puis continue son explication du théorème. Quand un troisième puis un quatrième coup se font entendre suivies d’un bruit de verre qui éclate et de cris, toute la classe semble soudain comprendre leur origine. Alors c’est la panique qui s’empare des élèves. Poppy n’y échappe pas. Elle comprend qu’à quelques dizaines de mètres d’elle, un fou furieux est en train de tirer sur ses camarades pendant qu’elle est en cours de maths. Les réflexes de l’enseignant sont à saluer, intimant aux adolescents de s’aplatir sous leurs tables sans bruit. Vingt-trois minutes plus tard, qui semblent une éternité, la tuerie prend fin.

06_Poppy garde une trace profonde de son confinement lors de la fusillade. Plus de dix ans plus tard elle a la sensation de se souvenir de chaque détail et d’en même temps ne voir que les contours flous de l’événement. Si les foules ne la paralysent pas, elle s’en méfie néanmoins, guettant un tireur entre chaque passant. Aux grandes soirées remplies de monde, elle préfère l’intimité rassurante d’un petit bar ou d’un appartement. Aux grands malls bondés, elle préfère son épicier même s’il est un peu plus cher. C’est l’expérience de l’enfermement dans la terreur qui la marque plus encore. Le coquelicot n’aime que les vues sur nature. Peu de portes sont fermées chez elle, toujours au moins entrouvertes. Mais le pire fut probablement le deuil. Dans ce groupe de copines où elles étaient quatre, Kami est restée se vider de son sang sur le parvis du collège où elle a rendu son dernier souffle, seule et probablement terrifiée. Loren tenait la main de sa mère quand c’est arrivé, sur son lit d’hôpital. Terrifiée elle aussi de perdre la vie après cette fusillade, mais ne sentant déjà plus ses jambes et ses poumons la noyant dans son propre sang. La troisième des Grâces ne fût pas touchée par les balles, mais ses parents la changèrent immédiatement d’établissement. Peut-être même de ville. Ne resta plus que Poppy, obligée de réapprendre à faire un pas après l’autre dans sa vie après l’horreur, sans ses amies.

07_Poppy ce n’est pas une survivante. Elle était seulement là au mauvais moment. Elle s’apitoie pas, elle ne gratte pas de compassion. A vrai dire elle n’en parle pas. A présent elle est bien plus occupée par les plantes qui marinent dans sa cuisine et les appels qu’elle doit prendre pour faire des prédictions ratées. Elle a ce mélange d’illumination et de résignation dans le regard. Elle a conscience de l’état dans lequel se trouve Detroit, de la dangerosité des rues, de la tension qui gronde et qui enfle. Elle n’est pas inconsciente et ne tire pas le diable par la queue (seulement quelques rituels de temps en temps), elle n’est pas non plus d’un courage sans faille, prête à s’opposer toute seule à la violence et aux gangs. Mais elle a cette légère folie dans la gorge, celle qui susurre à l’autre bout du téléphone, ou bien celle qui la pousse à interagir avec des inconnus dans la rue. Celle qui ne met pas tout à fait à l’abri mais qui lui permet de vivre des petites aventures de tous les jours. Poppy, elle fait sa petite vie bien déterminée à construire sa propre perception du bonheur, à sa manière.