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 l'anniversaire (ltf)

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MessageSujet: l'anniversaire (ltf)   l'anniversaire (ltf) EmptyLun 16 Déc - 0:37

L'ANNIVERSAIRE

dans la peau d'une autre


L’heure c’est l’heure. Avant ça compte pas. Le problème c’est qu’en regardant la montre à son poignet elle s’aperçoit que la grande aiguille est à quelques traits de quarante-neuf, alors elle monte les marches deux à deux. Manque de se casser la gueule dans ses petits escarpins et sa jupe tailleur.
La clé elle a du mal à l’enclencher dans la serrure, elle veut pas rater ça. C’est qu’une fois l’an, c’est que à cette occasion qu’elle s’autorise à y penser. À se rappeler le son de sa voix ou la manière qu’il avait de lever les yeux au ciel. Finalement elle réussit à ouvrir cette porte et rentre à l’intérieur de son appartement. Elle lance un mot en arabe mais personne ne lui répond. Y’a plus personne ici.

Il lui reste une minute, alors Zohreh a pas le temps de s’attarder sur la vaisselle qui traîne ici et là dans l’évier, ni sur les cendres de clopes éparpillées un peu partout comme les multiples traînées de poudre destinées à allumer un bûcher et un seul. Tout ce qu’elle fait, c’est accrocher rapidement son sac à main au porte-manteau de l’entrée, balancer les chaussures qui creusent ses talons et lever sa veste. Le sac de course qu’elle a dans la main droite, elle le pose sur le comptoir de la cuisine très délicatement. Un coup d’œil à sa montre et la trotteuse cavale. Sort la part de gâteau du sac de provisions et trotte elle-même jusqu’à la petite table à manger.

Elle pose son cul devant une part de gâteau et avant qu’elle se rende compte qu’elle a oublié la fourchette pour le manger, il est déjà 17h49. Le souffle qu’elle retenait jusqu’à présent, il s’exfiltre d’entre ses lèvres serrées. Le dos se relâche, tombe contre le dossier de la chaise et les pieds enchâssés dans des collants chairs se détendent avec. Eh merde. Dans la poche de sa chemise elle tire une paquet de clope et une boîte d’allumettes. Met feu à l’une avec l’autre.

Quand elle se rassied, elle a une fourchette, il est 10h55. Passé plus de cinq minutes à s’insulter, à se dire qu’elle a tout raté. 365, peut-être 366 jours à attendre pour rattraper l’acte manqué de 2019. L’a même pas allumé de lampe pendant qu’elle était levée ; maintenant qu’elle est installée elle ne veut plus se relever. Fait que le soleil tombant, la pièce s’assombrit déjà. Et y’a une femme d’une cinquantaine d’années assise devant une part de gâteau, une fourchette à la main, une cigarette dans l’autre. À observer le genre de connerie qu’on achète quand on est célibataire le soir de la Saint-Valentin. Pourtant elle ne fête pas l’attente de l’être aimé, elle pleure sa mort.

Zohreh a l’idée de craquer une nouvelle allumette et de la plante toute étincelante dans le cœur du gâteau. Elle sait qu’elle n’y touchera pas, l’aime pas. Et puis c’est pas pour elle, ce gâteau. C’est pour lui.
Six ans qu’il est mort. Six qu’il s’est tué. En comptant les ans elle essuie une larme qui glisse le long de sa joue fatiguée, manque de se brûler avec la clope qui continue de se consumer. Comme les années qui passent les cendres tombent et elle avec, petit à petit, dans une tombe qu’on a creusé pour elle.

Aujourd’hui on est le dix-neuf janvier 2019, 17h49 passé, et elle fête l’anniversaire d’un mort. De celui qui l’a lâchement abandonnée. Elle qui a tant donné. Fêter son anniversaire c’est se souvenir une fois par an qu’il a existé mais qu’il n’est plus. Le seul moment de faiblesse qu’elle s’accorde.
Aujourd’hui elle se rappelle la mort de son fils.
Six ans déjà qu’Ijar s’est tué en voulant en tuer d’autres. En tuant son père, en le poussant au bout d’une corde.

Il est mort à la seconde près. À la seconde où il a dit « je crois que je suis », Zohreh a su. L’intuition d’une mère qu’elle a voulu faire taire toutes ces années alors qu’elle aurait pu faire tant de choses. Avorter, le donner à quelqu’un d’autre. Qu’on lui enlève le poids qu’il serait avant même qu’il le devienne.

Et puis qu’il se la prenne dans le cul n’a pas suffit.

Il a fallu qu’il veuille tuer pour ça.

En pleurs parce qu’il se doutait avoir causé le suicide du père, l’est mort à la seconde près où il lui a dit qu’il aimait les hommes.

Depuis chaque année Zohreh allume une bougie, craque une allumette qu’elle plante dans le gâteau favoris de son fils. Pour se rappeler qu’elle en a eu un, qu’il a sûrement été normal un jour au moins. Alors elle s’attache à ce jour-là. Se demande si c’était quand il était bébé, à cinq ans, à dix ans.

Elle reste comme ça à regarder une part de gâteau orpheline jusqu’à, quoi, six heures et quelques. Puis dans la pénombre elle jette ce souvenir dans la poubelle. Tout entier. Comme jadis elle a jeté son fils hors de sa vie.

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