un saut dans le vice (iraj)

C'est comme tenter de remplir un seau percé. Tous les billets qu'il arrive à grappiller s'évaporent trop vite – et systématiquement dans la came. Il voit les factures qui s'accumulent, qui jonchent la table de la cuisine sans que lui ou Barbra n'y prêtent attention, les mentions dernier avertissement qui ornent les papiers en gros en rouge. Il s'en fout. Tout ce qu'il veut c'est se flinguer le cerveau, et il a beau voler l'argent de Barbra et racketter toutes les brebis galeuses qui ont le malheur de croiser sa route, ça suffit pas. Ça suffit plus. Ses poches sont aussi trouées que le creux de son coude. Plus il en prend, plus il en a besoin, plus il s'enfonce. Et les cinq balles par-ci, vingt balles par-là ne lui paient même pas un gramme.

Ça devient critique. Assez pour qu'il fasse quelque chose de stupide.

Y a pas vraiment de plan. Tout ce qu'il sait, c'est que l'épicerie est une cible facile. Pas de caméra, peu ou pas de clients à partir d'une certaine heure, et Iraj qui ne risquera probablement pas sa vie pour un commerce qui n'est même pas le sien. Il a voulu acheter un flingue. Mais ça coûte cher et il n'a pas le temps d'amasser assez de billets pour ça – pas alors qu'il en manque cruellement et que c'est justement ce qui le pousse à faire tout ça. Alors il s'est rabattu sur un faux. Moins de trente dollars et assez convaincant au premier coup d'œil, métallique, de type glock ; y a juste des billes à la place des balles. C'est ridicule mais ça fera l'affaire. De toute façon, il ne compte pas avoir à presser la gâchette.

Une cagoule accompagne le jouet dans la poche de son sweat, dont il a rabattu la capuche sur sa tête. Il pleut, les quelques passants se pressent, ne le regardent même pas. Il s'abrite sous la devanture d'une boutique sur le trottoir d'en face, et il attend, clope au bec. La nervosité le rend fébrile, ses muscles qui se tendent sous sa peau, ses ongles qui viennent gratter son bras par intermittences, avec une frénésie latente. Le sac négligemment perché sur son dos est vide, mais il semble déjà peser une tonne. Au fond il sait que c'est une mauvaise idée. Il n'a rien préparé. Il n'a même pas de plan de fuite – plus de voiture depuis que les Kids ont pris celle de Barbra, et pas le temps ni l'énergie d'en voler une autre, pas alors qu'il a les neurones parasités par le manque. Y a comme une p'tite voix qui lui dit d'arrêter, de prendre le temps de mieux programmer son casse foireux. Mais elle est noyée par le brouhaha qui fait rage dans sa tête.

Alors il reste.

Et quand le ciel est noir, quand les gens se font rares, il se lance. La cagoule a été enfilée sous sa capuche, ses doigts se crispent sur la fausse arme dans sa poche. Il a le pas vif et l'allure rigide, les gestes violents quand il franchit la porte de l'épicerie. Ses yeux se posent sur Iraj installé derrière la caisse, et comme chaque fois qu'il le voit, il a une envie aussi soudaine que viscérale de lui arracher la gueule. Une inspiration pour se contenir. Une expiration quand il brandit enfin le flingue. – Bouge pas. D'un mouvement d'épaule, il retire le sac pour venir le plaquer devant Iraj avec sa main libre – la gauche, ornée d'une sale balafre difficile à ignorer. – Vide la caisse. Il se recule d'un pas, le canon toujours braqué sur sa cible. Le rush d'adrénaline est plus puissant qu'il l'aurait cru. C'est galvanisant, comme un shoot de bas-étage, la mise en bouche qui laisse sur sa faim. Il en vient à regretter de n'pas avoir une vraie arme – ça aurait sûrement tout décuplé. Il se console en se disant qu'il pourra bientôt se rassasier et éteindre l'incendie qui lui fond la cervelle. Iraj va remplir le sac de billets, il va le récupérer, puis se casser et disparaître dans la nuit. Rien de compliqué. En théorie.