sound of silence (lee)

La nuit fut courte - et plutôt bruyante. Et le matin fut dur et tout aussi bruyant. Lee a le don de casser les oreilles, elle parle, parle, parle, sans jamais s’arrêter. Draxter se demande si elle n’a pas un bouton OFF qui traine quelque part, mais apparemment, ce n’est pas le cas. Il pourrait très bien l’embrasser, la déshabiller et la baiser contre la table de la cuisine mais il n’en a pas très envie, n’en a pas la force et n’est même pas sûr que cela la fera taire. Pourtant, il ne dit rien, quelque part, ça met de l’animation dans son appart’. Ça change des aboiements de Rex,  de la musique trop forte du voisin du dessus,  de Malcolm qui tape contre les murs ou de sa PS4 qui tourne en fond. Donc il la laisse parler, fait semblant de l’écouter, réagit parfois vivement à coup de « Hmm » « Ouais » « Ah »… Il a le maigre espoir de la décourager, mais cela semble peine perdue. Alors il se mure dans son silence et boit son café dans son coin. Elle connait bien la baraque maintenant, elle sait où se servir avant de partir faire la catin sur Internet. La règle numéro un de Drax c’est de ne pas laisser dormir les filles dans son appart’, même s’il est tard, même si c’est la nuit noire,  même si elles sont jeunes, fraiches et trop jolies pour ne pas avoir de problèmes. C’est surement pour cela qu’ils n’ont pas dormi de la nuit, qu’ils ont couché ensemble pendant des heures et des heures. Il est tôt, les premiers rayons viennent à peine de se lever et Rex dort encore sur le canapé. Il permet à Lee de toujours rester quelques heures, pour prendre un café ou bien un chocolat - même s’il n’a jamais de chocolat. Et elle parle, parle, parle encore et toujours. Peut-être qu’au fond, il aime un peu ça. Ça le rend un peu moins seul, même si ça l’agace. Mais aujourd’hui, elle lui donne mal à la tête Lee, chérie, tu peux fermer un peu ta gueule ? Et puis comment elle fait pour avoir autant de débit ? Il n’est même pas sûr que sa dernière conquête en ait eu autant, pourtant elle lui avait sorti toutes les insultes possibles et imaginables en quelques secondes chrono. Il pensait qu’elle détenait le record mais finalement la compétition est plus rude qu’il ne l’aurait imaginé. Il pense que son mal de crâne va passer avec un peu de silence et un joint. Il s’en prépare un, ça calmera les nerfs, il en a besoin en ce moment.

T’as toujours pas de chocolat ? Qu’elle lui demande la gamine aux mille vies, au teint blafard et aux plaies béantes qui dégoulinent de son coeur. Ça lui hérisse le poil d’entendre cela, peut-être parce qu’à force elle devrait le connaitre et peut-être parce qu’en général, il n’accueille pas les gamines de douze ans dans son taudis, dans cet appart’ de fortune où trainent des plans à tout va, un chien et son lascar. Il aurait voulu lui hurler de nouveau de la fermer mais faut croire que Lee, à l’aube de sa jeunesse, a l’âme aventurière. Ou bien elle rêve, elle souhaite rêver avoir une conversation avec un homme, quelqu’un qui l’écouterait vraiment, qui lui parlerait de monts et merveilles. Il aimerait lui hurler qu’il n’est pas ce bonhomme-là, qu’elle a toqué à la mauvaise porte, sucer le mauvais mec. Elle récolte seulement les bribes du mépris, et c’est déjà pas mal venant de Draxter. C’est même déjà une aubaine pour elle de pouvoir boire un café chez lui. Au lieu de cela, il reste silencieux et continue à préparer son joint, coller la feuille afin de se l’allumer et planer, même quelques secondes.
Pendant ce temps, Lee fait sa vie. Elle n’a pas l’air de vouloir prendre le café, alors elle cherche à combler le vide. Ce qui est tout à fait stupide puisque le vide ne vient pas de l’appartement, mais d’elle-même. Drax, hormis la culbuter de temps en temps, il ne comble pas grand-chose. C’est tout ce qu’il peut faire, de son côté. Déjà, il la laisse un peu vagabonder, errer comme un fantôme dans son antre. C’est l’histoire d’une heure, parfois deux quand il est concentré sur autre chose, et ensuite, elle se barre parce qu’elle a autre chose à faire - ou à se faire faire. Il sait que c’est pas d’sa faute à cette gamine, c’est qu’une petite camée qui donne de son cul pour survivre dans cette vie de merde, sûrement parce qu’elle n’a pas eu le choix ou l’ambition de faire autre chose. Drax s’en fout : il profite de cette vie de merde pour bouffer son corps quand il se sent un peu trop seul la nuit. Et c’est très bien pour lui. Ça fait combien de temps qu’il est là le croc-monsieur mutant ? Parce qu’il tourne au vert là j’crois bien qu’il fait un bad trip à ta piaule là. Elle se sent un peu comme chez elle, ouvre les frigos, attrape des tasses pour y marquer des conneries. Drax n’y fait pas attention, ce qui l’intéresse ce sont les premières taffes de son joint qui feront effet d’ici quelques instants. Elle n’arrive même pas à capter son attention quand elle propose de faire des oeufs. De toute manière, il n’a pas faim. L’alcool danse encore la Macarena dans le fond de son bide. Il entend alors les frétillements des oeufs dans la poêle. Poêle qu’il avait volé à son petit frère. Voler parce qu’il ne le lui a jamais rendu ; et Malcolm ne l’avait jamais réclamé. Peut-être qu’il avait oublié… On dirait les oeufs dans l’âge de glace. T’as regardé ? C’est dans ces moments-là qu’il remarque qu’il ne baise pas avec une femme mais une gamine. Ça a tendance à le dégouter mais faut dire que Lee est bonne au pieu, alors il fait abstraction. Putain mais t’as quel âge, sérieux ? Sa question n’attend pas de réponses particulières, c’est seulement un moyen de la faire taire. Mais c’est peine perdue, elle commence à avoir l’habitude des petites piques, des fois où il grommelle dans son coin, de sa mauvaise humeur et de son silence. Alors il préfère retourner à son café et lui laisse les oeufs. Elle continue dans sa lancée, parle au chien (c’est bien sa veine), fait aboyer le chien et se la joue meuf malheureuse alors qu’elle a pu se faire des oeufs chez lui. Tendez la main, on vous bouffe le bras… Il connaissait la chanson pourtant. Ils font pas tant de bruits les voisins c’matin, ‘fin moins que nous hier ça c’est sûr. Hmm. Et c’était sûrement la meilleure chose qui soit : faire du bruit. Les gens comme eux ne pouvaient faire que cela : faire du bruit. Gueuler. Hurler. Et de toute manière, ils avaient beau être des experts on ne les entendait pas. Pire : on les ignorait. Ils sont silencieux, c’est pour ça que ce sont des bons voisins. Ose-t-il dire. Des fois, il entendait des cris, des engueulades, de la musique, des drogués qui gueulent, son frère à côté, mais Drax savait aussi en faire autant. Alors chacun se rendait la pareille. Mais c’était le soir que le monde commençait à s’animer. Ils avaient des nuits bien plus vivantes que les jours. Eux ne se plaignent pas quand je ne leur parle pas.