desafinado. (nisa)

— Ay mama ! C'est pas ma p'tite copine.
— T'es sûr ?
— Qu- comment ça j'suis sûr ? Évidemment que j'suis sûr.
— Bon, tant mieux. Ramène une petite mexicaine a tu padre, ça lui ferait plaisir.
Je soupire bruyamment.
— Et Rosie, comment elle va ?
— Laquelle de Rosie ?
— Nino ! A ton avis.
— La poule va bien.
— Idiota !

Je me marre pendant qu'elle m'engueule, avant de lui donner des nouvelles de Rozenn et de lui promettre de venir les voir très vite avec Beni. Si je n'y vais pas au moins une fois par semaine, ma mère se sent trahie. Elle peut parfois devenir la pire des tragédiennes, un vrai don. Quelques derniers mots tendres et je raccroche le téléphone. Rosie vient cocoter entre mes jambes et je l'attrape, la blottissant contre mon torse. — Personne ne demande jamais de tes nouvelles. Elle gueule un peu. — Je sais ! C'est pas cool. Je secoue la tête, partageant son indignation face à cette terrible nouvelle. Tous les mêmes. Je me dirige vers ma chambre et la dépose délicatement sur mon lit. — Raisa va arriver, j'dois t'laisser ici. Elle ébouriffe ses plumes et secoue ses ailes en signe de mécontentement. J'écarte les bras en signe d'innocence et m'emporte un peu. — C'est d'ta faute, fallait pas l'attaquer à chaque fois qu'elle était là ! Je crois que cette poule est véritablement folle. Elle ne peut pas s'empêcher de piquer les jambes de toutes les filles qui viennent me voir - même mes cousines. Même la plus allumée de toutes mes exs n'était pas aussi jalouse. Probablement vexée, Rosie me tourne le dos et se couche sur le lit. Je l'interpelle à plusieurs reprises, en vain : elle m'ignore royalement. C'est sûr, cette poule a du sang mexicain ; on dirait ma mère. Je finis par lever les yeux au plafond, excédé et je claque la porte derrière moi.

Y a encore la vaisselle de ce midi qui traine sur ma table basse, mais je ne range pas ; flemme. Je demanderai à Raisa de le faire quand elle sera là. D'ailleurs, elle ne devrait plus tarder. Je me vautre sur le canapé et change de chaine jusqu'à tomber sur celle qui diffuse ma télénovela préférée. C'est comme un rituel, j'oblige plus ou moins Raisa à la regarder avec moi à chaque fois. J'sais pas trop ce que j'espère en faisant ça, la rendre plus mexicaine ? Pour faire plaisir à papa. Je passe une main nerveuse sur mon crâne, les muscles du visage quelque peu crispés. Ouais, c'est vrai que ce serait plus simple si je me trouvais une fille du pays, qu'a pas de grandes ambitions dans la vie en dehors d'avoir des gosses et de me faire plaisir. Mais je n'y arrive pas. Y a un truc qui coince. C'est jamais ces filles-là qui me font envie et pourtant, dieu sait que j'essaye. J'essaye tellement.

Les coups légers à la porte me tirent de mes pensées. Je me lève précipitamment et vais lui ouvrir. Et y a toujours ce petit moment de flottement, un peu gênant. Toujours cet instant de comment on se dit bonjour. Situation pas claire qui crée parfois quelques malaises. Je lui souris et finalement ma main vient se glisser dans sa nuque, baiser déposé sur sa joue avec insistance et puis je me recule pour la laisser rentrer. Je referme derrière elle et retourne m'écrouler sur le canapé, les pieds que je viens poser sur ma table basse en soupirant. — Putain, j'suis claqué. J'ai bossé toute la nuit dernière, c'était mon tour. Ca fait à peine deux heures que j'suis réveillé mais les horaires décalés comme ça, ça me flingue toujours. Je surjoue un peu pendant qu'elle vient s'installer à côté de moi. — Tu pourras débarrasser tout ça s'te plait ? Que je demande en désignant le bordel qui traine sur la table. Je fais genre que c'est une question, mais la vérité c'est que c'est plutôt un ordre déguisé. Je lui attrape le bras et la tire vers moi. — Mais tout à l'heure, là ça commence. Le générique - interminable tellement il y a de personnages - démarre et je viens passer mon bras droit autour de ses épaules pour qu'elle vienne se caler contre moi. Mais à peine trois secondes plus tard, je la vois déjà dégainer son téléphone. Et je sais très bien ce que ça veut dire, je la connais. Je me braque aussi sec et ma droite intercepte son mouvement en lui attrapant le poignet. — Putain Raisa, tu viens d'arriver. Range ta merde. Si je la protège des attaques de Rosie, elle peut bien m'épargner d'une séance photo - pour ne pas dire d'une séance de torture. A chaque fois c'est la même chose, cent photos prises pour 2 de gardées. L'enfer sur terre, je le jure.

-Papa, passe-moi maman!
-Donc, comme je te le disais Raisa, poster une panoplie de photos sur les réseaux sociaux n'est en rien un projet d'avenir. Il faut que tu penses à long terme...
-Je n'aurais pas ce sujet de conversation avec toi papa!
-Au pire, en attendant de trouver ta voie, tu peux toujours venir travailler avec moi à l'épicerie...
-Papa... Papa... Je vais raccrocher je te préviens! Au revoir papa!

Tout en pestant, j'appuie de façon exagérée sur l'écran de mon portable afin de mettre fin à cet appel inutile. En soit, appeler pour avoir des nouvelles et, se faire remonter les bretelles pour la xième fois oui, j'appelle ça un appel inutile. Toujours le même sujet de conversation. Toujours la même dispute. A croire que l'histoire stagne et que personne ne souhaite passer au dessus des a priori. A croire que c'est un cap qu'il n'arrivera jamais à traverser. Pire que son quarantième anniversaire, j'en suis certaine. Je suis majeure dans certains pays. J'ai toutes mes facultés de réflexion. Je pense être en mesure de choisir comment je désire poursuivre mon chemin.
Soit, je n'ai pas pu discuter avec ma mère. C'est elle que je souhaitais avoir au téléphone lorsque j'ai décidé d'appeler chez mes parents. J'avais besoin de conseils de filles et je me suis dit que cela pourrait être sympa d'avoir son avis et de passer outre nos différents, notamment en ce qui concerne mon avenir ou plus particulièrement, mon choix professionnel. C'était sans compte sur mon père qui a décroché en déblatterant son discours habituel et en me rappelant ô combien ils ont du tout sacrifier pour moi. Comme si je ne culpabilisais pas assez d'être venue au monde au mauvais endroit, au mauvais moment. A croire que j'étais leur plus belle erreur. Soit, lorsque je guette un coup d'oeil au précédent appel, je me rends compte que j'ai tenu plus longtemps que la dernière fois. Pas loin de quinze minutes avant que je ne décide de couper court à la conversation, consciente que j'aurais droit à un serment de ma mère la prochaine fois qu'elle appellerait car j'ai raccrocher au nez de mon père qui doit être furieux à l'heure actuelle. Je peux parfaitement imaginer son regard noir, ses yeux transperçant et ses rides apparaitre sous mon nez.

Je secoue la tête comme pour me remettre de mes esprits. Mes idées sont alors toutes en place. Je me rends compte que je vais être en retard pour le début de l'émission pourrie de Nino si je ne m'active pas dès maintenant. Alors, j'aurais sans doute droit à de nouvelles remontrances parce que je l'ai coupé en pleine action. Ce n'est pas que je n'apprécie pas ses goûts cinématographiques mais... Si, en fait. Je crois que je les déteste autant qu'il me déteste quand je passe des heures sur Instagram. Je décide donc d'accélérer le pas. Pas envie d'être confronter à une nouvelle dispute. Je range mon portable dans mon sac à main et commence à trottiner dans les rues de Mexicantown. Lorsque je guette un coup d'oeil à ma montre, je me rends compte que je suis encore dans les clous. Soupire de soulagement qui s'échappe de mes lèvres quand je toque à la porte. Il ne met que peu de temps à me répondre et un léger mal aise s'installe. Non pas que je ne sois pas à l'aise avec lui, loin de là. C'est juste que la situation est bizarre. On ne sait pas vraiment ce qu'on est l'un pour l'autre. On ne sait pas tellement comment agir l'un envers l'autre. Parfois c'est simple et d'autres fois, on se pose trop de questions. Bref, il met fin aux quelques secondes gênantes. Le temps s'écoule beaucoup plus vite que prévu lorsque je me trouve en sa compagnie. Il dépose ses lèvres contre ma joue et je souris en effleurant sa main. Je retire ma veste et la pose sur le porte manteau tandis qu'il s'étale sur le canapé. C'était surement sa position initiale. -Ça a été cette nuit? Je lui questionne tout en prenant place à ses côtés. Je préfère nettement ce sujet de conversation plutôt que le tu pourras débarrasser après la série minable que je t'oblige à regarder ?! Je sais parfaitement que si je ne le fais pas alors, on va de nouveau s'engueuler pour des conneries. Je ne me retiens malgré tout de rouler des yeux d'un air agacé. -Je le ferais uniquement parce que t'as travaillé cette nuit. Ne prends pas l'habitude! Ouais, je préfère le mettre au jus. C'est vrai que ma famille est un petit peu dans le même délire. A la maison, la fée du logis, c'est la femme. L'homme met les pieds sous la table, sur la table quand c'est soirée sport et son épouse va chercher les bières. Tellement cliché. Loin de la modernité que peu nous offrir la vie actuelle. Il me tire le bras, le programme commence. Je cale ma tête contre son torse et en profite pour dégainer mon portable. J'ai a peine le temps de poser un doigt dessus que je sens Nino se redresse dans mon dos. Sa main agrippe mon poignet et le verdict tombe. -Nino, c'est juste une story. J'ai rien publié aujourd'hui, tu ne vas pas en faire tout un drame! Qu'est-ce qu'il peut être rabat joie !

— Ça a été cette nuit ? Je soupire bruyamment, faisant vibrer mes lèvres l'une contre l'autre. Petit haussement d'épaule appuyé d'une grimace pas convaincue. — Pfff ouais, j'ai eu quelques junkies qui ont encore foutu le bordel vers 4h mais j'les ai mis dehors rapidement. Sinon j'me suis fait chier, comme d'hab. Je tourne la tête vers elle, petit sourire en coin. — Tu voudrais pas m'tenir compagnie la prochaine fois ? T'as l'temps, c'est pas comme si tu bossais vraiment t'sais. Comme d'habitude, je mets les pieds dans le plat. Sujet houleux sur lequel elle se dispute déjà constamment avec ses parents et je sais que je n'aide pas vraiment. Mais j'suis désolé, se prendre en photo, c'est pas un métier ils ont raison. Et surtout, elle a beaucoup de temps libre alors elle peut bien venir me seconder un peu quand je suis de nuit. Ça lui apprendra la valeur du travail. J'en profite au passage pour lui demander de débarrasser mes merdes et sa réaction ne se fait pas attendre, roulement d'yeux plus soupir, la totale. Je me braque un peu. — Je le ferais uniquement parce que t'as travaillé cette nuit. Ne prends pas l'habitude ! Je me détends aussitôt et laisse mes doigts courir sur son bras. Je lui offre un petit sourire faussement innocent. — Oui, oui. Bien évidemment, je pense non, non. Elle a l'esprit libre Raisa, à ne vouloir aucune barrière, à ne pas se laisser dicter sa conduite. Mais y a des limites à tout et je la travaille au corps là-dessus. La faire plier, doucement mais sûrement. Tenter de la faire rentrer dans le moule que ma famille veut, en oubliant au passage ce que moi je veux vraiment. Elle se cale contre moi et très vite, ce qui devait être un moment agréable à regarder ma série tourne mal. Elle sort son téléphone et je me fâche aussitôt, excédé qu'elle n'ait pas été foutue de tenir plus d'une minute. C'est fou putain. Je râle mais comme toujours, elle ne veut pas écouter et tente de faire forcing. — Nino, c'est juste une story. J'ai rien publié aujourd'hui, tu ne vas pas en faire tout un drame ! Rien à faire, cette fois, je ne cède pas. Je secoue la tête de gauche à droite, tout en gardant fermement son poignet dans ma main. — Non Raisa, c'est mort. Tu viens à peine d'arriver, joder ! T'avais qu'à poster des trucs dans la journée, c'pas mon souci. Le ton qui monte un peu, qui devient légèrement agressif. Mais surtout, autoritaire. Je secoue un peu sa main et j'ordonne. — Range-le. Maintenant. Y aura pas de photo, de vidéo, y aura rien du tout. Je veux juste profiter de la série, profiter de sa présence, passer un bon moment, sans que des milliers de personnes ne soient forcément au courant de où on est et de ce qu'on fait. Ça m'énerve tellement que je ne peux pas m'empêcher d'en rajouter une couche. — Sans déc, ça devient grave. J'pense t'as un souci. Pensée sincère que j'échappe sans retenue, me fichant bien de l'effet que ça pourrait lui faire. Qu'elle se vexe donc, au moins, elle se taira et je pourrai me concentrer sur mon épisode.

@raisa mcgregor

Je débute la conversation en lui demandant comment s’est passé sa nuit. Il semble fatigué. Les heures en décalées ne sont pas les plus simples, j’en ai conscience. Du coup, je m’inquiète un peu de savoir comment ça c’est passé. — Pfff ouais, j'ai eu quelques junkies qui ont encore foutu le bordel vers 4h mais j'les ai mis dehors rapidement. Sinon j'me suis fait chier, comme d'hab. Des clients relous, des junkies, forcément. Ça doit être habituel. J’acquiesce de la tête. Il me propose même de passer un de ces quatre pour lui donner un coup de main. — Tu voudrais pas m'tenir compagnie la prochaine fois ? T'as l'temps, c'est pas comme si tu bossais vraiment t'sais. Jusque là, j’avoue que l’idée de passer un peu plus de temps avec Nino me plait bien. Je suis prête à accepter le deal. Mais ça, c’est avant qu’il rajoute le fait que je ne travaille pas vraiment. Nino est comme mes parents sur ce point. Influenceuse n’est pas un véritable métier. Je ne passe pas des heures à retoucher mes photos pour obtenir quelque chose d’inspirant, moderne et original à la fois. Je ne chine pas pendant des heures les petites boutiques de Détroit à la recherche de pièces exceptionnelles. Non moi, je ne fais rien. À côté de ça, je suis douée pour le codage, le graphisme, la mise en page. Oui, j’ai toutes les qualités requises pour devenir une véritable informaticienne voire une webmaster de première catégorie. Mais non évidemment, je n’exerce pas un vrai métier. Jr murmure un son à peine audible en guise de réponse et je me redresse un peu. J’ai pas forcément envie de m’énerver tout de suite. Je prends sur moi. A l’intérieur de ma cage thoracique, mon cœur ne fait qu’un tour.

Je m’attaque au plus gros de la journée. Je tente de sortir mon portable mais Nino m’en empêche. — Non Raisa, c'est mort. Tu viens à peine d'arriver, joder ! T'avais qu'à poster des trucs dans la journée, c'pas mon souci. Je fronce les sourcils et le questionne du regard. Je comprends pas vraiment sa réaction. Je lui explique les choses. Ça ne va pas prendre longtemps et, c’est tout de même ma source de revenus. J’ai besoin de faire de la publicité, j’ai besoin d’afficher ma petite bouille sur les réseaux. Nino ne comprend pas. Il serre un peu plus mon poignet et je grimace parce que son emprise est importante et que je n’aime pas ça. Son premier argumentaire est à peu près correct. Oui, j’aurais pu prendre d’autres photos à un autre moment de la journée. Pourquoi pas en extérieur par exemple. Peut-être parce que je voulais le voir aussi et l’afficher à mes côtés. Allez savoir. Je n’en sais pas plus moi-même. Le truc qui m’agace le plus, ce n’est pas forcément le fait qu’il refuse, quoiqu’un peu quand même- c’est plus la façon dont il me parle. — Range-le. Maintenant. Il en rajoute une couche. Je suis sur le cul. Je dois chialer ou rigoler? -T’es sérieux là ? Je suis plus une gamine putain, me parle pas comme ça! Je secoue la tête. Je suis un peu abasourdie. Je prend une grande inspiration, je me recule un peu vexée d’être aussi peu considérée. Moi qui lui proposer de l’aider au travail, de ranger son appartement. Tout ça pour ça. Finalement, en m’apercevant qu’il n’est pas déterminé à caler ou à se calmer. Je décide de me pousser un petit peu. — Sans déc, ça devient grave. J'pense t'as un souci. Je serre les dents. Je vais quand même pas m’énerver au point de lui taper dessus. Pourtant il mériterait bien une claque pour le coup. Je déglutis, je me cale de l’autre côté du canapé. -T’as raison, je suis complètement cinglée! D’ailleurs, je me demande ce que je fais la même. Je devrais peut-être te laisser regarder ta série tranquille et aller faire mes photos d’ailleurs! Je suis vraiment vexée pour le coup. Je suis même pas sure que Nino comprenne à quel point il peut blesser les gens avec des mots.

— T’es sérieux là ? Je suis plus une gamine putain, me parle pas comme ça ! Elle se redresse un peu, se détachant de mon torse. Je continue de fixer la télé pour éviter son regard chargé de reproches. Front plissé, mâchoire serrée, je fais la gueule. Son attitude m'énerve, mon attitude l'énerve, j'ai l'impression qu'il ne s'agit plus que de ça ces derniers temps. Que ça s'est aggravé depuis quelques semaines. Mais c'est de sa faute tout ça, si elle arrêtait d'en faire qu'à sa tête, de raconter n'importe quoi sur les réseaux, on en serait pas là. Jamais vu une fille aussi têtue. Je plains ses parents de devoir gérer et supporter ça et je ne peux que comprendre leur déception. Jamais je n'autoriserais ma propre fille à faire ce qu'elle fait. Déjà que quand c'est elle, j'ai du mal à l'encaisser, mais alors mon propre sang, jamais. Ses parents auraient dû sévir à temps, l'empêcher de partir dans son délire. Maintenant qu'elle est lancée, c'est trop tard. Et qui est-ce qui paye pour ça ? Moi. Classique. Je lui dis le fond de ma pensée et sa réaction ne se fait pas attendre. Je sens l'atmosphère qui change autour de nous, qui devient plus lourde. Tension électrique qui me crispe tous les muscles, l'estomac noué face à l'énième dispute qui semble pointer le bout de son nez. — T’as raison, je suis complètement cinglée ! D’ailleurs, je me demande ce que je fais la même. Je devrais peut-être te laisser regarder ta série tranquille et aller faire mes photos d’ailleurs ! Dit-elle tout en s'éloignant carrément de moi, laissant un grand froid. Je lève les yeux au ciel et ne peut retenir un profond soupir exaspéré. J'agite les mains devant moi, dans un élan théâtrale comme je le fais toujours. — Oh putain, Raisa, arrête d'être aussi dramatique ! Je souffle bruyamment tout en secouant la tête de gauche à droite. Je finis par la regarder, œillade sévère. — J'ai pas dit que t'étais cinglée, j'dis juste que, bon. C'est... J'essaye de faire attention aux mots que je choisis, ne voulant pas spécialement envenimer la situation, mais je ne sais pas faire. — ... Enfin ça vire à l'obsession quoi, c'est chiant. Je braque à nouveau mon regard sur la télé, je suis en train de tout rater et ça me gonfle. — Si tu postes rien pendant un jour, tu vas pas perdre tous tes abonnés t'sais, donc calmos. C'est un truc que j'ai du mal à comprendre, elle se mitraille de photos comme si sa vie en dépendait, ça n'a pas de sens pour moi. Et j'aimerais qu'elle le comprenne, qu'elle réalise l'aberration de la situation. S'engueuler pour une photo, franchement ? Si mon père savait, il aurait honte de moi. T'es pas capable de tenir une femme, qu'il me dirait. Et il n'a pas tort. Je balaye l'air du revers de ma main, comme pour marquer un terme à cette discussion que je juge inutile. — Bref, on va pas s'engueuler pour ça. Tu vas nulle part et on regarde la série maintenant. Au pire, si elle veut vraiment qu'on se dispute, on le fera après mon épisode.

@raisa mcgregor
(depuis ton tel ?! :o shook mdr mais c'était parfait !)

Être influenceuse, ce n’est pas un vrai métier. C’est une passion d’adolescente en pleine crise. Je le sais, je l’entends à longueur de temps. Pourtant, je ne fais pas que des photos. C’est l’atout principal mais il faut également que je fasse tout un travail derrière. Et puis, j’ai besoin de cela. Peu de personne peuvent comprendre. J’ai toujours été la gamine bien droite dans ses baskets. La gosse qui sourit et aide tout le monde. Le bon samaritain. Le petit mouton invisible. J’ai jamais rien fait d’intéressant. J’ai jamais été au centre de l’attention. Jamais avant que les réseaux sociaux ne rentrent dans ma vie. Alors, cette dernière a pris un tournant.

— Oh putain, Raisa, arrête d'être aussi dramatique ! Je rigole. C’est nerveux, forcément. Je rigole parce qu’il me demande de ne pas être dramatique mais il agite ses mains dans tous les sens comme un pantin en colère. Pourtant, c’est moi qui devrait être sur les nerfs à l’heure actuelle. C’est moi qu’on engueule, moi qu’on force à regarder ce feuilleton merdique, moi qu’on traite de gamine, de paumée, de ratée. C’est à moi qu’on fait la morale, c’est à moi qu’on s’en prend. Je me propose pour un tas de trucs. Je l’aide à faire le ménage, je me propose pour lui tenir compagnie au travail et voilà comment il me remercie. -Oh donc en plus de ça, je suis dramatique! Je lève les yeux au ciel. Rame Nino, rame. Je croise les bras, énervée. Il me regarde et j’attends de nouvelles explications. — J'ai pas dit que t'étais cinglée, j'dis juste que, bon. C'est...  C’est compliqué de se dépatouiller d’une situation pareille, c’est vrai. Je lui laisse le temps de trouver ses mots, pas sans soupirer blasée. Plus le temps passe et plus il s’enfonce dans les eaux ténébreuses. — ... Enfin ça vire à l'obsession quoi, c'est chiant. J’hausse les épaules d’un air innocent. Je prends le temps de réfléchir. J’ai besoin de trouver les mots justes. Je veux pas qu’il monte le ton davantage. -C’est exactement la même chose Nino. Ouais, voilà le constat. Être folle, cinglée ou obsessionnelle, c’est pareil à mes yeux. Continue ta course Nino, tu peux faire mieux. — Si tu postes rien pendant un jour, tu vas pas perdre tous tes abonnés t'sais, donc calmos. Assez parler, je décide de lui dire les choses carte sur table et tant pis si il continue sur la lancée. Peut-être qu’un jour il comprendra que c’est important pour moi. -C’est ma seule source de revenus. Tu peux le comprendre ça? Ou tu vas le refaire la morale une fois de plus? Quoiqu’il en soit, il a réussi à m’énerver donc plus rien ne semble être capable de me calmer. Je prends sur moi, j’inspire profondément et je m’enfonce un peu plus dans le canapé. — Bref, on va pas s'engueuler pour ça. Tu vas nulle part et on regarde la série maintenant. Des ordres, toujours des ordres. Mais j’en ai marre de déblatérer sur tout et n’importe quoi. Je décide donc de me taire a mon tour. Oui, qu’il regarde son émission tranquillement.  -Ouais, on a qu’à faire ça...! Moi dans mon coin, je décide de répondre à mes messages privés. Au moins, je lui fous la paix avec les photos, les stories. Je fais mes bails de mon côté et peut-être qu’après, ça ira mieux.

— C’est exactement la même chose Nino. Mais c'est pas vrai ! J'échappe un long râle plaintif, excédé par son attitude et par cette conversation qui ne mène nulle part. On tourne en rond, c'est toujours la même chose. Elle prend la mouche à la moindre remarque et refuse d'ouvrir les yeux sur l'absurdité de la situation. On ne peut pas parler avec elle, ça vire forcément au drame. Et ça devient usant. Je tente de lui faire comprendre qu'elle peut bien s'en passer pour un jour sans que forcément tout son petit empire ne s'écroule, mais je ne fais qu'essuyer un échec de plus dans mon argumentaire. Madame a réponse à tout. — C’est ma seule source de revenus. Tu peux le comprendre ça ? Ou tu vas me refaire la morale une fois de plus ? Je ferme les yeux et viens me pincer l'arête du nez pour m'efforcer de rester calme - et ce n'est pas évident. J'inspire profondément et tempère ma voix pour m'éviter de crier, bien que ce ne soit pas l'envie qui manque. — Mais c'est pas une source de revenus ça Raisa bordel ! C'est du bonus, ou j'sais pas, appelle ça comme tu veux, un loisir lucratif, tu vois ? C'est pas parce que y a trois bouffonnes qui gagnent leur vie grâce à ça que c'est donné à tout l'monde. Redescend sur terre, tu vas droit dans l'mur là. Je ne sais plus comment lui faire comprendre tout ça. J'ai l'impression de lui avoir répété des milliers de fois, mais que ça ne fait que rentrer par une oreille pour ressortir aussi sec par l'autre. Je pourrais parler dans le vide que ça reviendrait au même. Ses parents ne la soutiennent pas et moi non plus, comment ça peut ne pas l'alerter ? Agacé par tout ça, je mets fin à cette conversation énervante et la laisse bouder dans son coin pendant que je me concentre enfin sur ma série. C'est quand même censé être notre activité principale, mais non, madame trouve encore le moyen de tout ramener à elle et à son métier. Conneries.

Un silence pesant s'installe entre nous et malgré tout mes efforts, je peine à me concentrer pleinement sur ce que je regarde. Je rumine encore et je suis contrarié que tout ne se passe pas comme prévu. On devrait être détendus, elle devrait être calée contre moi et on devrait profiter de ce chef d’œuvre espagnol. Elle a tout gâché. Et ça ne s'arrange pas quand elle commence à pouffer par intermittence. Je commence par soupirer histoire de lui faire comprendre que ça m'énerve, mais elle continue et je la soupçonne de le faire exprès - j'commence à la connaître. Je me mets à lui lancer des regards en biais mais elle m'ignore, fait mine d'être passionnée par je ne sais quoi sur son téléphone. Les ricanements continus et je la vois qui écrit de façon régulière : elle parle avec quelqu'un. Forcément, je deviens parano. Elle doit se foutre de ma gueule avec une copine à elle. C'est certain. Je tente de me contenir, je lâche même quelques "chut" en guise d'avertissement, mais rien n'y fait. Le rire de trop et j'explose. Je me tourne d'un coup vers elle, les traits du visage tendus par l'agacement. — Putain RAISA ! Je la fusille du regard. — Qu'est-ce t'as à rire comme ça depuis 10 minutes là, hein ? Ma voix qui s'emporte. Mes yeux glissent sur son téléphone. — Tu parles à qui ? Fais voir ! C'est plus fort que moi, faut que je sache. Je tends la main pour l'inciter à me donner l'objet. Je demanderais pas deux fois. Qu'on soit bien d'accord, si elle ne le donne pas, je le prends de force.

@raisa mcgregor

C'est toujours la même dispute. Je ne peux pas le nier. Le pire dans tout ça, c'est qu'ils vont tous finir par me faire douter de moi, de mes talents, de mes envies. J'ose encore lui demander s'il compte me faire la morale, comme des milliers de fois auparavant, comme mes parents avant lui. Forcément, le verdict tombe. — Mais c'est pas une source de revenus ça Raisa bordel ! C'est du bonus, ou j'sais pas, appelle ça comme tu veux, un loisir lucratif, tu vois ? C'est pas parce que y a trois bouffonnes qui gagnent leur vie grâce à ça que c'est donné à tout l'monde. Redescend sur terre, tu vas droit dans l'mur là. Je déglutis. Je me demande un instant si je vais pas chialer. Genre m'effondrer et laisser tomber une bonne fois pour toute. Sauf que je suis beaucoup plus forte que ça. J'aime ce que je fais et je refuse de lui donner raison. De plus, je glisse à mi-mot une information qui ne me laisse tout de même pas indifférente : - Mine de rien sans ça, on ne se serait jamais rencontrés... Ouais parce que si je ne m'étais pas décidée à me lancer là-dedans un jour, je ne serais jamais sortie prendre des photos dans cette nouvelle tenue. Je n'aurais jamais accosté Nino pour qu'il m'aide à faire mes photos. Il ne m'aurait pas sauvé la mise. Je n'aurais pas posé les yeux sur lui. on n'aurait pas échangé nos numéros. Soit, on ne se serait jamais croisés ni ce jour, ni un autre jour. Soit, on n'aurait jamais fait attention l'un à l'autre. Alors, nos chemins seraient sans doute à des milliers lumières l'un de l'autre lorsqu'on prend en compte la situation actuelle. Je déglutis et je décide de ne pas poursuivre ce dialogue de sourds. Il veut regarder son émission à la con? Qu'il en soit ainsi.

Je me mets à bouder de mon côté. Je m'installe confortablement et je pianote sur l'écran de mon portable. Je réponds à mes followers, quelques commentaires. Je reçois un message privé qui me fait sourire. Je décide de répondre tout de suite. De toute façon, je n'ai pas envie de suivre cet épisode. Il a l'air barbant et Nino est désormais de mauvaise humeur. Autant le laisser se calmer. Mais, pas trop quand même. Je sais parfaitement que ça l'agace quand je ne vais pas dans son sens. Pourtant, il me demande jamais si le programme me convient, si je souhaiterais faire autrement chose. Alors, je lui fais gentiment comprendre que même si la situation m'énerve au plus haut point, mon petit monde ne s'est pas écroulé parce que monsieur a décidé de faire la gueule. Je rigole une fois. Deux fois. peut-être un peu fort, c'est vrai. Faut dire que c'est marrant parfois, ce qu'on peut recevoir sur ce genre de réseau. Les mecs en particulier, ils sont drôles. Ils n'ont aucun tact. A croire qu'ils ne savent pas trop comment si prendre avec les filles. Je pourrais mal le prendre et l'envoyer chier. C'est ce que je fais généralement mais là, ses compliments m'amusent. Surtout que Nino commence à s'agiter à côté de moi. Tant pis, il n'a pas envie de partager alors, je ne partage pas. — Putain RAISA ! Je sursaute légèrement. Absorbée par mon petit univers, je n'avais pas forcément fait attention à son degré d'énervement. Maintenant, je constate qu'il est au plus haut. Je me redresse un petit peu tandis qu'il me questionne. En guise de réponse, je chuchote un : - Excuse-moi! Comme si ça pouvait réparer mon arrogance. Ouais, j'ai peut-être un petit peu abusé. Je me dis que comme ça, il va me laisser tranquille sauf qu'il finit par me demander à qui je parle. Le silence s'installe. Je sais qu'il faut que je le romps mais, je ne sais pas trop quoi lui répondre. Je décide de jouer la carte de l'honnêteté parce que, ça marche toujours mieux que le reste...non? De toute façon, il me déteste déjà alors, autant que ça soit pour une véritable raison, sensée, crédible, justifiée. - Euh bah... à un mec. Je ne lui donne pas mon portable pour autant. Je m'écarte même un peu pour ne pas qu'il aperçoit la conversation. Aller, c'est partie pour une nouvelle dispute! A croire que j'adore ça. A croire que c'est la raison de ma venue chez lui aujourd'hui.

— Mine de rien sans ça, on ne se serait jamais rencontrés... Le regard rivé sur l'écran, je ne pipe plus mot. Sa réponse aura au moins eu le mérite de me faire taire et de me couper dans mon élan moralisateur. Je déglutis, un peu nerveux. Parce qu'elle a raison. Et je voudrais bien faire semblant d'en avoir rien à foutre. Je pourrais même devenir exécrable en lui sortant une saloperie du genre : bah ça aurait peut-être été mieux. Juste pour avoir le dernier mot. Juste pour que ce soit elle qui se taise la première et pas moi. Parce que mon égo ne supporte pas ça. Mais malgré tout, je la ferme. Je me contente de croiser les bras et de faire la gueule, contrarié de m'être fait moucher de cette façon. Et je ne m'en cache pas, échappant un long et bruyant soupir excédé, juste histoire de clore définitivement la conversation.

Et les soupirs s'enchainent tandis que Raisa se met de plus en plus à ricaner. Elle me déconcentre et le simple fait qu'elle s'éclate pendant que je boude m'énerve particulièrement. Si ma journée est gâchée, la sienne doit l'être aussi. Y a pas de raison que je sois le seul à trinquer. Mais mon attitude ne semble pas du tout attirer son attention, ou alors elle m'ignore volontairement. Pour se venger ? Me punir ? J'suis pas très sûr, mais ça ne me semble pas impossible effectivement. Mes lèvres se serrent de plus en plus au fur et à mesure que la colère grimpe. Jusqu'à ce que ça atteigne le maximum. Je déborde, j'explose. Je me redresse subitement sur le canapé, les bras écartés tandis qu'un éclat de voix brise le silence. Et au moins, ça a eu le mérite d'attirer son attention pour de bon. Elle décolle son regard du téléphone pour m'observer, visiblement confuse et surprise. Mais je n'y crois pas, convaincu qu'elle joue la comédie et que tout ceci n'était qu'un stratagème pour m'emmerder. Elle s'excuse, mais ça sonne faux. Et de toute façon, les excuses n'ont jamais menées à rien avec moi. Lorsque je suis énervé, c'est trop tard. Un pardon ne m'a jamais calmé. Et la suite n'arrange rien. J'exige de savoir à qui elle parle, qui est donc cette fabuleuse personne qui la fait tant rire et qui perturbe tous mes plans. Un silence s'installe et ce n'est pas bon signe. Je la dévisage, méfiant, prêt à sortir les crocs si la réponse ne me plait pas. Je vois qu'elle hésite, elle prend de réfléchir à ce qu'elle va dire. Mais finalement... — Euh bah... à un mec. Mauvaise réponse. Je vois rouge. Les traits de mon visage qui se tendent aussitôt et le réflexe est immédiat. Je tends la main pour qu'elle me le donne, mais elle refuse sans un mot. Se contente de s'éloigner et de tourner le téléphone de façon à ce que je ne puisse pas voir l'écran. Elle me cache donc clairement quelque chose et ma patience vole aussitôt en éclats. Ni une, ni deux, sans réfléchir à ce que je fais, je me jette sur elle et saisis violemment son poignet pour ramener sa main vers moi et sans attendre, je lui arrache le téléphone. Je me lève du canapé et m'éloigne pour l'empêcher de le récupérer et je commence rapidement à lire. Au départ, je bouge dans tous les sens mais progressivement, alors que je découvre leurs messages, je ralentis. Et finalement, je m'arrête complètement. Je marque une pause, les secondes qui s'étirent à l'infini. Puis, je relève lentement la tête vers elle, d'un calme terrible. De ceux qui ne présagent rien de bon. — J'rêve ou t'étais en train de flirter avec un mec là ? Chez moi ? En étant à côté d'moi ? Rien à foutre que ce soit par message, rien à foutre que ce soit juste un truc d'internet ou j'sais pas quoi. La colère se diffuse brusquement de partout dans mon corps, alors que je réalise que le problème n'est pas qu'elle flirt avec un mec en étant à côté de moi. Mais qu'elle flirt avec un mec, tout court. Je serre les dents, ne sachant pas quoi faire de tout l'énervement qui me secoue. Je serre un de mes poings, le souffle court. Et soudain, sans crier gare, je lève le bras qui tient le téléphone pour prendre de l'élan et je lance le téléphone au sol, de toutes mes forces. L'objet se fracasse sur le parquet et des petits éclats volent ici et là à travers la pièce. Je la cherche du regard, provocateur et sans le moindre remords. — Ça t'apprendra. Que je crache, la voix mauvaise, chargée de rancœur. Ouais, ça lui apprendra à se foutre de moi. A ne pas me donner toute son attention. A me faire chier alors que je voulais juste passer un bon moment. J'ai la sale impression qu'on vient ouvertement de se foutre de ma gueule et ça ne passe pas. Je finis par foncer vers elle et agrippe à nouveau son poignet, le relevant pour l'attirer vers moi, mon visage pas très loin du sien et ma voix qui l'agresse alors que je me mets à lui crier dessus. — Sérieusement, ça t'amuse de faire la salope sur insta ?! Fierté et jalousie se mêlent et le résultat n'est pas beau. Mes mots non plus.


@raisa mcgregor