l’histoire sera courte à mon avis (LTF)

- T’es qu’une merde ! Une petite merde ! REGARDE-MOI EN FACE ! REGARDE-MOI

Justin m’ignore, d’un coup d’coude il m’envoie contre la penderie et attrape sa veste en cuir, je plonge jusqu’à lui et le tire par la manche.

- MAIS LÂCHE-MOI !

Qu’il hurle, il se retourne vers moi, l’attrape les poignets, serre si fort que j’en tremble de tous mon corps. Mais mon visage reste fermé, mauvais. Mes yeux sont envahis de larmes, j’ai la nausée tellement j’ai mal.

- Tu vas la rejoindre c’est ça ? TU VAS REJOINDRE TA PUTE ?

Il secoue la tête de droite à gauche. Je veux qu’il réagisse, merde ! Je sais qu’il se tape cette salope de North End, je sais qu’il me trompe. Après tous les coups, toutes les insultes, celle-là est encore la pire. J’ai cru qu’on s’aimait si fort que ça finissait par en faire mal, qu’on était explosif, que c’était pour ça qu’il nous arrivait de nous détruire. Que dalle. Il peut juste plus me voir en peinture, et est trop lâche pour l’assumer. Il serre un peu plus mes poignets et je tombe à genoux dans un gémissement plaintif. Justin m’attrape par les cheveux et approche son visage du haut de mon crâne.

- Fous-moi la paix Anna !

Qu’il ordonne. Et j’me remet à pleurer. Mais Justin me lâche quand il se sent tiré en arrière. Draxter lui a attrapé le bas de sa veste, du haut de ses 6 ans.

- Laisse-la tranquille !

Qu’il crit. Et le revers de main qu’il se reçoit en pleine face nous fait tous sursauté, même Justin. Il regarde Draxter qui s’est étalé sur la moquette. Inspire profondément, l’enjambe et sort en claquant la porte. Mes sanglots redoublent et je marche à quatre pattes jusqu’à mon aîné. Il pleure même s’il aimerait retenir ses larmes. Il est rouge de colère. Je le serre contre moi en m’excusant de longues minutes. Incapable de contrôler mes crises de larmes et mes excès de colère.

Je sais pas à quel moment on a arrêté de s’aimer, Justin et moi. Mais d’aussi loin que remonte notre histoire, on pouvait pas se supporter. Pour moi c’était la seule façon d’aimer. Et se marier, ça voulait dire se sacrifier, se détester, se subir l’un l’autre jusqu’à ce que la mort nous sépare. De toute façon tout a toujours été violent chez moi. Chaque pensée, chaque respiration. Tout a toujours fait mal. Alors quand j’ai rencontré Justin, j’ai pu mettre un mot, un nom, sur cette douleur que je ressentais au fond du bide. Ça veut pas dire que ça fait moins mal, juste que je la comprenais. J’ai compris en devenant mère ce que ça voulait dire d’aimer. Compris qu’on pouvait aimer sans haïr. La trahison s’est faite en décalée, comme si d’un coup j’comprenais dans quelle merde je m’étais embarquée. Six ans et deux gosses plus tard, on a pas été foutu de s’en sortir. Malcolm devait nous sauver, nous rapprocher. Après la naissance de Drax Justin n’a pas levé la main sur moi pendant deux ans. J’ai cru que Malcolm me donnerait un sursis. Mais tout s’est empiré après ça. Comme si la naissance de ce deuxième gosse était un genre de sentence pour Justin. Il a juste fait en sorte d’être encore moins présent, pour se rappeler qu’il a une vie sans moi, avant moi, qu’il en aura une après moi. Alors que moi, j’ai ni début, ni fin. J’suis comme un mauvais rêve.

Devant le miroir de la salle de bain, je retire ma chemise en flanel trop large que j’porte sur l’un de mes t-shirt des Ramones. J’envoie mes cheveux en arrière et observe mes bras tuméfiés. Mon eyeliner qui coule, mon oeil au beurre noir de l’autre jour. Tout pulse, tout brûle. J’avale ma salive. J’crois que je sais depuis des jours ce qui va se passer. J’crois que je le sais depuis des lustres. Du haut de mes vingt-sept ans, j’ai l’impression d’en avoir 40, 60, 80 ou 110. L’impression d’avoir déjà vécu trop longtemps. Comme un vioque en hospice qui attendrait que la mort vienne le chercher. Mais à mon âge, on l’attend pas la mort, on la provoque. Ça me fait pas peur. La seule chose qui m’angoisse, c’est de ne pas y arriver. D’être lâche une fois de trop. Je m’observe très longtemps comme ça. Et puis j’allume l’eau du bain. Juste après, le bruit de la sonnette.

Tessa a emmené Drax et Sol à l’école pour moi, alors que c’était mon tour. En voyant mon visage, elle a proposé de garder Malcolm aujourd’hui. J’aurais dû dire oui il aurait passé la journée avec sa copine, loin de tout ce que je lui réservais, mais j’ai dit non dans un élan stupide d’égoïsme. Je le regarde jouer avec le petit jouet stupide de ses céréales. Il a à peine trois ans, et il fonce, le petit avion dans les mains, à travers notre salon. Je suis avachie sur la table, la tête dans la paume, et j’pense à mon bain qui coule. J’ai la tête ailleurs, comme si j’étais là et pas là à la fois. Au final, j’ai cette sensation depuis trop d’années, depuis toujours je crois.

- Maman va prendre un bain. Tu restes là ?

Malcolm se stoppe, me regarde m’éloigner. Dès que je suis sortie du salon, il recommence à mimer des bruits de réacteur et à courir à travers le salon. Je repousse la porte de la salle de bain sans la fermer. J’me dis, pas envie qu’ils galèrent à dégonder la porte.

Je m’énerve un long moment, parce que je retrouve plus ses lames de rasoirs. Je claque les portes du placard, et pousse des grognements sauvages. Comme souvent, ça surchauffe trop vite en moi. Finalement, j’ouvre un tirroir et envoie sur le sol le sèche cheveux. Les lames sont là, alignées devant moi. Et j’me sens stupide de m’être énervée. Je les regarde, et tout d’un coup, y a plein d’émotion qui s’abattent. Je me passe une main sur le front, et puis m’accroche au tiroir, tombe accroupit sur le sol, sans le lâcher. Je me mets à pleurer. Je suis nerveuse. Comme la veille d’un mariage, d’un bal de promo. Quand on a attendu tellement longtemps quelque chose, et qu’au final, juste avant on appréhende.

- Mamaaaaaaaaan ?
- Oui, ça va ! Tout va bien ! Continue de jouer.

Je cris d’une voix tordue par mes sanglot. Je me redresse rapidement, et inspire profondément. C’est pas le moment de te dégonfler Anna. Pas le moment d’être une ratée, comme ta mère a toujours cru que tu étais. Je me regarde dans la glace, l’air volontaire. J’expire avec force. Cette fois c’est la bonne. Pas comme la dernière fois, ni celle d’avant. Cette fois, c’est pour de vrai. Pour me donner du courage, j’avale les deux Xanax qu’il me reste.

Quand je monte dans la baignoire, l’eau est tiède. J’allume une cigarette que je coince entre mes lèvres. Ma vision est trouble, mes paupières lourdes. Faut pas que j’me rate, pas avant d’m’endormir. Le temps passe si vite. Bientôt, Tessa va ramener les gosses pour le midi. Alors j’attrape la lame et la regarde longuement. Je lève mon bras devant moi. Je fais plusieurs fois le trajet, sans toucher ma peau. Mon coeur bat si fort, tellement fort. Je me suis jamais sentie aussi vivante que ça. Jamais sentie aussi bien. Aucune importance que Justin me déteste, aucune importance s’il me trompe. Je suis sûre de moi. Sûre que c’est mieux. Pour lui, pour moi, pour les garçons. Je ferme pas les yeux au moment d’enfoncer la lame dans peau, et de rompre ma peau dans la longueur. Je pousse un cri qui m’arrache les cordes vocales, j’pensais pas que ça ferait mal, enfin pas à ce point. Le sang envahie mon bras, puis l’eau du bain se teinte. J’ai des tournis, instantanément. Sans attendre, j’passe à l’autre bras. Je tremble. J’ai mal. Bordel. Merde. Je prend une grande inspiration et repose enfin ma tête contre le carrelage, mon corps est en état de choc.

- Maman ?

Merde ! Ma tête se tourne avec fatigue vers la porte. Malcolm est là. Il a l’air terrorisé.

- Tout va bien.

Que je répond de ma voix vague. J’entends de moins en moins bien, je vois de plus en plus noir. Mais je le fixe, mon si gentil Malcolm, mon tout petit garçon. Mon seul regret, c’est eux. C’est Draxter et lui. J’aurais voulu voir à quoi ils ressembleront plus tard. Malcolm se colle dans un coin, ses tout petits bras ramené contre lui dans un instinct de protection. Je tends une main vers lui, le sang s’étale sur le carrelage blanc.

- Ça va Mal’, tout va bien. Maman va bien.

Il a des grands yeux, il comprend pas ce qu’il voit, il comprend pas ce que je fais. Il ose pas bouger. Et je le regarde le plus longtemps possible, je lutte jusqu’au tout dernier moment pour pouvoir lui offrir un sourire qui m’arrange. Et puis mes yeux se ferment. Et puis je coule. Tout va bien.