butterfly effect (dom)

Sa tête de con enfermée entre quatre mur.
Une douleur lancinante sur le flan gauche et les insultes qui sifflent entre ses dents.
Il avait joué au caïd, Akeem. Avec son air insolent et sa manière de parler aux flics.
Bande d’enculé.

Mais c’était pas l’bon moment, ni au bon endroit.
Deux cops sur son p’tit gabarit; à l’obliger de fermer sa gueule à coup d’matraques bien placées.
Dans le ventre, ça fait mal et ça s’voit pas.

Ça empeste la pisse et la crasse dans sa cellule. deux mecs sont avec lui.
L’un s’est endormi assis sur le banc en béton, l’autre reste muet tandis que Akeem fulmine des insultes.
-“putain. putain d’flic, putain d’ville.“
Sa première réelle arrestation, il avait toujours su s’en échapper. A coup de belles paroles ou d'une bonne accélération.
Mais le climat était différent. Les flics moins cléments.
Un regard, un mot de travers, un geste mal calculé. Et c’était la garde-à-vue.

Il n’avait pas appelé sa mère. Madame Mayers aurait retourné tout le commissariat; et pour chance qu’il y ait des gens que Akeem connaisse, il aurait vécu la honte de sa vie.
Etrangement, c’était le numéro de Dom qu’il connaissait par coeur, comme une comptine bien apprise en cas de pépin. Il savait que lui, il n’allait pas dire grand chose.
Il est cool Dom, c’est son grand, son repère alors son père crève en taule.

-« Akeem, tu sors. »

Les familiarités d’un flic. Les ordres qui claquent et la mâchoire de Akeem qui se resserre.
Il va sortir, donc il se la ferme. On lui passe ses affaires; les lacets de ses Nikes, son iPhone à l’écran cassé, sa ceinture et un billet de 10 dollars.

Il traîne sa carcasse nonchalante dans les couloirs du comicot jusqu’à la sortie.
Douce liberté au parfum de Détroit. La nuit noire, la pollution et les sirènes de police.
Il remonte son pantalon un peu trop grand pour lui, débraillé avec ses lacés noués à la va-vite.
Dom l’attend devant, et ça suffit à Akeem pour retrouver son sourire d’imbécile.

-« T’sais pourquoi ils m’ont arrêté ces enculés ? » dit-il le visage renfrogné « j’savais pas qu’c’était interdit de vendre des sappes dans la rue. » Il s’en doutait légèrement, mais les flics l’avaient toujours laissé. (et il y avait sûrement plus important qu’un pauvre môme qui vend des fausses sappes dans sa voiture). « Quand j’ai voulu les acheter avec une ceinture LV, ils se sont énervés les cons. »

il souffle, un peu fatigué. par ses six heures passées dans un trou à rat, par son amende, par sa ville. Akeem tend son poing pour le saluer. « Et toi, ça va ? »

Mais quel con ce môme. Assis sur la dernière marche devant le comico, j'ai une clope au bec et un sourire hypocrite plaqué sur la tronche. Mouvement de menton presque poli aux flics qui croisent mon regard – j'en reconnais au moins un sur trois. J'me suis usé le cul sur les bancs de leurs cellules pourries trop de fois pour les compter. Et maintenant, c'est Akeem qui s'y met. Il a pas le sens du timing. Et puis j'sais même pas ce qu'il a foutu ; il a pas pris le temps de m'expliquer au téléphone. Pas grand-chose de plus qu'un viens m'chercher et j'ai tout remballé malgré les clients qui se ramenaient, mon truck grinçant qui est passé de la deadzone à Krainz. La tension est venue se loger dans mes muscles dès que j'ai passé la barrière de ce putain de quartier. J'l'aime déjà pas beaucoup en temps normal, mais en ce moment c'est encore pire. Ils sont à deux doigts d'nous sortir les torches et les capuches pointues du KKK, mais fallait qu'Akeem se fasse épingler.

Quel con, vraiment.

Je tire la dernière taffe de ma cigarette, qui finit écrasée sur le goudron crasseux, sous ma basket défoncée. Du coin de l'œil, j'vois le sale gosse qui s'amène enfin. – Yo. J'me lève, mes yeux qui le scannent rapidement. Au moins il a l'air entier. – T’sais pourquoi ils m’ont arrêté ces enculés ? J’savais pas qu’c’était interdit de vendre des sappes dans la rue. Je me marre à moitié, parce que c'est un abruti, et parce que quand il sort ce genre de conneries, j'ai l'impression d'me voir y a dix ans. Ou y a juste une semaine. J'crois que j'ai pas beaucoup évolué. – Quand j’ai voulu les acheter avec une ceinture LV, ils se sont énervés les cons. Il joue parfaitement celui qui comprend pas. Ça donnerait presque envie d'y croire, mais je le dévisage avec insistance. – Ouais, sans dec. Bien sûr qu'ils se sont énervés. Il a vu sa gueule ou pas ?

– Et toi, ça va ? Mon poing vient cogner le sien automatiquement, alors que je lâche un léger soupir. – Ben j'ai dû m'arrêter en plein taf et ramener l'foodtruck ici, tu sais, celui duquel j'vends ma weed, qui est gentiment stockée entre les burgers et les frites, – du coup j'me suis garé super loin. J'suis pas fou au point de venir le garer sous le nez des flics, même si c'était tentant. Mais moi, contrairement à Akeem, je sais quand faut se faire plus petit. – T'es con. C'est plus un constat qu'un reproche. – Sérieux mec, en vingt piges tu t'es jamais fait coffrer, et c'est maintenant qu'tu choisis d'faire ton baptême du feu ? Tu suis pas les news ou quoi ? Faut vraiment vivre sous une pierre pour pas capter que le climat est tendu. Il l'est toujours à Detroit, mais parfois plus que d'autres – parfois la jungle devient zone de guerre. J'crois qu'on a tous senti le changement, plus ou moins consciemment. – C'est pas l'bon moment pour énerver les blancs. Surtout ceux qui ont des matraques. Mon regard se tourne vers les uniformes qui continuent à aller et venir pas loin de nous, un tchip discret qui m'échappe. Quand je reporte mon attention sur Akeem, je lève le menton. J'vois ses traits qui se tendent un peu quand il bouge. Je sais ce que ça veut dire. – Ils ont visé où ? Il a l'air entier c'est vrai, mais les flics ne ciblent jamais les endroits flagrants quand ils frappent. – Le dos ou le bide ? C'est les zones qu'ils préfèrent. J'en ai assez fait les frais pour le savoir, et j'suis prêt à parier qu'il y a goûté aussi. Son attitude de p'tit con et son teint trop foncé lui ont sûrement porté préjudice.