anti you (ellis)

Paraît qu'Ellis joue le petit revendeur. Peu de stock mais des prix souvent intéressants, ou en tous cas c'est ce qu'on lui a raconté. Depuis qu'il est revenu à Detroit c'est la merde ; il sait très bien où aller pour se fournir mais il est trop fauché pour tenir le rythme de sa consommation, pas assez désespéré pour se tourner vers les merdes moins chères mais mal coupées. Peut-être pour ça qu'il est près à se tourner vers Ellis pour acheter. Ou peut-être que c'est juste pour l'emmerder.

Et se tenir occupé, surtout.

Son crâne n'est qu'un vaste champ de bataille, tout a déraillé trop vite et il se sent déjà perdre pied. Comme il l'a fait à Savannah, avant de se tirer pour rentrer au bercail. Il veut pas perdre le contrôle – il veut pas s'avouer que c'est déjà trop tard pour ça. Alors tous les moyens sont bons pour accaparer son esprit bancal, étouffer sa rage et effacer les altercations des derniers jours. Il a encore un pansement sur le nez et la gueule en vrac, les phalanges aussi meurtries que son ego malmené. L'allure d'un déchet qui déambule à travers Krainz, capuche vissée sur la tête, les mains enfoncées dans les poches de son jogging. Il écume les rues les unes après les autres, dans le périmètre où on lui a dit qu'Ellis devrait se trouver, jusqu'à enfin reconnaître sa silhouette au pied d'un immeuble pourri. Bingo.

Petit sourire en coin de lèvres, il avance jusqu'à lui tranquillement, tête baissée, visage camouflé par l'ombre de sa capuche. Ce n'est qu'une fois arrivé à sa hauteur qu'il daigne enfin lever les yeux vers lui. – Ellis c'est ça ? Clairement, il le prend pour un con. Il sait parfaitement qui il est, ils se connaissent depuis suffisamment d'années pour que le doute ne soit plus permis. Mais il a envie de se foutre de sa gueule, surtout qu'avec Ellis, ça marche plutôt bien. Il a bien compris que l'indifférence l'emmerde. Pas pour rien que depuis son retour, il joue si souvent la carte de celui qui n'le connaît pas. – T'as des médocs ? La vérité c'est que son corps réclame autre chose – depuis que Sam lui a fait goûter de force à l'héroïne en intraveineuse, ça tourne en boucle dans sa tête. C'est cette sensation là qu'il veut vraiment retrouver, mais il refuse de tomber plus bas qu'il ne l'a déjà fait. Il a besoin de reprendre le contrôle ou en tous cas de faire comme si, au moins quelques temps. Et il n'y a rien de mieux que les médicaments pour contrer l'envie de céder à plus fort. – On m'a dit qu'tu revendais et tout mais... Y a p't'être erreur sur la personne, j'sais pas. Il hausse les épaules et son sourire s'élargit jusqu'à dévoiler ses dents de travers, l'insolence qui suinte par tous ses pores. La provocation qui suit est prévisible. – T'as plus l'air d'une p'tite pute que d'un dealer. L'hameçon est lancé. Il attend de voir combien de temps Ellis mettra à mordre.

– J'ai des médocs, oui. Tes sources sont presque sûres, ça m'étonne. C'est pour ton problème à la tête ? Répondre à la provocation par la provocation. Classique. Ça l'agace mais il se contient, silencieux un instant, l'index qui vient frotter doucement le pansement qui lui mange à moitié la gueule. – Pourquoi ça t'intéresse ? Ça t'arrive tellement souvent que t'as des trucs à m'conseiller ? Il arque un sourcil, le toisant une seconde avant de sortir son paquet de clopes. Nonchalant, il en glisse une entre ses lèvres et l'allume, se donnant un air détendu alors qu'il ne l'est jamais vraiment. Sauf quand il est défoncé, peut-être.

Il sent venir la contre-attaque avant qu'elle ne claque. – J'ai croisé ton père sur le trottoir, tu devrais vérifier ses activités aussi. Ça lui arrache un sourire, la fumée qui s'échappe de ses narines dans un souffle amusé. Si Ellis veut s'attaquer à la famille, faudra choisir un meilleur numéro que son géniteur pour l'énerver. Les affronts envers Lucian ne lui font ni chaud ni froid. Il a même l'air à deux doigts de se marrer, quand il replonge enfin son regard dans le sien. – La dernière fois qu'j'ai vérifié, il a massacré ton daron. Dans le fond, il n'en a jamais eu grand-chose à foutre, de ces histoires à deux balles entre les patriarches Washington et Popescu. Mais il a toujours eu l'impression qu'Ellis n'était pas aussi détaché que lui sur le sujet. Sûrement pour ça qu'il peut pas s'empêcher d'en rajouter une couche. – Du coup c'est pas d'ta faute tu sais, c'est juste dans vos gènes, d'être des p'tites putes. Haussement d'épaules désinvolte, petit air insolent placardé sur la tronche. Il y met tellement d'application que ça a quelque chose d'horripilant.

Et comme si de rien n'était, avec l'air le plus innocent du monde, il enchaîne : – Alors ? T'as quoi comme médocs ? Un écran de fumée soufflé dans la direction d'Ellis, il esquisse un mouvement de menton vers lui. – Paraît qu'tu fais des ristournes. File-moi l'tarif ami et j'me casse. Ils sont pas amis, ne l'ont jamais été et ne le seront jamais. Peut-être que pour la première fois de sa vie ça l'emmerde – il aurait aimé avoir une foutue réduction. Mais il sait que ça n'arrivera pas, alors il se contente d'attendre que le couperet tombe, faisant mine de regarder l'heure sur son portable. – J'suis pressé. C'est pas vrai. Il a même tellement de temps à perdre qu'il est venu le trouver.