see i gotta haunt you, i gotta bring you to my hell (svea)

— La musique sature tellement qu'il a l'impression que les grésillements des baffles font trembler ses os. C'est pourtant les basses qui secouent ses entrailles et résonnent dans son crâne, dans ses veines, jusqu'à son âme, son dégueulasse et entêtant d'une house party probablement sur le point de dégénérer. Il est là pour avoir quelque chose à faire, parce qu'il sait que ce genre de fête termine presque toujours par un saccage des lieux et que ça, c'est sa came, son dynamisme, pile poil son aesthetic. Il est d'humeur chaotique, faut dire, orageux comme jamais, gonflé d'électricité et d'énergie anxieuse, difficile à contenir. Ses idées tournent trop vites, s'écrasent contre les parois de sa conscience en berne. Il est coincé depuis quelques jours sur le reliquat d'un échange cuisant, bloqué comme un con face à une situation provoquée par ses soins. Alors il pense halluciner quand il la voit, la précieuse, la tchoin, la merdeuse des beaux quartiers qui s'étalent comme un vulgaire morceau de viande sur internet et sur lequel il ne s'est pas gêné pour kiffer. Il cligne les yeux, secoue la tête et puis un sourire carnassier retrousse ses lèvres quand il réalise qu'elle est belle et bien là, en chair et en os, ses courbes affolantes presque offertes à la foule de cons désoeuvrés agglutinés dans un appart miteux.

Il fronce le nez, malgré son sourire mauvais. Trop de gens autour d’elle, trop d’idiots qui vont sans doute tenter de l’allonger quand lui s’est foutu en tête d’être le prochain à la toucher. Il la revoit, alanguie, affichée sur son écran, donnée à ses fantasmes et ses pulsions, trop loin pour être goûtée et pourtant profondément ancrée dans sa tête, dans ses désirs, entre ses reins. Il la revoit, la catin moderne, son souffle court, sa peau laiteuse et les vilaines idées s’imposant dans sa tête, tout ce qu’il aurait voulu pouvoir lui faire, tous les soubresauts qu’il aurait voulu pouvoir lui arracher en s’enterrant entre ses cuisses. C’est déjà un problème, cette histoire, parce que l’autre soir, il a été obligé de repenser à elle pour finir et il se doute que s’il recommence, le même souci va se poser, alors née l’envie de le lui faire payer, cette obsession naissante, cette curiosité dévorante.

Il approche, prédateur, pourtant charmeur et avec un peu trop d’assurance, il vient se planter derrière elle, main sur les hanches, la collant déjà bien trop. L’échange de l’autre soir s’est terminé abruptement, quand au bord du gouffre il a coupé les communications, non sans lui dire qu’il n’en avait pas terminé avec elle, alors il se demande si elle va le reconnaître, dans cette pénombre crasseuse, déjà vexé à l’idée de n’être qu’un client de plus, lui qui veut laisser sa marque, merdeux égocentrique et mégalomane voulant au moins pouvoir croire qu’il est le seul à l’allonger. « T’es la seule meuf ici à être plus bonne sans filtre, t’en as conscience » siffle-t-il à son oreille après le contact initial. Planté derrière elle, son regard file déjà vers son décolleté, avant qu’il ne toise un connard ivre qui comptait s’approcher, lui conseillant sans un mot de reconsidérer l’aventure parce que ce soir, c’est lui qui joue avec la blonde.

L'enfant reine évolue dans un milieu qui est tout sauf le sien, -- loin du confort princier et la richesse si caractéristique des Lindberg, cherche à dominer un nouveau lieu, en faire le sien. Rien que le sien, loin de son père qui pourrait réclamer n'importe quoi et l'obtenir en un claquement de doigts. L'impératrice danse, ses hanches remuent au rythme de n'importe quelle musique, véritable caméléon qui sait s'y adapter, pourtant chez elle, tout hurle qu'elle n'est pas à sa place. Svea, c'est la marquise qui se mêle au bas peuple pour faire une bonne action, pour se sortir de son ennui profond, pour s'amuser, pour exister. Parce que dans son univers de princesse, rien n'est assez beau, rien n'est assez excitant pour lui donner envie de rester plus de quelques heures. La blonde ignore les regards braqués sur elle, jaloux des autres femmes, désireux des hommes qui lorgnent sur son corps. Pourtant, ça l'amuse Svea, elle qui se dénude pour passer le temps, pour vivre un peu. Ne plus être une fille de l'ennui, se cacher dans le rôle d'une fille de la nuit.

Quand un énième garçon vient poser ses mains sur ses hanches, la première réaction de l'enfant c'est de souffler. Impératrice puérile qui est lasse de tous les garçons de bas étage qui se croient à sa hauteur, légitimes de poser leurs mains sales sur elle, sur le Ralph Lauren qu'elle porte. Pourtant, Svea elle est curieuse. Elle laisse le jeu durer quelques instants, pour mieux briser les espoirs d'une nuit en sa compagnie. Et quand le moment propice est venu, elle avorte toute fabulation. (Mieux ça qu'un enfant). Une voix siffle à son oreille, mots salaces qui lui sont murmurés, sourire arraché à l'enfant qui se laisse aller, ses hanches qui viennent se plaquer contre celles de cet inconnu, remuant au rythme de la musique. Sa main droite vient se loger dans la nuque de son mystérieux interlocuteur, tend son cou jusqu'à ce que sa bouche puisse atteindre l'oreille du garçon. « On me le dit souvent, » Elle esquisse un sourire provocateur, plus pour elle-même que pour lui, pénombre trop importante pour qu'il puisse le voir. « A qui ai-je l'honneur ? » Voix sensuelle murmurée au creux de son oreille, désireuse de savoir à qui elle se frotte, savoir s'il est nécessaire de rester ou non, curiosité piquée à vif, impératrice qui ne saurait gâcher son temps auprès d'un énième garçon qui n'est que vide, pâle copie de tous les autres présents dans cette salle.