Can't stop bothering you - Jo feat Jo

Les journées mornes te vont, surtout lorsque tu bosses une journée entière à la boutique ; quoi, tu ne serais pas une authentique tropical girl, une bimbo à la peau hâlée ne pouvant qu’être la preuve irréfutable que tu es né et faite pour aimer le soleil ? C’est que voyez vous, le ciel gris de Détroit s’accorde au teint de la moquette et des murs. Ici, les touches de couleurs, ce sont les couvertures des disques. Et toi, t’as l’oeil esthétique, et pas trop le sens des conventions. Et pour ces mêmes raisons, ton regard pique immédiatement, et avec intérêt, sur l’éphèbe franchissant la porte vitrée. Tiens, ton emmerdeur de première préféré. Tu es toujours indécise quant à savoir ce qui te plais le plus chez lui ; son talent de gros chieur ou sa belle gueule de mannequin, tous deux d’ailleurs beaucoup trop assumé pour ne pas trouver une espèce d’attirance dans son arrogance outrancière, limite surjouée. On n’aime pas les gens qui tentent de cacher leur absence de modestie, mais quand ça flash la vanité, là, c’est tout de suite plus amusant. Plus divertissant.

À ce que je vois, tu fais toujours autant fuir la clientèle.

Tu glisses un coude sur le comptoir, appuyant un petit sourire dans ta paume ouverte en l’observant parader. Mais encore ? Avec Jo, les traits d’esprits s’enchaînent toujours très vite, c’est comme regarder un match de ping-pong, mais au lieu de suivre la balle, tu suis ses lèvre. Si tu as bientôt fini de faire semblant de bosser, on peut aller se prendre un verre, même plusieurs. Moi qui paye. Ouais, ça m'arrive d'être cool, pas besoin de me dire merci.

Alors.

Ta mâchoire quitte son perchoir, et le perchoir se transforme en une main gracile qui balaie l’air, toujours attachée à ce coude affalé près du tiroir-caisse, avant de pointer un index en direction de ton maluco tout désigné pour les soirs de débauche.

Primo, je penche plutôt en faveur d’un : la clientèle a senti que tu te ramenais et elle a désertée rapido presto. Deuxio…

Tu te redresses, presque solennelle. Une canine pointe à l’orée de ta gueule lorsqu’elle se fend d’un sourire fauve. Putain ouais, j’ai carrément besoin d’un verre. Un ricanement joyeux t’échappe comme tu franchis les quelques enjambées qui te séparent du brun, le pas étrangement léger tout à coup, pour serrer brièvement tes doigts contre son épaule et plaquer un baiser sur sa joue. Eau de parfum, crème à rasée, résidus d’un café trop sucré même s’il est près de 19h. Il est chaud, ce soir, wow. Il a de grands projets. En retournant vers la caisse, tu attaches rapidement ta tignasse indisciplinée, le pas moins sautillant et plus empressé.

Bon, laisse-moi juste faire ma fermeture, c’est bientôt l’heure de toute façon. Et après, j’promet de te faire dépenser toooout ton fric. Les billets défilent à la vitesse de l’éclair entre tes doigts experts pendant que tu dodelines de la tête, le sourire tiré à quatre épingles, comme si la musique du bonheur résonnait entre tes deux oreilles. De toute façon, on sait bien comment ça va finir ; tu vas boire deux-trois verres sur son bras, puis tu paieras une tournée de shots parce que l’alcool délie les langues et les portefeuilles.

Tes potes, ils viennent ou… ? Morwan, Azraël, tout ce beau monde quoi. Tu passes à la petite monnaie ; elle tintinnabule telle les clochettes de la liberté, douce mélodie précédant immanquablement la fin de ta journée. Tes yeux accrochent rapidement ceux de Joao avant de retomber sur ta tâche. Mais le rictus s’accroche au-dessus de tes pommettes, et tu hausses les sourcils, mimant un feint plaisir sensuel : ou alors c’est que toi. et. moi. Chaque syllabe des derniers mots : détachées, passées à la mouture fine entre des lèvres parodiant l’érotisme à deux balles comme on en trouve dans les petites annonces de service téléphonique personnalisé passant à la télévision, la nuit ; vous savez, ceux avec les nanas trop chaudes qui n’attendent que toi en nuisette échancrée dans leur lit king size en se dandinant ostensiblement et au cul bien ressorti dans un effort constant de contraction des lombaires mais pas trop pour que ça fasse naturel. Après tout, tu peux te permettre cet humour un peu déplacé avec ce pote-ci, puisque ce pote-ci a déjà été un one night stand avant de devenir un partenaire de foncedalle de compétition. Faut abuser des petits plaisirs ; c’est fini le mythe chrétino-catholique commandant qu’il faille vivre pour un petit pain et croquer l’existence avec modestie. Toi, tu veux boire toutes les lumières de la ville et crever chaque nuit d'un grand cri libéré.