jo.

My brother
cette histoire ne parle pas de moi, mais de toi

comment m’expliquer chaque phrase dite dans le soucis de te plaire, chaque décision calquée sur les tiennes, chaque aveuglement volontaire, moi qui ne voulais ni me voir, ni me sentir vivre autrement que dans la tranchée boueuse que tu laissais derrière toi

j’y ai rampé avec l’esprit engourdit des convictions inébranlables, sans corps, des convictions de jeune soldat qui n’a pas encore connu la guerre, mon frère, cette histoire ne parle pas de moi, et pourtant, il me faut bien commencer quelque part, commencer par toi, car je suis née et tu étais là, je suis née, et je n’étais personne, déjà

t’as crevé le ventre de notre mère avec un démon dans la tête, c’est ce que tu disais, it’s like I have this monster in my brain and it pushes me to do bad things, je t’ai rejoint, trois ans plus tard, avec dans ma tête un trou, un trou où tu t’es logé, où tu as grandi, tu m’as remplis, mon frère, a demon in my hole

j’étais une enfant tranquille mais j’ai compris que mon silence m'effacerais derrière tes cris, oui mon frère, tu as toujours su faire comprendre aux autres que tu existais, c’est ton plus grand talent, n’être jamais oublié, et je t’ai peut-être envié ce pouvoir, de haine je t’ai aimé, j’ai voulu vivre complètement versé en toi, en ta fureur, en ta violence, on s’est vampirisé, moi ton ombre turbulente dans la maison, moi ton chevalier, moi ton chien fidèle, toi mon Maître, j’acceptais tout sans condition, et même de détester les parents comme tu les détestais toi, kids are son mean, jusqu’à ce que leur tendresse me fasse gerber, j’ai voulu qu’ils me laissent tomber comme ils t’avaient laissé tombé, Samuel has issues, je veux des issues too, je veux que ma mère me renie et que mon père me frappe comme ma mère t’a renié et mon père t’a frappé, la vie t’a gâchée et je me gâcherai aussi

t’es rentré de plein fouet dans l’adolescence et je me suis élancée, pleine puissance, dans le grand vide que tu avais construit pour moi, nous fîmes un couple terrible, monstrueux, et nos parents payèrent les frais en bronchant parfois, en pleurant souvent, à bout de souffle, alors que tu cavalais loin devant et que je filais derrière, mon frère

batailles, vol, vandalisme, notre carrière de petits voyous commença comme elle devait commencer, et tu brisais une vitre, hurlait comme un loup à la lune, et je t’observais avec un sourire immense, tiré là par des forces qui me dépassaient, et à mon tour j’hurlais, je brisais, j’étais solidaire, nous étions chimiques, exceptionnels, exclusifs, tu me prenais dans tes bras et me serrait en criant my sister, my sister!, tu me comblais, et pour toi j’étais méchante, insensée, impensée, totalement à ta main

tu découvrais ta puissance, la jouissance du fin manipulateur, being the King, et je découvrais le dévouement, l’apaisement d’un amour compris de nul autre que nous, I'm your queen, peut-être m’as-tu réellement aimé lorsque nous étions enfants, peut-être l’emprise a-t-elle finit par tout effacer, il ne faut pas en vouloir aux bêtes d’êtres bêtes, c’est ce que je me suis obligée à croire lorsque l’image d’un visage déçu, celui de notre père, celui de notre mère, jaillissait à l’arrière de mon crâne comme une gerbe de sang sur une scène de crime, the crime was us

j’aurais eu le potentiel de réussir, de faire des études, mais ça ne s’est pas concrétisé, même si notre mère s’est battue contre moi, a crié, supplié, pleuré, menacé, et ultimement, j’ai suivi ta pente, mon frère, décrochage scolaire, fugues, drogues et autres merdiers, mais même avec mes pills d’ecstasy à quatorze ans, t’avais toujours une longueur d’avance sur moi avec ton crack pour tes dix-neuf ans

c’était comme de se démener sous l’eau, d’essayer de rattraper ton corps qui coulait plus vite que le mien dans les profondeurs d’un lagon insondable, et j’avais beau nager vers le bas avec tout le désespoir du monde, je savais que je n'arriverais jamais à te sauver en touchant le fond avant toi, mais je voulais te prouver que je toucherais tout de même le fond avec toi, pour toi, même si ce n’était pas en même temps

je me suis battue, mon frère, contre le monde entier, contre notre mère qui démenait depuis toujours ses dernières énergies sur mon cas, tant d’acharnement sur sa fille, rien pour son fils, elle avait de l’instinct, probablement, on ne peut pas leur enlever cette chose-là, aux mères, de savoir ce qui est perdu, ou récupérable, et je lui en ai voulu, de savoir, je lui en ai voulu de me regarder dans le fond de l’âme, même après lui avoir craché une fois de plus that I hated her, de me dire you will never be like your brother, Jo, there is other ways to love him, parce que qu’est-ce qu’elle en sait, de l’amour, qu’est-ce qu’elle en sait, si I can’t help you, I can’t save you, qu’est-ce qu’elle en sait, cette salope, qui n’a jamais essayé autant que moi j’essaie, qui ne t’a jamais aimé comme moi je t’aime, mon frère, my hole, je ne suis rien, je suis à toi, et ils ne comprennent pas

A sister

il s'avère que, malgré tous mes efforts, mon frère, tu te montras toujours plus doué que moi pour te tirer dans le pied, et comme pour atteindre la dernière bonbonne d'oxygène, tu plongeais dans tout ce qui te tuais, were you testing me, mais la rue ne traite pas les femmes comme elle traite les hommes, et j’ai dû ralentir, ma vingtaine sonnait les plans de vie, l’amour, ou quelque chose comme ça, les espoirs que tu n’avais pas encore englouti, mais tu t’es rattrapé, mon frère, tu as systématiquement réprimés mes rares amis, mes rares conquêtes, they are not good enough for my beautiful sister, tu disais, you deserve better, tu murmurais, implicitement, il n’y avait toujours eu de place que pour toi dans ma vie à peine entamée, yes, I deserve better

un père meurt, une mère erre et un frère tue, je ne te reconnais plus, ou peut-être est-ce que je ne t'ai jamais su, leurré par tes éclats de verre, aveuglé par tes angles obscurs, il y a un procès auquel je n'assiste pas car tout à coup, je ne supporte plus de te voir pleurer, ta morve sur mes mains me donne envie d'étrangler l'enfant que tu es resté, my brother, my poor brother, le soir du meurtre tu m’as appelé, please help me, cover me, Samuel, qu’est-ce que tu as fait

t’aimer n’a pas suffit, ils t’ont pris, et pendant que tu clamais ton innocence aux autres, à moi tu m’as demandé de brûler cette maison où tu t’étais introduit, de brûler les évidences, faire d’une scène de crime un feu de joie, et je l’ai fait, les sirènes hululaient dans la nuit your brother is a murderer, could you do better, mais t’aimer n’a pas suffit, c’est la prison qui t’a pris, et quand on étaient petits, on s’imaginait des plans d’évasion à deux, si jamais cela devait se produire, et comment ce serait facile de berner les gardes, mais dans la vraie vie les gardes tabassent les gens comme toi, et les soeurs ne peuvent rien contre la déchéance des rois

maman et moi déménageons à Détroit, où elle a de la famille, nous ne venons pas te voir, you got to let go Joanna elle me dit, et une nuit tu m'appelles, je répond, enfin, je répond, mon frère, avec toi je souffre mais sans toi je meurs, dis-moi que tout va bien, tu n'as jamais mis le pied dans cette ville mais je t'aperçois à tous les coins de rues

tu me supplies de venir te voir, tu nies avoir tué cette pauvre femme, un instant je te crois, parce que je me suis brûlée la tête en même temps que cette maison, I know you better than anyone, mais je ne peux pas venir, it’s too risky, maman va mal, papa me manque, why do you still love those fuckers, I am the only one you should love tu cris, viens me voir, viens me voir

non

quand je sortirai d'ici je te ferai la peau, tu m'entends, salope ?

je t’attends