épineuse épine. (lapo)

08:05pm. tu fermes derrière toi la lourde porte du salon, baissant le store en ferraille. ce soir, t’es la dernière à partir, comme bien des fois. sans perdre de temps, tu tires ton paquet d’cigarettes de ta poche pour en sortir une et l’allumer, tout en te mettant en route pour rentrer, écouteurs vissés dans les oreilles. tu déambules à travers les rues, regardant un peu partout pour voir si par pur hasard tu croiserais une tête familière. chose qui arrive plus rapidement que tu n’le crois, sur l’une des dernières personnes que tu comptais revoir. en faite, tu n’attends que ça depuis de nombreux mois, menteuse. ton sang ne fait là qu’un tour, et tu te trouves bien heureuse de ne pas avoir marcus dans les pattes pour te retenir. ton corps entier se met à trembler, l’adrénaline s’imprégnant doucement de tous tes pores. il est là, putain, à même pas deux cent mètres de toi, inconscient de ce qui l’attend. tu jettes ton cancer en tube à terre, te fichant bien de savoir si tu l’as terminé ou non. tes yeux, ton cerveau et tout c’qui te constitue ne sont focalisés que sur une seule chose, la personne au loin, que tu ne lâches plus du regard, ne voulant pas foutre en l’air cette occasion de la trouver et la défoncer. @lapo alvise. tu reprends ta marche, que tu avais stoppé sans même t’en rendre compte, et tu te diriges vers lui avec un seul objectif en tête, celui de lui régler son compte. chose que tu attends depuis longtemps, tellement longtemps que t’as l’impression que ça fait une éternité. en un rien de temps, tu arrives à sa hauteur, telle une furie vagabonde, fantôme qu’il a certainement voulu à tout prix éviter. mais le moment est venu. dos à toi, t’arrives pas à capter ce qu’il fait, mais t’en as rien à cirer, tu tapotes son épaule sans prendre la peine d’y aller en douceur. et lorsqu’il se retourne pour te faire face, t’attends même pas qu’il ait le temps de réagir à ta présence que tu lui assènes une claque magistrale, y mettant le plus de force possible. tu souffles du nez, les yeux certainement aussi noirs qu’un ciel sans étoile. tu l’regardes, et si t’avais un minimum de coeur, tu te serais mise à pleurer sous la pression et le mélange de ressentiments faisant rage en toi à cet instant précis, te donnant un espèce de tournis. mais à la place, t’inspires un grand coup avant d’te mettre à parler, la voix déformée par la colère. "donnes-moi une seule putain d’bonne raison de ne pas te casser la gueule, là, tout de suite!" tes iris continuent de lui lancer des éclairs assassins, et tu t’dis que vraiment, si tu avais eu des fusils à la place des yeux, son corps ne serait que loque à cette heure-ci, baignant dans une marre de sang âcre. tes poings qui se referment, tes ongles pointus traversent ta peau nette, et t’es pratiquement certaine que tu vas saigner tellement tu serres. mais c’est mieux que d’le griffer lui, pour l’instant, nan?

Maintenant que le couvre-feu n'existe plus, il a pu reprendre sa vie nocturne. Bouger la nuit, pour éviter de crever de froid, dormir le jour - en considérant que l'on peut encore dire que ses siestes microscopiques ressemblent à du sommeil - en essayant de capter un maximum de soleil. Du moins, quand il veut bien se montrer et à Detroit, ce n'est pas gagné. A croire que lui aussi fuit cette ville maudite. Il aimerait pouvoir le faire lui aussi, se tirer d'ici, s'offrir un nouveau départ. Mais il s'est promis de retrouver la dépouille de son père, pour ce qu'il en restera après tout ce temps. Toutes ces années. Mais il n'a pas abandonné.

Il déambule à travers MexicanTown, il a entendu dire qu'un type un peu obscur trainait dans le coin et engageait des sans-abris pour livrer des trucs. Des paquets à l'identité douteuse dont il ne révélait rien. Il fallait simplement les déposer à l'endroit indiquer et revenir récupérer ses quelques billets. Il sait que c'est risqué, mais il sait aussi qu'il n'aura aucune attache. S'il veut arrêter du jour au lendemain, personne ne viendra le chercher. Alors si ça peut lui permettre de récolter quelques dollars pour se payer deux-trois trucs de temps en temps, il est prêt à courir le risque. Il a besoin de clopes. Et de manger vu les bruits que fait son ventre. Mais de clopes, surtout.

Et accessoirement d'un briquet. Il s'arrête en plein milieu du trottoir, légèrement courbé en avant alors qu'il tente désespérément d'allumer la fin de cigarette qu'il a trouvé par terre quelques mètres avant. Quand on a atteint son niveau de misère, on n'hésite plus à ramasser les restes semés par les autres. Même s'il n'en tire qu'une seule taffe, ce sera mieux que rien. Mais le briquet refuse de tenir la flamme plus d'un huitième de seconde. A peine une étincelle. Il râle, secoue le briquet comme si ça allait magiquement le remplir de gaz.

C'est là qu'on lui tape sur l'épaule. Il ferme les yeux une seconde et soupir, espère naïvement que ce sera une âme charitable qui l'aurait vu galérer avec son briquet et qui se proposerait de lui prêter le sien. Mais vu sa chance, c'est plus probablement quelqu'un qui l'a reconnu et qui compte lui expliquer ce qu'il pense de lui.

Mais quand il se retourne et que son regard tombe nez à nez avec un visage familier, il perd ses moyens. La rencontre est inattendue. Tout comme la main qui lui décroche la mâchoire. Le mégot dans sa bouche s'échappe et va s'écraser plus lui, tout comme le briquet qu'il lâche sous l'effet de surprise, alors qu'il titube de deux pas en arrière, abasourdit. La sensation de brûlure sur sa peau est mordante, comme des milliers de fourmis qui le grignoterait de l'intérieur. Les yeux écarquillés, il vient poser sa main sur la zone douloureuse et relève la tête vers Neva. — Mais... ? C'est tout ce qu'il parvient à sortir, un peu sonné par ces retrouvailles pour le moins désagréables. Il s'était imaginé des millions de choses et il doit bien reconnaître que la violence faisait un peu partie de tous ses scénarios - en ce qui concerne Neva en tout cas.

Mais il ne sait pas ce qui fait le plus mal. La gifle, ou l'animosité qu'elle lui témoigne.

— Donnes-moi une seule putain d’bonne raison de ne pas te casser la gueule, là, tout de suite ! Elle se montre virulente et il fronce les sourcils, contrarié. Il est déstabilisé par sa présence, frustré de ne pas avoir pu l'anticiper, s'y préparer. Il se redresse pour lui faire face, les yeux assombrit par la rancœur. Il malaxe sa joue, gamin boudeur. Y a son cœur qui cogne un peu plus fort, mélange dégoulinant d'émotions contradictoires. — Bonjour déjà ? Qu'il grogne, agacé. Il devient nerveux, mal à l'aise de ce face à face qu'il a autant espéré que redouté. Il ne peut pas nier le fait qu'elle lui a affreusement manqué, mais la colère qu'il ressent à son égard et surtout la peur de voir la déception et le dégoût dans son regard ont quelque peu élimé son envie de la revoir. Il fait un pas dans sa direction, refusant de se démonter devant cette furie. Il écarte les bras, théâtrale comme toujours. — Oh mais tu sais, des raisons j'peux t'en donner toute une liste même ! Il ramène ses mains devant lui, lève son pouce alors qu'il commence à compter.

— Déjà, désolé d'te l'apprendre mais t'es pas VIP, y a toute une liste de personnes qui veulent me péter la gueule, alors fais la queue. Il lève son index pour continuer à compter. — Ensuite, j'estime que pour pouvoir m'taper dessus faut être irréprochable. Et abandonner son pote comme un grosse merde alors qu'il est en galère c'est tout sauf irréprochable donc, va t'faire foutre ! Le ton est agressif, chargé de reproches qu'il a rêvé trop de fois de leur déverser à la gueule, à tous les trois. Tant pis, elle prendra pour tout le groupe puisqu'il n'a qu'elle sous la main pour l'instant. Il ajoute son majeur. — Et troisièmement... Il marque une pause, haletant, la défiant du regard. Son attitude change du tout au tout assez brusquement. Il s'adoucit, bien joindre ses mains devant lui en signe de prière et prend une voix suppliante. — S'te plait, me frappe pas, j'ai pas d'quoi me soigner, ça va encore s'infecter, après j'douille de fou, c'est la merde, et j'ai pas envie d'crever comme une merde dans l'caniveau parce que j'aurais chopé un truc trop naze. Il n'ira pas jusqu'à se mettre à genoux, mais il connait les états d'âmes de Neva et si elle décide de lui sauter à la gorge il ne donne pas cher de sa peau. D'autant plus qu'il n'osera probablement pas vraiment se défendre. Ce serait un carnage. Il n'a pas les moyens de s'offrir un tel luxe.