(intrigue) mauvais film (barbra)

Qu'ils étaient chiants à l'entrée, les gars. Plus de place, vous rentrez pas avec votre voiture, vous avez pas votre place ? C'est un cinéma en plein air, comment on peut limiter le nombre de place ? De toute façon, c'est chaque fois pareil, dès que y a quelque chose qui semble cool dans cette ville, c'est en fait très souvent pourri. Énervé, j'aurai pu décider de rentrer chez moi, la vérité c'est que j'ai vraiment envie de revoir Crocodile Dundee mais j'ai surtout envie de sortir de chez moi. J'sais d'avance que j'y passerai pas une bonne nuit et la plupart du temps, j'évite juste de dormir. Mais ce soir y a rien à faire, et tout le monde d'occupé. Alors après quelques minutes passées à l'écart je prétexte que mes potes m'attendent et me faufile à l'intérieur du parking en suivant un groupe. Une fois au milieu de la rangée de voiture, j'esquisse un sourire victorieux et m'enfonce dans le labyrinthe. Le problème c'est que je peux pas vraiment squatter ici sans voiture. Alors je me promène un moment en fumant sur une clope et plus ça passe plus je me demande ce que je vais bien pouvoir faire. J'hésite à squatter plusieurs voiture et toc même à la vitre de l'une d'elle, mais quand elle s'entrouvre, le couple à l'intérieur ne semble pas vraiment disposé à me faire une place. Je me contente d'un sourire gêné et poursuit ma route, presque résigné à l'idée de m'installer dans la terre à mal voir le film. Après tout ça sera toujours mieux que rien.

C'est environ au moment où je me repère un petit coin qui m'emballe plus ou moins, je vois au loin cette caisse, une décapotable plutôt stylé. Mais c'est surtout la conductrice qui m'interpèle. Au début, je me contente de la trouver plutôt mignonne avant que son visage ne s'illumine dans mon cerveau. Putain, c'est elle. C'est la blonde de la voiture. J'émets un petit rire halluciné de retomber sur elle et l'observe quelques instants. Elle et cette caisse. Pas celle que j'ai reprise à May avant qu'on ne pique ensemble le 4x4, comme quoi, finalement, elle n'était pas tellement à plaindre. Peut-être bien que sa crise d'hystérie de l'autre fois m'énerve encore un peu quand j'y repense, surtout parce qu'à cause de ça on s'est fait casser la gueule par des flics, mais je ne suis pas non plus particulièrement rancunier. Finalement ça c'était bien soldé. Alors je me décide et m'approche de sa voiture, les mains dans la poche centrale de mon sweatshirt.

J'arrive par derrière, elle ne me remarque que quand je me penche de côté passager pour que mon visage soit à sa hauteur et que je lance : Elle serait pas à moi cette caisse par hasard ? Surtout pour la blague, j'esquisse un sourire avant de tendre le cou pour regarder sur la banquette arrière. Et finalement j'hausse les épaules : Ah bah non, y a pas de soutif à l'arrière. Je me mets à rire, encore ahuri de cette histoire de soutien-gorge de planquer dans la voiture de May qui aurait soit disant été la preuve irréfutable que c'était bien sa voiture. Sans vraiment me préoccuper que je viens de me foutre de sa gueule pour l'aborder, j'enjambe la portière et saute sur le siège passager en poussant un soupir d'aise. Là j'observe autour de moi avec une moue d'approbation. Eh bah elle est super cette caisse, franchement. J'vois pas pourquoi tu t'nais tellement à récupérer l'autre pourrave là. C'est vrai que le tas de ferraille innommable que j'avais hérité de May était vraiment nulle, et à côté de n'importe quelle autre voiture. Quand j'ai récupéré le 4x4 j'aurais peut-être pu lui ramener, vu qu'elle avait l'air d'y tenir. Mais j'ai préféré tenter de me faire un peu de blé avec les pièces détâchés, enfin pour ce que j'en ai tiré, on peut pas vraiment dire que ça valait le coup. J'espère juste qu'elle ne va pas remettre ça sur le tapis et me demander de lui rendre.

Histoire de changer de sujet, je m'étire et m'enfonce dans le siège passager que je trouve parfaitement à mon goût. Ça te dérange pas si j'me pose là ? Non parce qu'ils sont super chiants à l'entrée, comme quoi j'ai pas de ticket donc j'peux pas venir en caisse, blabla. Bref trop relou. Et là je remarque un paquet de smarties sur le tableau de bord, mon regard s'illumine et j'attrape le paquet que je pose sur mes genoux, puis j'en prends une grande poignée que je mets dans ma bouche d'une bouchée. Trop bien ! Que je commente satisfait avant de regarder autour de moi : T'as pas des bières par hasard ?

Ses cheveux recouvrent son visage, emportés par le vent. Un mouvement de main et elle les coince derrière son oreille – elle est bien trop heureuse pour se soucier de la possibilité d’être décoiffée. C’est que ça en vaut la peine, pour vivre enfin cette vie qu’elle a mérité, ou plutôt pour en avoir un aperçu au volant de la décapotable noire qu’elle avait depuis quelques jours maintenant. Barbra l’avait piqué à un type marié qui avait pas pris la peine d’être vigilant quand il a décidé de la sauter – il a pas capté son portable qui filmait alors qu’il prenait son pied, son portable qu’il filmait toujours quand il lui a confié ses problèmes conjugaux, le tout enrobé d’une liste de défauts horribles avec lesquels il décrivait sa femme. La gamine s’était contentée d’écouter en jubilant. C’était sûr, elle l’aurait cette voiture qu’elle avait repéré, celle-là même qui l’avait poussé à l’aborder. Elle en avait marre de se coltiner les transports en commun, tous ces gens ignobles, toute cette marche qui l’insupportait aussi. Trouver un autre moyen de locomotion était devenu sa priorité et puisque, clairement, elle ne pouvait pas compter sur Seven pour ça, elle avait été obligée de prendre littéralement les choses en main. S’il avait fini par s’énerver en comprenant le manège de Barbra, il s’était rapidement calmé face au chantage de la blonde qui n’avait de toute façon rien à perdre. Il avait cédé et accepté son plan, déclarer sa voiture volée dans un coin pourri de la ville – plein aux as comme il l’était, ce serait toujours moins coûteux qu’un éventuel divorce, surtout avec une preuve aussi flagrante d’infidélité. Elle avait gardé la vidéo comme moyen de pression éventuel si les flics se retrouvaient miraculeusement sur sa piste, même s’il n’avait aucune véritable information sur elle. Une plaque d’immatriculation changée plus tard, la voici au volant de la voiture la plus chouette qu’elle ait eu jusqu’à présent. D’accord, ce n’était pas le dernier modèle en date, mais elle était bien plus fiable que la voiture qu’elle avait avant tout ça. Et puis, elle avait toujours rêvé d’avoir une décapotable.

La gamine arrive au drive suffisamment tôt pour avoir une bonne place. Elle s’installe confortablement, siège qu’elle recule pour s’étendre devant l’écran géant, bonbons en tout genre déposés sur le tableau de bord. Ce n’était sans doute pas raisonnable mais elle n’avait quasiment rien mangé la veille alors elle pouvait bien se permettre ces quelques confiseries. Elle grignote quelques smarties quand une tête connue fait brutalement irruption dans son champ de vision, la faisant sursauter. Elle tourne la tête vers le côté passager, incrédule face à l’homme qu’elle a sous les yeux. Lui, encore ? Vraiment ? Il lui balance une blague qui fait écho à leur première rencontre et elle fronce les sourcils, indifférente. Elle était censée rire, peut-être ? D’accord, la dernière fois, ça c’était bien terminé mais elle s’était quand même fait passer à tabac par ces enfoirés de flics et elle n’avait pas récupéré sa voiture. Il l’avait aidé à s’en tirer mais elle retenait que c’était en grande partie de sa faute à lui s’ils s’étaient retrouvés dans un tel merdier alors elle n’allait quand même pas prétendre être enchantée de le retrouver. « Mais qu’est-ce que tu fous ? T’es sérieux là ? » Il ne prend évidemment pas en compte son désaccord alors qu’il prend place côté passager, sans même l’avoir consulté. Il ne manquait pas de culot, celui-là ! Le voilà encore à critiquer son ancienne voiture, à croire qu’il avait oublié qu’il lui avait volé – lui, une autre meuf, elle s’en foutait, le résultat était le même. « Peut-être parce que c’était MA caisse ? Puis, si elle est si pourrie, rends la moi! » Elle préférait largement sa décapotable mais si elle récupérait l’ancien modèle, elle pourrait peut-être se faire un peu d’argent en la revendant. Barbra ne se berçait pas d’illusions et se doutait bien qu’elle ne devait pas valoir grand-chose, mais ça restait de l’argent qui lui revenait.

Et visiblement, ses râles ne changent rien à la détermination du type qui s’installe un peu plus dans son siège, décidé à rester ici pour regarder le film. « Bah si grave, ça me dérange ! J’voulais être tranquille et toi tu débarques comme ça, tu t’es cru chez ta mère ou quoi ? » Elle sait même pas pourquoi il prend la peine de lui demander alors qu’il est déjà installé et clairement pas décidé à bouger de sa place. « MAIS NON ! » qu’elle crie alors qu’il commence à manger ses smarties – et c’est ça la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Elle ne s’offrait que trop rarement des plaisirs de ce genre et il fallait qu’il s’en prenne à sa nourriture aussi, maintenant ? C’était trop. « Des bières ? Mais oui, bien sûr, attends elles sont derrière ! » Elle se retourne et se penche vers le siège arrière, fait mine de fouiller. « Oh regarde, elles sont là ! » Elle se tourne vers lui à nouveau pour lui tendre son majeur. « La dernière fois ma caisse, maintenant mes smarties… Putain tu veux pas ma culotte non plus ? » Barbra lève les yeux au ciel, croise les bras sur sa poitrine. Elle n’est pas décidée à tolérer sa présence alors qu’elle voulait passer la soirée seule. L’écran s’illumine mais elle n’y prête même pas attention, focalisée sur le squatteur qui semble peu enclin à écouter ses réticences. Elle observe les alentours rapidement, lui montre une voiture un peu plus loin avec une femme seule aussi – bon d’accord, elle n’est pas aussi belle qu’elle mais elle s’en soucie peu, ne veut que se débarrasser de l’homme.  « Mais dégage! Va squatter avec elle, elle est seule aussi et j’suis sûre qu’elle sera RA-VIE d’avoir un peu de compagnie ! » Elle se penche pour accompagner gestes et paroles, se retrouve à moitié sur lui pour pouvoir ouvrir la portière, impression de se retrouver avec les rôles inversés par rapport à leur dernière rencontre. « Allez hop, fonce, elle attend que toi ! » Et peut-être qu’elle parle trop fort, qu’elle gêne autour d’elle mais comme d’habitude, seuls ses petits problèmes importent. Elle remarque à peine la météo qui change et les regards mauvais lancés dans leur direction.

Ses réactions au quart de tour, je les prends avec une distance amusée. Elle a l'air du genre sanguine cette fille. Du coup quand elle dit : Peut-être parce que c’était MA caisse ? Puis, si elle est si pourrie, rends la moi! je ne me méfie pas et, tout en m'installant à l'intérieur de sa super décapotable, je réponds sans trop réfléchir : Tu parles, je m'en suis débarrassé de cette merde. Je me rends pas compte qu'elle pourrait devenir complètement dingue de savoir qu'au lieu de lui rendre, j'ai préféré l'apporter à la casse. Pourtant j'ai hésité à la rendre à May ou bien, histoire de mettre un point final à cette histoire de caisse soit-disant volée, la rendre à la blonde. Peut-être qu'elle aurait été reconnaissante et qu'elle aurait même accepté de prendre un verre avec moi, et on aurait évoqué en riant cette sale histoire d'interpellation musclée avec ces putains de flics. Mais rien, ayant la capacité d'analyse d'une petite cuillère, j'ajoute même, en riant grassement : À peine 200 balles pour les pièces détachées, une arnaque cette épave. Je ponctue ma phrase par un long étirement pendant que je m'installe confortablement, ce qui ne calme en rien son hystérie.

Mais je crois que le moment où je dépasse vraiment les bornes, c'est quand je m'empare des smarties. Elle pousse un genre de cri et moi je lui jette un regard en biais, les joues gonflées, l'air un peu coupable, sans savoir ce qui la fait vraiment réagir. Ils sont empoisonnés ses smarties ou quoi ? Dans le doute, je les avale quand même et haussant les sourcils, un peu brusqué par sa non-capacité à partager. J'envoie le paquet sur le tableau de bord devant moi en demandant innocemment des bières. Des bières ? Mais oui, bien sûr, attends elles sont derrière !  J'y crois peut-être un tiers de seconde, quand elle se retourne, mais comprends bien vite, vu sa mauvaise humeur, qu'elle n'a aucune intention de me donner de quoi me désaltérer. Oh regarde, elles sont là ! Je suis face à son majeur et je le regarde en haussant les sourcils et en secouant la tête comme si, tant de violence me décevait profondément. Mais je perds vite mon sérieux quand elle ajoute : La dernière fois ma caisse, maintenant mes smarties… Putain tu veux pas ma culotte non plus ? Je peux pas m'empêcher de pouffer de rire, incapable de retenir la vanne qui me vient instantanément, toujours pas remis du soutien-gorge surprise d'entre les sièges de l'ancienne caisse : Bah, tout n'est pas perdu, y en a peut-être une qui traîne par-là. Et là je fais mine de chercher derrière mon siège, puis ouvre la boite à gant, toujours à la recherche de cette fameuse culotte. Je retire ma main pile poil quand elle la refermait avec mauvaise humeur sur mes doigts, recommence à rire : Roooh, ça va je blague. Elle, pour le coup, elle ne semble pas décider à blaguer avec moi. Non, elle veut surtout que je me tire de là et m'indique la voiture d'à côté, où une nana seule est également confortablement installée. Je plisse les yeux et regarde cette fille, sans faire attention je reprends quelques smarties au passage, et grimace. Vas-y, c'est mort, elle est super cheum. Que je commente sans aucune tact, et sans doute un peu trop fort, car j'ai l'impression que la fille dont un parle à un petit mouvement de tête vers nous, je m'empresse de détourner le regard avant qu'ils ne se croisent. Mais l'instant d'après Barbra est totalement couchée au-dessus de moi pour m'ouvrir la portière et me diriger vers une sortie forcée. Je me plaque contre l'arrière du siège, les mains en l'air, un peu gêné. Qu'est-ce que tu fous ?  Allez hop, fonce, elle attend que toi ! Je referme, décidé, la portière et repousse Barbra de son côté. Attends, c'est bon, tu peux bien m'accueillir pour un film après tout le sketch que tu m'as fait l'autre jour pour rien, sans preuve de rien du tout. On s'est fait casser la gueule à cause de toi et- Mon laïus est interrompu par un long sssshhhhhhtttt qui provient de la caisse d'à côté, celle de la fille vers laquelle elle me poussait. Je me recolle sur le dossier de mon siège, les yeux vers la grande toile blanche. Enfin, de l'animation, le film va commencer. Mais les trois secondes de répit s'apprêtait à être interrompu par la blonde qui refuse toujorus catégoriquement de me laisser profiter du film. Mais dès qu'elle ouvre la bouche, je me tourne vers elle, un doigt sur la bouche : Chut-euh, ça commence ! Et sans attendre, je commence à bidouiller le levier du siège pour m'installer un peu plus confortablement, manque de pot, il semble assez récalcitrant et me voilà complètement parti en arrière, dans un grand bruit qui m'attire des regards noirs. Je pense une seconde quand j'ai cassé son siège mais arrive, après quelques tentatives foireuses à la remettre en place, obligé de la calmer d'un regard et d'une main levée. Ça va, ça va, calmos, c'est réparé. Et je soupire, franchement, je m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi relou.

Bon, sans doute que je cherche, puisque à peine trente seconde plus tard, et après voir repris des smarties, je lâche dans un murmure boudeur : N'empêche que ça aurait été mieux avec des bières.