Sauver la nuit de la fille (Maycolm)

Parfois, tu te demandais vraiment ce qu’il y avait de si bien à te faire casser la gueule pour que tu te sentes obligée d’y revenir à chaque fois. Tu savais pourtant qu’avec Seven, ça finissait toujours mal. Très mal. Sauf que cette fois, malgré la douleur, tu n’en pouvais plus de jubiler pour ce que tu lui avais fait. Oh, il te le ferait payer cher, très cher même, assez pour que tu marches en te retournant de temps en temps pour être certaine qu’il ne soit pas sur tes talons, prêt à prendre sa revanche et assouvir sa vengeance. Oui, sans aucun doute, tu n’étais pas sereine et tu vivais même avec un noeud dans le ventre. Mais tu ne regrettais pas. Tu ne regrettais aucune lettre que tu avais gravé sur son ventre. Ni le sourd bruit de la batte à Daire venue s’encastrer dans son visage fou. Avait-il déjà recouvert le tatouage ? Tu espérais que non. Tu espérais qu’il enrage dans son coin, mais tu n’avais pas spécialement envie de le croiser tout de suite. Ni jamais en réalité. Peut-être devrais-tu suggérer à Samih de déménager ? Vous l’aviez bien fait une fois après tout, pourquoi ne pas décider de traverser le pays et retourner au bord de l’eau. Ce serait si bien ! Tu te voyais bien marcher le long des plages de la côte Ouest.
Dommage que tu étais loin des côtes. En fait, tu ne pouvais pas être davantage dans les Terres qu’en ce moment-même alors que tu remontais les rues d’un quartier parallèle, à la recherche d’une pharmacie encore ouverte. Tu avais déjà avalé tous les cachets prescrits par le dispensaire où tu avais fait remettre tes doigts dans le bon axe. Ça n’avait pas été très compliqué et à peine l’attelle posée et l’ordonnance en main, tu avais eue une envie pressante. Celle de fuir sans payer. Tu étais une habituée à force et avec ta gueule d’ange devenue violette par endroits, on avait eu pitié de cette pauvre fille battue par son fiancé. Tu étais douée pour raconter des histoires tout en prétextant son contraire. A peine sortie, tu avais jeté le carton du centre pour femmes battues. A la réflexion, tu aurais pu le garder, au cas où ? Mais trop tard pour regretter.
Ton principale problème pour ce soir, c’était de retrouver d’autres antalgiques car si ton nez n’avait finalement pas nécessité de soins particuliers hormis une tonne de fond de teint pour que JJ et Daire ne remarquent rien, ta main c’était une autre histoire.
A la maison, tu avais raconté être tombée dans les escaliers et t’être réceptionnée dessus. Ça pouvait être vrai, qui aurait pu s’imaginer qu’on te les avait volontairement cassé, hein ?

Arpentant les rues depuis deux heures maintenant, tu commençais franchement à en avoir marre de marcher et la fatigue te lançait de partout. Tu finis par ralentir le pas pour envisager un autre plan. Puisque les voies légales semblaient peu enclines à t’aider, autant passer par les voies obscures et trouver un dealer, ce n’était probablement pas si compliqué que ça. Ce qui l’était davantage, c’était de manquer d’argent. Merde. Avec un peu de chance, tu parviendrais à t’en sortir encore une fois ?
Armée d’un sourire pour t’encourager toute seule, tu finis par repérer un gars planté au même coin depuis un petit moment. Peut-être qu’il t’avait aussi repérée du coup, mais ce n’était pas grave. Tu finis par traverser la chaussée pour l’approcher. Aborder un dealer n’était pas toujours simple, certains se faisaient plus susceptibles que d’autres. Puis il y avait des trous du cul aussi. C’était une loterie. Si tes doigts n’étaient pas cassés, tu les aurais croisés.
— Salut. J’dis pas que t’as une tête de dealer, mais si t’en connaissais un, tu me sauverais la nuit. Tu sais faire ça ?

Ça me soule, je caille à force d’attendre là. J’ai un sac à dos sur une épaule, un sweatshirt et quasiment plus de clope. Faire le pied de gru devant les toxicos notoires, y a mieux comme plan pour un vendredi soir. Mais pas le choix, fallait bien qu’on s’y colle. On a joué à pierre, feuille, ciseaux mais je suis presque sûr que Drax a développé une méthode pour me battre au fil des années. C’est littéralement pas possible qu’il gagne à chaque fois. Il doit voir dans mes yeux ce que je vais faire, j’dois avoir un tic, j’sais pas. Cela dit il aurait pu m’accompagner, au moins on aurait passé le temps. Mais il dit qu’à deux on ferait fuir des clients potentiels. Il a sans doute pas tort, mais comme d’habitude c’est moi qui me retrouve à faire le sale boulot, comme si j’avais pas assez de trucs en tête, me voilà le sac à dos remplis de cachets à faire le pied de gru. J’ai quelques clients qui passent, quelques mecs qui me demandent d’un air vague ce que je fous ici. Je vends quelques boites et compte tranquillement mes billets. Finalement je jette un oeil au fond de mon sac. Si j’enlève les quelques boites de Benzo que j’me suis gardé, il me reste de quoi me faire deux cents, trois cents billets si j’vends ça bien. Les 150 que j’tiens dans les mains suffiront pas à calmer Drax, il faudrait au moins que j’écoule la moitié. J’inspire profondément et range tout ça avant de m’étirer. Je sors mon téléphone portable et envoie quelques messages. Elle surgit sans vraiment que j’y fasse gaffe. C’est sa voix qui attire mon regard. Salut. Je lève doucement la tête vers elle. La nana a l’air de s’être pris une rouste par son mec. J’reconnais ce genre de traces, comme un souvenir que j’arrive pas vraiment à visualiser. L’air de rien, cette petite nana au corps cabossé mais à l’air débrouillard me rappelle quelqu’un Peut-être bien ma mère. J’ai une drôle de sensation au fond du bide, et je la laisse enchaîner d’un air tranquille : J’dis pas que t’as une tête de dealer, mais si t’en connaissais un, tu me sauverais la nuit. Tu sais faire ça ? La pire entrée en matière de l’histoire. J’esquisse un sourire. Et hausse les épaules d’un air égal, j’ajoute pratiquement comme si je lui donnais un conseil pour un exam. Tu ressembles aux stups quand tu dis ça. Mais j’fais quand même tomber mon sac à dos de mon épaule pour le poser devant moi, sans l’ouvrir pour le moment. Cependant le bruit de cachetons qui s’en échappe ne laisse aucune place au doute. Malgré sa phrase un peu bizarre, il me semble évident qu’elle n’est pas flics. Les flics tu les reconnais parce qu’ils ont toujours entre trente et quarante piges, et ils ont un teint merveilleux. Ils essayent de s’ébouriffer les cheveux, ils copient les gestes de manque, ils bégayent, ils font tout ce qu’il faut. Mais ils ont toujours pas compris que leur teint, et leurs dents les trahissent. Les gars, ça se sent qu’ils ont une brosse à dent électrique, du fil dentaire et un bain de bouche tous les soirs. Ça se sent qu’ils se badigeonnent la barbe d’huile de jojoba pour que leur barbe soit jolie. Cette nana, elle a l’air aussi paumée que moi. Aussi paumée que nous tous. Et je la juge de la même manière qu’elle m’a jugé : on vient du même monde. Du coup je tapote mon sac et le bruit de cachetons résonne à nouveau. T’as de la chance, j’ai eu accès à des surplus de stock. Enfin j’ai cambriolé le dispensaire quoi. De la bonne cam d’ailleurs que j’pourrais préciser. Mais il semble qu’elle veut juste de quoi faire taire les douleurs qui éclatent contre tous ses os. Bonne cam ou mauvaise cam, elle prendra ce qui vient. Et j’suis encore le dealer le moins pété des environs. C’est pas une toxico, c’est une toxico par intermittence, une toxico en fonction des coups qu’elle se reçoit. Qu’est-ce qu’il te faut ? Morphine ? Sub ? Xanax ? J’aimerais autant qu’elle me laisse le Traxène du coup j’en parle pas. Et vu qu’elle n’a pas l’air décidé je lui fais un signe de tête et commence à marcher vers un coin un peu plus caché des regards. Là je m’accroupis sur le sol et lance un regard à droite et à gauche, puis pose le sac à dos entre elle et moi et l’ouvre sur la montagne de cachets qu’il me reste. J’en sors trois boites pour lui montrer de plus près. Elle a l’air mal à l’aise, entrain de réfléchir. J’sais pas si c’est juste parce qu’elle n’a pas l’habitude ou quoi. Je m’inquiète pas plus que ça. Compte au moins cinquante balles pour celle-ci. J’indique la morphine du regard. Les autres, trente balles la boite. Si t’en prends deux j’te fais ça à 50 aussi. J’invente mes prix en me basant sur ce qui se vend, mais aussi à cause de son air lunaire. Si y en a une que j’peux arnaquer, c’est peut-être elle. Sans doute qu’elle n’a aucune foutue idée des prix du marché.

Tu n’es pas douée pour aborder un dealer, t’as peur de mal faire, de t’en prendre une ou pire, te tromper de cible. Ce serait con ! A Savannah, tu les connaissais un peu au moins, au pire tu les repérais lors des Londoniennes, mais à Détroit ? Tout était nouveau, même la tête des gens. Ils avaient tous l’air plus abîmés ici, comme si peu à peu, le gris du béton atteignait leur épiderme et les rendait aussi triste que leur environnement. Ce type, de l’autre côté de la rue, peut-être que c’était un bon gars qui luttait chaque jour pour s’en sortir.
Mouais. Tu y croyais moyen, alors tu traversais la route pour t’arrêter devant lui et te lancer, mal-assurée. Pourvu que tu ne te sois pas trompée, tu n’étais pas certaine que ton nez survive à un autre coup. Tu avais déjà la chance qu’il ne se soit pas dévié. Tu ressemblerais à quoi, hein ? Avec un nez tordu ? Tu ne doutais pas faire plaisir à Barbra, en étant défigurée, mais ce n’était pas dans tes plans. Heureusement, le type se met à sourire alors tu souffles un peu, laissant tes épaules se décontracter. « Ah ? En même temps, des fois ils sont susceptibles les gens alors j’sais pas moi » expliques-tu sur le ton de la conversation. Tu ne t’embêtes pas des convenances et de la politesse, tu t’adresses à lui comme si tu le connaissais depuis toujours, parce que tu ne le verrais probablement plus jamais. Alors à quoi bon s’embêter ?
Heureusement pour toi, il n’est ni susceptible, ni un bon gars. A la manière dont il pose son sac, tu as l’impression d’être face à un pharmacien ambulant. C’est que ça doit peser lourd en plus, son bordel ! Il n’ouvre pas immédiatement le sac même s’il le tapote pour que tu saisisses bien que t’étais tombée à la bonne adresse. Tu souris d’un air entendu. « J’viens d’arriver en ville » poursuis-tu pour justifier de ton précédent manque de confiance. Tu n’aimes pas passer pour une faible, ou une débutante. malheureusement, c’est toujours ce à quoi tu ressembleras, parce que t’as pas la tête d’un voyou, t’es même encore jolie malgré les couleurs douteuses de ta peau, mais indiscutablement, il y a dans ton regard cet air désinhibé de ceux qui se fichent des lois et des règles, ceux qui ne font jamais que ce qu’ils veulent et qui vivent trop fort pour espérer une fin heureuse.
A son annonce, tu lui offres un joli sourire. « Super, je penserai à toi quand je pourrais à nouveau dormir en paix » précises-tu d’un sourire entendu. L’origine de son stock t’intéressait moins. On ne demandait pas son truc à un magicien, de même tu ne demandais pas l’origine de sa marchandise, parce que ça ne te concernait pas et plus globalement, tu t’en souciais peu. « Je m’en fous, je veux juste pas m'endormir sur pieds » Parce que tu avais besoin de te sentir en éveil. C’était trop dangereux d’être à la masse. Tu ne sais pas trop ce qui est au mieux, tu n’es ni médecin ni pharmacienne. Une chance qu’il soit patient et quand il te demanda de le suivre, tu ne te posais pas de questions. Tu l’accompagnais.
A croire que tu n’avais aucune idée du danger.
Une surprise que tu sois encore en vie. Ou entière.
T’approchant de lui et du sac, tu regardais le contenu à la recherche d’un emballage connu, mais tu n’en reconnaissais aucun pour l’instant, parce que tu n’avais jamais visité les stocks d’une pharmacie, probablement. « Tu sais qu’à ce prix, y’a moyen de se payer la consultation du toubib avec ta tablette ? » Te moquais-tu doucement. C’était pas tout à fait vrai. Mas tu n’avais pas cinquante balles, ni trente, ni dix en fait. « Et comment je sais si ils ne sont pas périmés depuis cent ans ? Tu me laisses tester ? » Tu lui offres un autre de tes sourires avec un petit rictus désolé. Tu te donnais les airs de celle à qui on ne la faisait pas, alors qu’elle n’y connaissait rien. Bref, tu jouais à la conne, mais tu étais simplement trop fauchée pour lui payer quoique ce soit. « J’risque pas de partir en courant » assures-tu. En réalité si, tu pourrais, mais le risque qu’il soit plus rapide était trop grand.

Ah ? En même temps, des fois ils sont susceptibles les gens alors j’sais pas moi J’arque un sourcil, lui fait un sourire mi-gêné, mi-je-m’en-bats-les-steaks-de-ta-vie et acquiesce. Ouais, ok, si tu veux. Je m’en fous de tes dealers habituels, enfin, tes dealers imaginaires habituels. Parce que ça se sent à des kilomètres qu’elle a jamais fait ça de sa vie. Rien d’autre qu’un hmmhmm peu intéressé ne sort de ma bouche. J’viens d’arriver en ville qu’elle ajoute alors que j’pose le sac devant moi. Je lui lance un petit regard par en-dessous. C’est dingue qu’elle se sente obligée de faire la conversation avec un dealer. Ah ok. Que je réponds, parce que je sais pas du tout quoi lui dire. Et puis je me sens un petit peu coupable de toute la condescendance que j’ai mis dans ma phrase, et j’ajoute, d’un air un peu plus rieur : Bah, t’as vite trouvé ton chemin à ce que je vois. J’pourrais lui faire la liste des lieux à visiter à Detroit, mais j’en ai aucune foutue idée. Cette ville est un désert, un champ de ruines au milieu de rien où y a rien à faire. Voilà, si vous me cherchez, je suis à l’office de tourisme. De toute façon, j’ai autre chose à foutre que de parler de la pluie et du beau temps avec une nana que j’connais pas. Alors je réoriente la conversation rapidement sur le “surplus de stock” auquel j’ai eu accès. Elle s’en fiche complètement, tout ce qui l’intéresse, c’est de bien dormir la nuit. Je lui lance un œillade, j’comprend ça. J’pourrais lui donner des conseils honnêtes, mais j’ai juste envie de me faire le plus de blé possible, alors j’réponds d’un air tout à fait naturel : Prends d’la morphine dans ces cas-là. C’est ce qui se vend le mieux. Du coup je commence à lui présenter la marchandise, et les prix. Elle tente une blague qui passe moyen : Tu sais qu’à ce prix, y’a moyen de se payer la consultation du toubib avec ta tablette ? Je la regarde, encore accroupi sur le sol, et m’arrête net dans tous mes gestes une demi-seconde. Et bah qu’est-ce que t’attends alors ? Que j’réponds, plus sec que je ne l’aurais voulu. Sans surprise, elle ne compte pas aller consulter. De toute façon, les toubibs de cette ville ont tellement l’habitude des camés qui tentent de soutirer des médocs qu’ils prescrivent rien d’autre que de l’aspirine, en plus de ça ils te font leur morale à la con dès qu’il soupçonne une maltraitance. Sérieusement, quoi. Finalement je soupire et lui présente les trois médocs qui peuvent l’intéresser. Elle les considère longuement, et puis, la nana, elle me sort ça : Et comment je sais si ils ne sont pas périmés depuis cent ans ? Tu me laisses tester ? Je réponds à son sourire enjôleur par un autre, clairement plus cynique. Quelques pouffements de rire, parce qu’elle est bonne sa blague. T’as jamais acheté dans la rue ou comment ça se passe ? J’vais tomber les boites de subutex et de xanax dans le sac que je referme rapidement, et garde la boite de morphine dans une main. J’risque pas de partir en courant Je soupire et éloigne la boite par sécurité, le sac toujours à mes pieds. J’m’en tape, j’te fais rien tester du tout. Si tu la prends pas la boite, j’me retrouve avec moins de cachets que dans les autres et j’fais quoi ? Je la vois se déliter devant moi, comme si elle préparait un mauvais coup ou je ne sais pas quoi. Et sais pas si je suis juste bête ou naïf, mais pour le moment, j’prends juste ça pour un manque total d’expérience dans le domaine des deals. J’peux pas lui en vouloir. Les jolies filles qui finissent par mal tourner, y en a des tonnes. Mais je m’impatiente quand même devant son silence : Écoute, fais ce que tu veux, mais me fais pas perdre mon temps. 50 balles pour la morphine, 30 pour les autres, à prendre ou à laisser. J’me laisse tomber contre le béton, toujours en tenant fermement la morphine, le sac plein des autres médocs entre nous, j’essaie de prendre un air de caïd, sans trop savoir si ça fait effet ou pas. Elle n’a pas l’air rassurée, mais elle ne sort pas le fric pour autant. C’pas compliqué enfin, j’sais pas moi. Que j’soupire finalement.

Tu parles, mais le gars a l’air plus gêné qu’autre chose. Certains ne supportent pas le silence, d’autres s’agacent des discussions, ce n’est pas toujours facile de savoir à qui on a affaire. Mais toi, t’es pas là pour faire causette, tu es venue récupérer tes medocs sauf que t’as pas un rond sur toi, et ça, c’est un problème. Alors tu tâtes le terrain, t’essaies de le cerner, essayer du moins parce qu’en deux minutes, ce n’est pas simple. Il s’en fout complètement de ce que tu dis, mais tu continues, parce que s’il pense à autre chose, il sera moins vigilant. C’est un coup de poker, hein. Juste une question de timing et un peu de chance. Il en fallait toujours un peu pour se tirer d’affaire, ça ou avoir des filets de secours. Samih pourrait en être un, maintenant qu’il savait, tu avais l’impression qu’il était plus attentif, plus sur ses gardes aussi. La dernière fois que tu avais eu besoin de lui, il n’avait pas tardé à venir. C’était plaisant, mais tu n’avais pas envie de mettre sa réactivité à l’épreuve. Alors sagement, tu suivais le dealer au fond de la ruelle et si tu paraissais hésitante et méfiante, tu examinais surtout avec attention les lieux. Parce que dans ta tête, c’était déjà clair qu’il y aurait entourloupe. Il n’a pas l’air de l’avoir compris, lui par contre. C’est dommage. Peut-être qu’il est sympa, peut-être que derrière le masque froid du dealer se cache un chouette type, un autre de ces paumés comme toi et comme tous les autres. Tu pourrais avoir de la peine, mais tu as surtout de la peine pour ton joli visage violet sous la couche de fond de teint. Parce que tu as beau aller pleurer au dispensaire pour des cachetons, tu tiens quand même à ta dignité. T’as déjà croisé Seven, faudrait quand même pas tomber sur cette connasse de Barbra quand même. Elle adorerai te voir ainsi déglinguée !
Baissant finalement les yeux sur le sac ouvert aux pieds du dealer, tu commences à négocier. Parce que ça le rend nerveux, ça agace et ça énerve. C’est le but. Tu écoutes néanmoins attentivement ses conseils parce que finalement, il y a toujours ça de pris. Morphine donc. Tu hoches du menton. « Ok, on part sur ça alors » confirmes-tu avant de reprendre tes négociations avec toute l’innocence butée dont tu étais capable. Tu le sens que ça commence à monter. Le tout étant de ne pas le froisser avant le bon moment. C’est un exercice que tu maîtrises, tu as eu de bons maîtres dans le domaine. Tu en remets une couche et tu sais que c’est comme lui pisser au nez. Obligé ça va le fâcher. Tu ricanes intérieurement. Tu cherches à gagner du temps et tu enfonces tes mains, enfin ta main valide puisque la seconde est enveloppée dans une attelle, dans ta poche. « Ben j’sais pas moi » Si tu sais. Et tu sais très bien que tu te fous de sa gueule. Lui ne le sait pas encore alors tu te gardes bien d’effacer cet air renfrogné de ton visage.
Le dealer te recadre plutôt gentiment et s’assoit à terre. C’est le moment, sans doute. Tu te saisis de l’occasion et finis par hocher du menton. « D’accord d’accord, t’énerves pas je te prend la morphine. Et finalement, met moi quand même un Xanax s’il te plait » finis-tu par dire, fouillant dans ta poche pour chercher de l’argent imaginaire. Et le temps qu’il baisse les yeux à la recherche de l’autre tablette, c’est pas ton porte-feuille que tu tires, c’est le shocker de poche que tu dégaines. Fidèle au poste, tu as déjà eu l’occasion de le tester, il fonctionne super ! Tu te perds pas ton temps, c’est dans contre son cou que tu envoies la décharge et d’un bond, tu t’écartes pour ne pas te prendre de coup de jus en retour, mais dans la foulée, tu attrapes son sac. « Désolée, il me les faut vraiment ! » T’excuses-tu sans être réellement désolée avant de filer. Ce n’est qu’au bout de la ruelle que tu lui lances un dernier « T’inquiète, je te rembourserai ! » Une promesse que tu tiendras. Peut-être. Mais pour l’heure, tu n’attends pas qu’il se relève pour filer aussi vite et loin que possible.

D’accord d’accord, t’énerves pas je te prend la morphine. Et finalement, met moi quand même un Xanax s’il te plait J’inspire longuement, soulagé. Bon, elle m’aurait pas fait perdre mon temps au moins. Assez fier d’avoir réussi à la convaincre si rapidement de me prendre double dose, je lui offre un petit sourire, signifiant que tout est pardonné, ses maladresses et sa tentative stupide de m’arnaquer. Ok, cool. Que je commente, détendu. Je m’accroupis à nouveau sur le sol pour sortir la boite de Xanax qu’elle m’a demandé, fouille un petit moment parmi les cachets pour trouver la bonne. Je les considère longuement, un à un, et parce qu’elle me semble un peu trop passive je lui lance un regard par en-dessous, lui rappelant quand même : 80, s’teu-plait. Elle commence à fouiller dans ses poches alors je m’inquiète pas, je reprend ma recherche tranquillement. En même temps je calcule. Plus de deux cent balles pour ce soir, j’reste encore une heure après elle, et après j’rentre me pieuter. C’est suffisant pour le moment, Drax fera pas chier. Il sera toujours temps pour nous de revendre le reste dans quelques semaines, quand on en aura à nouveau besoin. Pour le reste, j’me porte volontaire pour garder les pilules dans mon armoire à pharmacie. Et j’dévie un peu en pensant au cocktail explosif qui m’attend à la maison. De quoi tomber raide en travers du lit et dormir douze heures de suite. Exactement ce qu’il me faut. Les cauchemars s’arrêtent pas en ce moment. D’ailleurs, soudain pris de fatigue, je m’essuie un oeil avec la paume de ma main. Enfin, la boite de Xanax apparaît. Je la prend et la secoue pour attirer l’attention de la gonzesse. Ok c’est b-

Je m’arrête en pleine phrase. Parce qu’en relevant les yeux, je vois tout de suite son taser qu’elle tient fermement dans une main. Y a peut-être qu’une demi-seconde qui se passe avant que la morsure électrique ne me paralyse tout entier. La décharge crispe tous mes muscles, black out. J’pourrais gueuler mais plus rien ne répond. Cette pute m’a tasé. Cette pute. M’a. TASÉ.

J’sors de mon état végétatif je-sais-pas-combien de temps après. Je commence par un grognement endormi, mes muscles sont encore tout raides, je m’étire comme je peux, tente de me réapproprier mes membres. Mais tout est encore douloureux, et je roule sur le dos et fixe le dessous du pont, pour le moment je percute pas vraiment ce qui s’est passé. J’me contente de malaxer ma nuque en feu. Mais ça me revient une seconde plus tard. Alors je me redresse d’un coup, trop vite, j’ai le tournis. Assis par terre et je regarde partout autour de moi. Non, non, non, non, non, non… que je marmonne nerveusement tout du long. Dans la pénombre, j’me mets à genoux et tâte le sol avec mes mains pour essayer de tomber sur quelque chose, n’importe quoi. Mon eastpack, un boite qui en serait tombé. Rien, que dalle. Cette pute s’est pas contenté de me voler les deux boîtes. Cette connasse a volé TOUT MON STOCK. Même ce que je gardais pour moi. Mon coeur s’accélère. NON ! PUTAIN ! MERDE ! NON ! Que j’me mets à gueuler, je me redresse et chancelle sur deux pas. Et je me mets les deux mains par-dessus ma casquette, sonné. J’sais pas quoi faire. C’pas possible, c’pas vrai. PUTAIN D’MERDE DE BORDEL À QUEUES PUTAIN ! Et là j’commence à m’énerver tout seul trop vite. Je shoot dans tous les galets que j’croise, je les ramasse, les balance dans le vide, grogne, cri, m’énerve. Tape du pied contre le mur. Ça fait mal, je hurle. MAIS PUTAIN C’EST PAS VRAI ! Je décolère pas. Drax va me tuer, non il va pas me tuer, il va m’insulter de tous les noms puis me tuer. Arg ! Putain ! Alors je recule et m’approche des quelques camés qui trainent ici. Elle est partie où l’autre pute ? Certains lèvent lentement la tête vers moi, peu concerné, et surtout, ils n’ont aucune foutue idée de ce dont je parle. Et ça m’énerve deux fois plus. L’autre conaaaassse là, putain ! La meuf qui était là, celle qui m’a tasé bordel de merde ! Sérieux ? Vous avez rien vu ? Ils haussent les épaules d’un air indifférent. Je pousse un nouveau juron et shoot dans une cannette de bière. Putain d’solidarité de toxicos de MERDE-EUH ! Je souffle un bout coup en tentant de faire redescendre la pression. Je met une main devant les yeux, l’autre à ma taille. Je tente de faire le point. J’y arrive une seconde, et puis je recommence à m’exciter dans tous les sens. Au moins, je sers d’attraction aux camés.

» (intrigue) too high (maycolm)
» debt not paid (maycolm)
» nuit en bonne compagnie. (jjj)
» Oiseau de nuit (Luna)
» les ombres que tu crées n’ont pas droit à la nuit.