mauvaise trajectoire. (ltf futur)

Il attrape brutalement le poignet de sa mère, le tire vers lui et arrache de ses mains la bouteille de téquila qu'elle serrait. Il la claque bruyamment sur la table avant de lui crier dessus. — On t'a déjà dit d'arrêter d'boire aujourd'hui maman ! Tu sais plus t'tenir après, regarde-toi, t'as pas honte ? Silence autour de la grande tablée. A l'autre bout, le chef de famille, le père de Nino, hoche lentement la tête de gauche à droite, un regard désapprobateur posé sur sa femme. Il a honte d'elle, ça crève les yeux. Quant à elle, elle ne dit rien. Ne regarde même pas ce fils qu'elle ne reconnait plus. Elle se contente de prendre sur elle et d'offrir un faux sourire désolé, avant de recommencer à manger dans le plus grand des silences, impassible, forte. Nino souffle, contrarié et lance un regard à son père. Tous deux semblent se mettre d'accord en silence sur le fait que sa mère fait n'importe quoi depuis quelques temps. Elle se laisse aller et ils ne savent pas pourquoi. Avant, Nino aurait pris le temps de lui demander ce qu'elle avait, il aurait tout de suite compris que quelque chose n'allait pas. Mais leur relation s'est dégradée au fil du temps, depuis le moment où son père a décidé de le reprendre en main, comme il disait à l'époque. Le silence dure encore un moment, on n'entend plus que les bruits des couverts et ceux des bouches. Jusqu'à ce qu'une petite voix hésitante s'élève à la droite de Nino. — Amor, n'oublie pas qu'on doit être repartis avant 15h pou- Elle ne termine pas sa phrase et sursaute à moitié quand Nino lâche brusquement ses couverts. Il se tourne vers elle, sa femme depuis 2 ans maintenant. Il se cale dans le fond de sa chaise, se tenant bien droit et il l'observe durement, sans dire un mot. Elle ne dit plus rien non plus, penaude. Elle fixe son assiette et finit même par faire mine de s'occuper de Beni qui s'agite à côté face au repas interminable. — Nino ? La voix de son père le tire de ses pensées, il relève la tête, attentif. D'un signe de la tête, il lui fait signe de quitter la table et de le suivre. Nino ne se fait pas prier et se lève immédiatement. Il s'approche de Beni, retire sèchement la main de sa femme qui était posée sur l'épaule du gosse et tire la chaise, invitant ainsi son fils à les suivre. Le garçon lève aussitôt les bras vers son père, quémandeur, trépignant un peu sur place - petit prince capricieux. Comme Nino autrefois. Ce dernier ne se fait pas prier, malgré les années qui passent il aime toujours autant pouvoir serrer son fils dans ses bras. Retrouvant aussitôt le sourire, il attrape Beni et le soulève en échappant un petit soupir d'effort. Les bras qui se calent sous les fesses de l'enfant tandis que ce dernier vient s'accrocher au cou de son père, posant sa tête sur son épaule. Et les voilà qui s'éloignent tous les trois pour rejoindre la terrasse. Une fois dehors, il dépose son fils à terre et celui-ci fonce tout droit vers les balançoires dans le jardin de ses grand-parents. Nino prend appui contre le mur, les yeux rivés sur la fenêtre par laquelle il observe sa femme. Il la déteste. — Tu as des nouvelles de Rozenn ? Il hausse les épaules et secoue la tête de gauche à droite. — Non. Mais a priori elle ne sait toujours pas que j'suis rentré au Mexique. Il relève les yeux vers son père qui semble inquiet. — Papa, j't'ai déjà dit que le juge m'avait donné la garde exclusive de Beni, on risque rien. Elle le récupèrera pas. Jamais. Son père hoche lentement la tête, songeur, échappant simplement un petit très bien, très bien, signe qu'il comprend. Et les deux hommes tournent simultanément la tête vers l'enfant qui joue en toute innocence sous le soleil de son pays d'origine. — Et avec Manuela, tout va bien ? C'est une bonne fille tu sais, j'suis fier de toi Nino. Il sourit brièvement mais ne dit rien. Son regard qui dévie à nouveau sur cette épouse qu'il ne supporte plus. Il ne l'a jamais vraiment aimé. Il s'est marié avec elle uniquement pour faire plaisir à son père. Pour lui prouver qu'il avait changé, qu'il avait compris ses leçons et qu'il était un bon garçon. Mais il l'a trouve inintéressante, trop molle et trop soumise. Elle ne dit jamais non, elle ne dit pas grand chose en fait. Elle passe surtout son temps à pleurnicher et à s'occuper de leur maison et de son fils. — Toujours pas de bébé en route ? Il fait non de la tête, un peu distrait, préférant éluder la question. Il ne risque pas d'y avoir de bébé, il ne la touche plus depuis bien longtemps maintenant. A vrai dire, il finit souvent ses nuits sur le canapé, le simple fait de l'entendre respirer à côté de lui la nuit l'énerve. Son père pose une main sur son épaule, le regard fier. — Regarde tout c'que tu as accompli fiston. Y a encore quelques années de ça tu perdais ton temps avec des mauvaises filles, t'étais pas foutu de récupérer ton gosse et tu bossais comme larbin dans une laverie. Et aujourd'hui... Son père écarte ses bras, comme si toute la planète lui appartenait dorénavant. — Tu es marié avec une bonne épouse, tu as ton fils et tu bosses avec moi. J'avais peur que tu tournes mal à l'époque, mais j'suis heureux que tu te sois finalement réveillé à temps. — Ouais. Ouais... Il déglutit et offre un petit sourire à son père, toujours l'air ailleurs. — Merci de m'avoir réveillé à temps. C'est dit avec une pointe d'ironie et d'amertume, mais son père ne le perçoit pas et vient lui tapoter le dos. Ils s'éloignent de la fenêtre pour s'enfoncer un peu plus dans le jardin, à l'abri des oreilles indiscrètes. — Tout est prêt pour la livraison de demain ? — Oui, ça fait six fois que tu me le demandes. Tu m'fais pas confiance ? Ça l'agace un peu cette façon qu'il a de toujours repasser après lui des dizaines de fois. — Si, si, bien sûr. Tu n'oublieras pas de prendre ton arme, juste au cas ou. — Oui, je sais, j'suis pas con. Son père lui refile une tape derrière la tête. — Parle mieux, idiot. Nino ne dit rien et serre les dents, tandis que son père s'éloigne finalement pour retourner à l'intérieur. Quant à lui, il reste là et observe Beni s'amuser. Il ne comprend pas comment tout a pu merder comme ça. Son père était son modèle et il s'était toujours répété qu'en l'écoutant religieusement, il serait heureux et mènerait une bonne vie. Pourtant, rien ne semble avoir marché correctement. — Nino ? Il tressaille et ne se retourne pas, les muscles tendus, les poings serrés. Manuela est clairement sa plus grosse erreur de parcours. C'n'est pas elle qu'il aurait dû épouser. Il le savait, il l'a toujours su. Il aurait dû suivre ce qu'il avait prévu quand il n'était qu'un gosse. Avec elle au moins, il le sait, il aurait été heureux.