les sales gosses ont de mauvaises idées (allens)

Je sais que c’est un plan foireux. Mais j’ai tellement merdé auprès de Drax ces derniers temps que j’ose même pas lui faire remarquer ce que je vois arriver à des kilomètres.
Braquer sa propre maison, déjà, c’est foireux.
Braquer notre propre père, encore plus foireux.
Utiliser Tam pour savoir quand est-ce qu’on sera plus ou moins tranquille me file la gerbe.

Mais j’ai dit oui à tout, simplement parce que j’ai pris ça comme un genre de test. J’vois pas ce que Drax voudrait récupérer de si important dans notre garage pour qu’on en fasse un casse. J’vois pas et en plus de ça, il me dit rien de concret. Il n’a jamais voulu y refoutre les pieds, et puis soudainement, ça lui occupe toutes ses pensées. On a dû se préparer vite, et on est parti sur un coup de tête. J’ai pas eu le temps de me préparer, même pas le temps de tirer quelques taffes sur la pipe à crack que j’ai récupéré. Rien nada. Juste mon corps fébrile et mon coeur en tacchycardie pour m’accompagner quand j’le rejoins devant la caisse. Et lui il est de mauvais poil. Je m’installe place passager et me racle la gorge pas très à l’aise. Maintenant qu’on est au pied du mur, j’sais clairement pas quoi faire. Dans ma tête ça gueule dans tous les sens qu’il faut arrêter ça avant que ça soit trop tard. Une autre partie de moi serait ravi de dépouiller notre père de quelques objets de valeurs. Niveau thune, avec toutes mes bourdes, faut dire qu’on en a besoin.

Finalement je garde le silence, sans trouver le courage de froisser Drax, et on démarre pour rejoindre un quartier qu’on connait beaucoup trop bien. J’fume nerveusement des clopes pendant tout le trajet. Sans trop rien dire, sans trop vraiment écouter ce que me dit mon frère, sans même vouloir vraiment le regarder. J’veux pas qu’il voit, dans l’fond de mon regard, la peur qui m’tient au bide si fort que ça me donne envie de chialer. Alors je regarde par la fenêtre notre ancien QG, toutes ces rues qu’on a parcouru toute notre enfance. Et puis ces maisons qu’on a braquées, les premières d’une longue série. Au coin de la rue, c’est là qu’on a piqué notre première PlayStation. La nostalgie étroitement mêlée à un sentiment qui met mal à l’aise, celui de notre enfance pas très heureuse, dans une famille bancale, avec un père qu’on déteste. Drax n’y revient pas souvent, enfin, pas que je sache. Et faudrait pas qu’il sache que moi j’y retourne, parfois, souvent, des fois, voir Tam. J’sais même pas comment il le prendrait.

On se gare au bout d’notre rue. J’expire pour me donner du courage. Alors que Drax allait sortir de la voiture, je l’arrête d’un bras. Attends j’vais en repérage en premier. ça lui plait pas souvent que j’prenne des décisions, mais j’ai un regard lourd de sens. On sait très bien que je suis peut être pas le bienvenue pour notre père, mais que lui, c’est encore pire. J’hausse les sourcils et attends une minute. Et puis, j’ouvre la portière d’un air décidé et enfile mon bonnet. Je parcours les cent mètres qui me sépare de notre vieux pavillon, les mains enfoncées au fond des poches de mon jean sombre, en regardant autour de moi comme si j’avais peu d’être suivi. Je ralentis la cadence quand j’arrive devant la maison, je la regarde de loin, et puis m’y approche silencieusement. Je regarde à chaque fenêtre, les volets tirés, les rideaux, si j’vois de la lumière. Je prend un peu de recul pour voir si les filles dorment, de ce que j’en comprends, oui. Je fais la moue et puis me penche pour faire signe à Drax qu’il peut me rejoindre. Je remets en place mon bonnet d’un geste nerveux. Et pendant que Drax me rejoint en trottinant doucement, je m’avance vers le perron et soulève un pot-de-fleur pour attraper la clé qui y est cachée depuis bien longtemps.

Je la plante dans la serrure, mais m’arrête. Une fois la porte ouverte, faudra plus faire de bruit, alors j’demande pour confirmation : C’est dans l’garage, c’est ça ? Je sais que c’est dans le garage, j’veux juste lui faire dire que y a que ça qui nous intéresse. On prend ce dont t’as besoin, et on s’tire, ok ? Et mon regard dégouline d’appréhension.

Je sais pas ce qu’il a en tête. Je sais pas pourquoi d’un coup ça lui a semblé vital qu’on se pointe ici. Et maintenant qu’on est entré dans le garage, alors que chez moi y a un genre d’appréhension qui me ronge l’estomac, lui, tranquille il ouvre le frigo. t'en veux une mec ? Je me retourne rapidement, sans savoir de quoi il cause, et quand j’le vois une bière dans la main, je cligne plusieurs fois des yeux. Mais… mais il a que ça a faire de prendre une bière dans un moment pareil ? Noon ! que j’lâche d’un air évident, un peu contrarié. C’est un gros effort pour moi de venir ici, en pleine nuit, de cette manière là. J’ai juste peur que Tam ou une de nos casses-couilles de soeur débarquent, nous entendent, fasse une crise. Et je préfère même pas penser à ce qui arriverait si notre père débarquait. Et plus j’vois l’attitude de Drax, plus je me demande si c’est pas très justement ce que lui cherche. La rupture avec notre paternelle a été brutale pour chacun de nous, comme a été notre enfance. C’est pas que Justin est un père violent qui tape sur ses gosses, c’est que c’est un type violent en général. Qu’on soit ses gosses ou pas, ça n’a rien changé, et on l’a toujours exaspéré. Mais depuis qu’on a décampé, on l’a plus croisé. Ou peut-être qu’une fois ou deux. Avec Drax, ça se terminait toujours mal. Alors que j’essaie de ravaler toute notre enfance pourrie, et simplement me contenter de vivre à plusieurs kilomètres de ces sales souvenirs, Drax, lui, c’est comme s’il en était encore hanté. Comme si, dans le fond, il voulait aller au bout du truc. Chercher notre père, c’est ce qu’il a fait toute son enfance, et y a comme un goût d’inachevé. Alors son petit casse au milieu de la nuit dans notre maison d’enfance, ça ressemble plus à un ultime doigt d’honneur qu’à une vraie nécessité.

Enfin, il reprend du mouvement et file au fond du garage, j’peux pas me retirer d’expirer de soulagement dans son dos quand il me dépasse et ferme rapidement les yeux. Bon, il a l’air de savoir où chercher. Ça va prendre deux minutes, et ensuite, on décampe d’ici. Au moins, je lui aurais fait plaisir et il sera fier de son coup et on pourra oublier cette histoire. Il devrait me laisser tranquille avec ça les prochaines années, et plus vouloir y refoutre les pieds pendant un bon bout de temps. Moi je reste désespéré au milieu de la pièce sans oser bouger, ni faire quoi que ce soit, et j’lance des coups d’œil incessants vers la porte du garage, stressé. c'est la D là ! ça me ramène vers le fond de la pièce, je tourne la tête vers Drax qui est planté devant les placards neufs. Je l’interroge du regard en me passant une main dans la nuque. parce que y'avait une étagère, là, puis y'avait du biffton dedans et tout... Je fais une petite moue et le regarde l’air de dire “bah qu’est-ce que tu veux que j’te dise ?” c’est vrai quoi, je sais même pas ce qu’il voulait. J’hausse les épaules. Ouais bah, manifestement le biffton a servi à refaire la déco. Que je constate, fataliste. Mais Drax continue de chercher on-ne-sait-quoi, et quand il a le dos tourné je lève les yeux au ciel et m’approche doucement, non sans un dernier regard derrière moi. Je commence à me prendre timidement au jeu, en regardant surtout ce qui se trouve autour de moi. C’est vrai que le garage a changé. Y avait un sac de frappe dans un coin avant, surtout pour Drax et moi. Y avait nos vieux fringues, et quelques boites de jouets de notre enfance. Et y avait aussi quelques meubles qui dataient de l’époque où on vivait à Delray avec maman. Ils ont fait de la place, dégagez tout ce qui portait encore notre trace, maintenant, ils ont de quoi y garer un monospace. Cette pensée me tord un peu le bide. Mais je suis sorti de mes pensées par Drax qui me fait signe d’approcher. Il sort une vieille boite entouré de tissu des placards. Je fronce les sourcils. Attends, c’était pas là-dedans qu’il… Eh bah si. Drax répond à ma question en sortant le revolver. Je m’en souviens, parce que c’est avec ça que j’ai tiré sur mes premières canettes. Drax et moi on lui avait piqué une après-midi où on avait séché le collège. Les armes à feu, depuis monsieur Henry, ça me met un peu mal à l’aise. J’ai pas pris la mienne d’ailleurs ce soir, inutile de vous préciser pourquoi. c'est jackpot, là ! Qu’il sort tout content. Je lui lance un regard par en-dessous. Mouais. on en a déjà des flingues. Mais trop tard, Drax cache l’arme dans son fute et je me contente de secouer la tête, pas très convaincu. De toute façon, c’est tout ce putain de plan qui ne m’a pas convaincu. Enfin, pourtant, il semble satisfait de sa prise et propose qu’on y aille. Je tape dans mes mains pour lancer le mouvement dans la seconde. Ouais allez, on se tire.

Sauf que voilà, on a à peine fait un pas que j’entends le grincement reconnaissable de la porte du garage. Y a mon coeur qui se renverse et je me paralyse une seconde. Merde ! Que je chuchote. Drax et moi on se lance un regard, la porte commence à s’ouvrir doucement. Merde, merde, merde, merde, merde ! Que j’arrête pas de sortir d’une voix à peine audible. Vite, faut reprendre du mouvement. Mais impossible de sortir par le garage. On disparait et atterrit dans la cuisine, mais vu que y a une voiture devant la maison, impossible de sortir pour le moment par la porte de devant. Putain, fais chier ! Putain ! J’en étais sûre. Sur la pointe des pieds j’entraîne Drax devant moi et on se retrouve dans le salon, je reste au milieu en regardant autour de moi, désemparé, et là je fonce vers le placard sous l’escalier. Drax rentre le premier et je le rejoins, en refermant du mieux que je peux la porte derrière moi, laissant une très légère entrouverture qui laisse passer un filet de lumière nocturne. Mon coeur bat à cent milles à l’heure. En plus on est serré comme des sardines dans ce placard qui déborde de bordel. On va se faire cramer, on va forcément se faire cramer. Alors j’peux pas me retenir, j’envoie un coup de coude dans les côtes de Drax. Putain, j’savais que c’était une idée à la con ! Que je chuchote. On entend la voiture qui entre dans le garage, on entend la porte automatique qui se referme. Putain, putain, putain ! Bon, avec un peu de chance, celui ou celle qui rentre va peut-être directement monter se coucher et on pourra filer tranquillement. Les bruits de pas ne laisse pas de place au doute, je reconnais la démarche de mon père, ses grosses bottes, sa mauvaise humeur typique. Cette fois, c’est clairement de la peur qui me paralyse, tandis que je me penche un petit peu trop pour tenter d’apercevoir quelque chose par l’entrouverture. Mauvaise pioche, y a un bibelot que j’fais tomber sur le sol du placard au passage.