mes désirs font désordre (velina)

Elle a attendu. Le message ou sa venue surprise. Elle a attendu que tout redevienne comme avant, mais le constat est clair : quelque chose est cassé, brisé, foutu en l’air. Et ça semblait pas irréparable tant que Zaza acceptait de lui parler, mais le silence radio à ce côté angoissant que quand bien même MJ voudrait arranger les choses : elle ne le pourrait pas. La fierté mal placée, coincée dans sa gorge nouée, elle n’a ni relancé le soir même, ni même le lendemain. Elle a attendu deux jours avant de se poser des questions. Ne plus la voir, ni même lui parler est une lente agonie qui froisse tout son être. Elle est en colère contre le monde entier, surtout contre elle même, de ne pas avoir su déceler derrière cette apparente armistice, la rancoeur de celle avec qui elle a grandi. Elle est sensée la connaître mieux que quiconque, mais elle est bien obligée de se rendre à l’évidence : la vision qu’elle a de Zaza n’a rien d’objective. Et peut-être bien qu’elle a établi que tout était pardonné simplement parce qu’elle en avait envie. De toute façon, pourquoi Zaza l’aurait pardonné ? Y a pas eu d’excuse. En tout cas pas de vraies excuses. Et puis y a rien à pardonner, puisqu’MJ n’a rien fait. Voilà, c’est tout. Mais comment on fait pour régler une situation avec un mur en face de vous ?

L’accepter, attendre que ça passe, attendre que Zaza revienne d’elle-même ? Peut-être. Mais MJ n’est pas passive comme nana. Elle est du genre à prendre les situations à bras le corps, faute de pouvoir prendre le corps de celle qui anime ses nuits. Faut régler ça, et ça va pas traîner. Alors elle s’échappe à la pause déjeuner, là où elle sait que Zaza ne pourra pas l’ignorer. Elle va en vélo - celui qu’elle a piqué au livreur UberEats - jusqu’à North End. Elle est souvent passée par ici, ne serait-ce que pour aller chercher Zaza à la sortie de son service et profiter de la fin de journée pour boire une caïpirinha sur une terrasse. Elle pose un pied à terre après un dérapage et laisse son vélo au milieu du trottoir sans vraiment se préoccuper de combien il gêne le passage, d’ailleurs, une nana se prend les pieds dedans juste après et râle, MJ l’ignore. Elle regarde par la vritrine, s’assure que Zaza est bien au taf. Elle est en train de s’occuper d’une cliente dans le fond du salon. Elle a l’air comme d’habitude et ça serre le cœur d’MJ de la voir. Elle n’est pas du genre à courir après les gens, c’est elle qui les laisse sur le bord de la route d’habitude. Elle se sent se trahir elle-même de toute les manières qui soit, et la peur d’être rejetée une fois de plus la paralyse un moment. Mais elle pousse tout de même la porte et y a tous les regards qui se posent sur elle une seconde, parce qu’elle dénote parmi la clientèle. Elle traîne ses Doc jusqu’au comptoir et s’accoude contre celui-ci. Ola. J’ai rendez-vous avec Zaza. La nana la regarde d’un drôle d’air, elle et ses cheveux en petit tas au-dessus de sa tête. Mais alors qu’elle baisse les yeux sur le cahier où sont notés ses rendez-vous, MJ la coupe, sachant que son plan ne va pas tenir longtemps si elle se fait démasquer aussi vite. J’attends, pas de souci. Elle fait un sourire et se poser lourdement sur le canapé. Le t-shirt qu’elle porte est trop long, et délavé, recouvre la totalité du short en jean qu’elle porte. À sa taille, une veste à capuche est nouée. Elle attend là, peut-être bien deux minutes et trente secondes, en soupirant, et en regardant autour d’elle. Elle sait pas si Zaza fait exprès de ne pas la voir ou si elle a une trop grande conscience professionnelle. L’un ou l’autre, ça fait chier. Alors elle se lève d’un coup, lance un grand sourire à la nana de l’accueil, passe devant elle, passe entre les coiffeurs, et se poste à côté de Zaza. Ola. La nana qui se fait coiffer la regarde d’un drôle d’air dans la glace et MJ fait mine de regarder sa coiffure, et fait une petite moue d’appréhension. Muy bonito. Qu’elle commente avant de se tourner à nouveau vers Zaza. T’es en retard pour les arepas. Qu’elle lui lance enfin, sans vraiment d’animosité dans la voix, simplement pour lui faire remarquer, et histoire d’appuyer ses propos, elle enchaîne, coupant Zaza dans son élan. T’es en retard de deux jours en fait. Là elle hausse les sourcils, à elle de parler. À elle de la regarder dans les yeux quand elle lui dira qu’en fait elle pardonne rien, et elle voudra jamais le faire. MJ doit se l’entendre dire, et là elle sera sûre d’avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter ça.

C'est la première fois qu'elle fait ça. Avec MJ en tout cas. Fuir aussi lâchement un potentiel face à face, tout ça parce qu'elle n'a pas eu la force de lui tenir tête au téléphone. Lui dire que non, rien n'était pardonné. Que ça ne passait pas. Qu'elle gardait tout en travers de la gorge et que la trahison était si forte que ça lui faisait encore mal. Elle a encore pleuré cette nuit en y repensant, le sommeil tardant à venir l'emporter. Et c'est un pénible sentiment de solitude qui la poursuit depuis que la vérité a éclaté. Si elle n'a plus MJ, il lui reste quoi ? Depuis bien trop longtemps maintenant MJ est celle qui rythme ses jours et ses nuits, toute sa vie semble s'être organisée autour d'elle. Et aujourd'hui que Zaza s'est éloignée, tout lui semble terriblement vide et plat. MJ a toujours été cet électron libre qui apportait un vent d'aventure dans sa vie. Et sans ça, Zaza craint de mourir d'ennui. Mais la colère est plus forte que tout. Alors non, le lendemain elle n'a pas daigné envoyer un sms ou s'inviter. Et le surlendemain non plus. Et elle sait déjà, qu'aujourd'hui, elle ne fera rien non plus. Elle ne sait pas combien de temps elle va s'entêter à l'éviter et elle a la sale impression que ces derniers temps elle essaye de fuir tout le monde. Ça l'inquiète un peu. Elle a parfaitement conscience de ses tendances à l'auto-destruction et elle ne peut pas s'empêcher de s'interroger à ce propos. Et si son incapacité à lui pardonner n'était en réalité que son cerveau qui lui jouait un tour pour mieux lui nuire ? L'isoler pour pouvoir frapper plus fort. Elle y a beaucoup pensé et ça ne lui semble pas si impossible que ça. Et ça lui fait peur.

Mais elle oublie tout ça au travail, concentrée sur ses gestes, trop occupée à discuter avec les clients ou avec ses collègues pour avoir le temps de cogiter. Et elle voudrait que ses journées de boulot ne se termine jamais. Elle ne veut pas rentrer chez elle, parce qu'elle sait qu'elle va aller s'enfermer dans sa chambre, manger, regarder des vidéos et elle va penser, penser, penser, penser. En boucle. Et elle risque de pleurer, encore, de ne pas savoir quoi faire, encore, de ne pas réussir à dormir, encore. Et alors elle mangera, encore plus, pour s'occuper. Pour remplir le manque. Pour faire taire les angoisses. Tromper l'ennui, faire diversion. Mais l'addition sera salée. Elle proposerait bien à ses collègues de faire un truc avec le boulot, mais, paradoxalement, elle n'attend que ça : rentrer pour s'isoler. Foutu cerveau qui tourne à l'envers, qui veut des choses contradictoires. Elle a l'impression de ne pas fonctionner normalement.

Concentrée sur sa cliente, Zaza discute avec elle et rit un peu, elle semble à l'aise. Totalement dans son élément. Parce qu'ici, elle ne sent pas énorme, ni hideuse, ni difforme. Les gens l'apprécient, ses collègues comme les clients. Et cet endroit est surement ce qui la sauve le plus dernièrement. Petit lopin de paradis qui lui permet de tenir le coup, de se ressourcer quand tout vrille à l'extérieur. Mais ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était que la tempête s'infiltre jusqu'ici et vienne briser cet équilibre parfait. Zaza la voit très vite, elle la repère dans le miroir, même pas besoin de se retourner. Et son cœur saute dans sa poitrine sous l'effet de la surprise. Elle blêmit un peu, les gestes bloqués dans suspend. C'est la voix de la cliente qui l'interpelle qui la fait redescendre. Elle sourit, s'excuse et reprend ce qu'elle faisait, n'osant même plus regarder dans le miroir. Il lui semble subitement que le salon de coiffure vient de prendre quelques degrés et ses tripes se tordent dans tous les sens. Elle frissonne par intermittence, sentant le regard de MJ peser dans son dos. Elle ne s'attendait vraiment pas à ce qu'elle vienne jusqu'ici. Elle ne pensait pas qu'elle oserait. Zaza se sent piégée et elle n'aime pas ça du tout. Alors elle continue comme si de rien était, attendant bêtement que quelque chose se passe. Elle aurait aimé que MJ s'impatiente et quitter finalement l'endroit, frustrée de ne pas avoir eu l'attention qu'elle pense mériter. Et il finit par se passer quelque chose, en effet. Mais pas exactement ce qu'elle aura aimé.

— Ola. Zaza contient un sursaut et semble ne même pas réagir, continuant ce qu'elle fait sans lui adresser un regard. — Muy bonito. Embarrassée, Zaza relève la tête et regarde sa cliente via le miroir où elle lui adresse un sourire polis pour ne pas l'inquiéter, comme si tout était parfaitement normal. La vérité c'est qu'elle veut disparaitre et que MJ est en train de la mettre particulièrement mal à l'aise. Zaza remarque qu'une de ses collègues à côté a arrêté ce qu'elle faisait pour les observer, juste histoire de s'assurer que tout va bien. — T’es en retard pour les arepas. Elle n'en revient vraiment pas qu'elle lui fasse un coup pareil sur son lieu de travail. Surtout qu'elle pertinemment à quel point c'est important pour elle. Zaza cesse enfin ce qu'elle faisait et tourne la tête vers MJ, incapable de camoufler sa contrariété. — T’es en retard de deux jours en fait. Zaza voit rouge, terriblement honteuse. A la fois pour sa cliente que pour les faits que lui reproche son amie. Elle pince les lèvres et soutient son regard avec insistance. — Je travaille MJ. Qu'elle répond ultra froidement, plutôt fâchée de son audace. Mais le combat de regard qui s'en suit lui fait rapidement comprendre que son amie ne lâchera pas le morceau. Et que si elle ne veut pas d'un esclandre public, elle ferait mieux de gérer la situation correctement. Elle souffle bruyamment par le nez, les lèvres toujours très serrées et elle vient claquer son ciseau sur son plan de travail avant de s'éloigner, contournant MJ après l'avoir assassinée du regard. Elle rejoint sa patronne, s'excuse et lui demande si elle peut prendre sa pause maintenant de façon exceptionnelle. Compréhensive, celle-ci lui accorde sans poser de question et Zaza la remercie plusieurs fois. Elle retourne vers MJ et lui passe devant en marmonnant. — Sígueme. Elle aurait pu la faire sortir du salon, mais si MJ doit faire une scène, Zaza aimerait vraiment éviter que cela se fasse dehors devant tout un public. Alors elle l'entraine dans la réserve et referme la porte derrière elles, avant de l'emmener le plus loin possible pour s'assurer que personne ne les entendra. Une fois assez loin à son goût - et aussi parce que la réserve n'est vraiment pas immense - elle se retourne et écarte les bras, pour lui témoigner son mécontentement. — Sur mon lieu de travail MJ, franchement ! Elle comprend bien l'intention, mais ça la révolte trop pour se laisser adoucir. Son ton est sec et elle se retient clairement de crier. Faut croire que y a encore trop de choses à sortir. — J't'ai dit que je t'enverrai un sms. Alors j'sais que la patience c'est pas trop ton truc, mais ça fait que deux jours merde ! Laisse-moi souffler un peu. Elle essaye vraiment de paraitre la plus neutre possible, mais sa voix est clairement agressive. C'est plus fort qu'elle. La rancœur est encore trop présente.

Son ignorance est comme le pire des uppercuts que MJ se prend d’entrée de jeu. Alors elle serre les dents et elle attend, peut-être bien quelques maigres secondes, ce qui lui parait une éternité, avant qu’enfin, Zaza n’ait une réaction. Pas celle attendue. Je travaille MJ. MJ hausse les sourcils, piquée au vif. Elle tente de garder son calme, et sa voix est enrobée d’un air jovial qui ne trompe pas, parce que ses sous-entendus crèvent les tympans. Ouais, vas-y continue, t’arrête pas pour moi. Qu’elle finisse son brushing si elle en a envie, de toute façon, les coiffeuses ça fait que de parler pendant qu’elles vous coupent les cheveux, elle peut bien faire un petit effort. MJ lui offre un sourire impudent en croisant ses bras contre sa poitrine. Elle décampera pas d’ici, son regard direct le confirme à Zaza qui ne semble pas du tout apprécier cette attitude. Tant pis, elle fera avec. On ne la laisse pas de côté. Ni deux jours, ni deux heures. MJ c’est tout, tout de suite. Elle comprend pas que Zaza ne puisse plus vouloir lui parler. Elles se sont expliquées. Elle s’est même excusée putain. Et pour bien montrer qu’elle ne partira pas d’ici, elle s’adosse contre le chariot contenant les peignes, ciseaux et autres produits, fière d’elle. Zaza décampe sur le champ pour aller voir sa patronne. MJ la regarde, sans trop savoir si elle va se faire virer d’ici à coup de pied au cul ou si Zaza demande quelques instants. Dès qu’elle a le dos tourné, le visage d’MJ se renferme, parce que cette situation ne lui convient pas. Parce qu’elle est comme une fille qui vient de se faire larguer, et que ça ne lui ait jamais arrivé de sa vie. Elle laisse tomber les gens avant qu’il ne le fasse, voilà comment ça se passe. Elle se sent ramenée des années en arrière. Elle se retrouve gamine abandonnée par père, mère et frère, voyant des enfants avec qui elle se liaient la quitter, encore et encore. Ce sentiment la débecte, elle inspire profondément et plante son regard sur le sol en soupirant, impatiente.

Son amie finit par revenir, l’air dur, elle lui intime de la suivre et elle le fait non sans rouler des yeux. Les voici dans une réserve, et peut-être bien que ce côté rendez-vous dans un placard lui aurait plu quelques jours en arrière. MJ a aujourd’hui la désagréable impression que de toute façon, Zaza veut simplement l’engueuler. De toute façon ça se confirme deux secondes plus tard. Sur mon lieu de travail MJ, franchement ! Quoi franchement ? MJ la regarde par en-dessous, déjà soulée de cette conversion. Porque ? J’avais un autre moyen de te parler ? Qu’elle rétorque immédiatement, avant de pousser un long soupir. Les conflits l’emmerdent. Elle aime les chercher, elle n’aime pas les subir. Devoir s’expliquer, ça l’emmerde aussi. Devoir subir la colère de Zaza à propos d’une histoire qu’elle ne comprend même pas, ça l’emmerde profondément. La perdre, c’est pire. Elle se passe une main dans les cheveux et enchaîne avant même qu’elle n’ait plus répondre. Et puis quoi ton lieu de travail ? Qu’est-ce qu’il y a ? T’as honte de moi ? J’viens juste te demander si tu veux manger des arepas, j’ai pas l’droit ? C’est pas comme si elle avait débarqué en insultant tout le monde d’imbécile et en cassant des gueules. Elle est simplement venue pour lui demander de manger avec elle, prendre des nouvelles, comme elle l’a déjà fait dix fois avant ça, c’est ce que font les meilleures amies, pas vrai ? Encore faudrait-il que Zaza la considère encore comme telle. J't'ai dit que je t'enverrai un sms. - No lo hiciste. Qu’elle marmonne en même temps que Zaza continue de parler. Alors j'sais que la patience c'est pas trop ton truc, mais ça fait que deux jours merde ! Laisse-moi souffler un peu. Patiente, elle ne l’a jamais été. De mauvaise foi, ça par contre, beaucoup. Et ce qui la percute le plus, c’est cette phrase. Laisse-moi souffler. Comme si MJ lui bouffait tout son oxygène. Elle la regarde, visage fermée, clairement blessée. Elle a toujours pensé que le plus dur, c’était d’accepter que Zaza ne voudrait jamais sortir avec elle. Elle se rend compte maintenant que de la perdre en amie, c’est pire. Elle fait une petite moue, et comme souvent, comme un mécanisme de défense, de survie qu’elle a utilisée toute sa vie, la colère revient en rafale lui bouffer son système. Souffler ? Qu’elle répète avec son accent qui écorche ce mot qui l’écorche, elle, tout autant. Elle se retourne dans un geste théâtre et fait tomber sa main sur la poignée pour s’en aller sur le champ. Mais c’est plus fort qu’elle, elle s’arrête et se retourne vers Zaza. Dijiste que me perdonaste Elle lance ça d’un air blessé, et lourd de reproche. Parce que c’était sensé être arrangé. Alors merde, qu’elle le dise si c’est pas le cas. Qu’elle le dise si elle lui en veut encore, même si MJ ne comprend toujours pas pourquoi. C’est quoi c’plan ? Tu me dis que c’est ok, ensuite tu m’ignores ? Tu pensais quoi ? Que j’allais pas remarquer que tu m’évites ?

— Porque ? J’avais un autre moyen de te parler ? MJ se comporte comme une adolescente, elle a la même désinvolture. Cette façon de bouder et de regarder par en-dessous tout en cherchant à provoquer. C'est insupportable et ça exaspère Zaza qui se contente de rouler des yeux en soufflant. La conversation risque d'être pénible et probablement peu productive car elle n'a pas une éternité à lui consacrer. Fallait pas venir sur son lieu de travail. — Et puis quoi ton lieu de travail ? Qu’est-ce qu’il y a ? T’as honte de moi ? J’viens juste te demander si tu veux manger des arepas, j’ai pas l’droit ? Zaza ricane, les bras croisés sur sa poitrine. Elle plante son regard dans celui de son amie, passe sa langue sur ses dents et secoue lentement la tête de gauche à droite dans un mouvement saccadé. — A d'autres MJ, j'te connais. Elle sait pertinemment que la colombienne n'est pas venue pour discuter tranquillement et l'inviter à manger. Mais ça lui brûlerait probablement la langue de l'admettre. Toujours cette putain de fierté qui dicte tous ses faits et gestes. A vrai dire, c'est presque surprenant de la voir venir jusqu'à elle, Zaza ne s'y attendait pas. Finalement, peut-être qu'elle compte un peu plus que les autres quand même. Elle l'espère. Zaza tente de se justifier, de lui faire comprendre implicitement qu'elle a besoin d'un peu plus de temps et que ce n'est vraiment pas le moment de l'étouffer. Mais sans grande surprise, ça ne percute pas du côté de MJ. Elle se braque, répond du tac-au-tac. — No lo hiciste. Zaza serre un peu les dents mais préfère ne pas relever et continue de parler. La fin de sa phrase est difficile à encaisser, elle le sait pertinemment. Mais fallait que ça sorte, parce que c'est la vérité. Y a un léger flottement, MJ ne réagit pas instantanément. Elle se contente de continuer à la fixer avec son air patibulaire. Mais y a longtemps que cette expression ne l'impressionne plus. De toute façon, Zaza n'a jamais eu peur de MJ contrairement à l'entièreté de la population de Detroit. Tout simplement parce qu'elle n'a jamais montré le moindre signe de violence envers elle. Jamais elle n'a agité sa batte dans sa direction. Au contraire, elle était toujours là pour faire rempart contre les agressions extérieures. Alors quand elle voit la colère revenir sur le devant de la scène, elle se contente de pincer les lèvres, saoulée d'avance à l'idée de se reprendre la tête avec MJ. Elle n'a pas la patience pour ça aujourd'hui. Pas le temps non plus.

— Souffler ? Zaza ne bronche pas et la regarde faire son numéro. MJ pivote dans un geste théâtrale et fonce vers la sortie, la main déjà sur la poignée prête à se tirer. Mais elle se ravise au dernier moment et Zaza l'aurait parié. C'était trop facile. Elle se retourne de nouveau, pour lui faire face cette fois-ci et Zaza attend la suite, impassible. — Dijiste que me perdonaste. Elle serre la mâchoire, regrettant clairement de lui avoir dit qu'elle lui pardonnait. Elle a cédé, comme à chaque fois et maintenant elle s'en mord les doigts parce qu'elle n'en pensait pas un mot. Elle hausse les épaules, les bras toujours croisés, l'air un peu furibond. — Et toi t'as dit que t'étais désolée. Mais c'était pas vrai non plus. Sa voix est sèche, chargée de reproches absolument pas dissimulés. Elle lui offre un petit rictus nerveux, l'air de dire : comme ça on est quittes. — C’est quoi c’plan ? Tu me dis que c’est ok, ensuite tu m’ignores ? Tu pensais quoi ? Que j’allais pas remarquer que tu m’évites ? Zaza décroise les bras et les laisse retomber violemment contre ses cuisses en poussant un bruyant soupir d'exaspération. Elle tourne brièvement la tête, comme si elle avait besoin de regarder ailleurs pour se calmer. Elle reporte finalement son attention sur MJ et écarte les bras, tout aussi théâtrale qu'elle. — Bah voilà, c'est pas "ok" MJ ! Elle commence à s'énerver elle aussi, la pression qui monte, à l'imagine d'une cocotte minute. — C'est toujours moi qui cède, toujours moi qui doit faire un effort pour pas t'froisser, pour pas t'faire fuir. Bah j'en ai marre ! T'as merdé de fou et tu t'en rends même pas compte. T'es tellement bornée dans ton truc que t'arrive même pas à comprendre que j'puisse être blessée de ton mensonge. C'est... Elle lève les bras au ciel avant de les laisser retomber, la voix qui part un peu dans les aigües. — ... c'est complètement hallucinant ! Elle finit par poser ses mains sur ses hanches, le regard planté dans celui de la brune. — Inverse les rôles deux minutes. Vraiment MJ, mets toi à ma place et dis moi que tu m'en voudrais pas ? Dis moi que tu serais pas folle de rage si en plus j'te disais que j'suis même pas désolée et que t'exagères, hein ?! Mais elle connait MJ et quand elle s'entête dans sa mauvaise foi ça ne donne jamais rien de bon. Elle serait capable de lui dire que pas du tout et qu'elle lui serait même super reconnaissante. Ou pire, qu'elle, elle ne serait jamais sortie avec un connard pareil. Elle la fusille du regard, comme pour la décourager de s'engager dans cette voie-là. Elle n'aura pas la patience de l'entendre raconter des conneries. Et elle espère que, pour elle, MJ pourra faire cet effort. Qu'elle ne veuille pas s'excuser c'est une chose, mais qu'elle ne veuille même pas admettre sa connerie ça la dépasse totalement. Et au final, c'est ce qui la blesse le plus.

Et toi t'as dit que t'étais désolée. Mais c'était pas vrai non plus. MJ fait une grimace dégoûtée en secouant la tête. Et dire qu’elle a fait L’EFFORT INSURMONTABLE de S’EXCUSER pour un truc qu’elle ne regrette même pas et dont elle sait qu’elle avait raison. Ça la dégoûte que Zaza le prenne comme ça. Ay, Zaza… Qu’elle lâche dans un souffle. Cette discussion part déjà mal, et sait qu’elle ne s’arrangera pas. Parce qu’elles sont trop bornées, et qu’aucune d’elles ne semblent capable de se mettre à la place de l’autre. Et finalement la vérité éclate : Zaza ne lui pardonne pas et n’a toujours pas envie de la voir. Et ça la blesse profondément MJ, ça la frustre. Elle sait pas quoi faire d’autres pour que ça s’arrange. Peut-être bien que y a rien à faire. Elle peut pas inventer un sentiment de culpabilité qui n ‘existe pas, et elle peut pas s’excuser sincèrement d’avoir refait le portrait de ce type. Alors, quoi, c’est comme ça que ça se termine ? Well. Et Zaza part dans une tirade théâtrale à son tour. Finalement, le problème il n’est peut-être même pas là où elle le pense. C'est toujours moi qui cède, toujours moi qui doit faire un effort pour pas t'froisser, pour pas t'faire fuir. Bah j'en ai marre ! Elle hoquète de rire, un peu sonnée. PARDON ? Elle hausse les sourcils et la regarde, sidérée par ce qu’elle lui sort. C’est vraiment comme ça qu’elle voit leur amitié ? Comme ça qu’elle voit MJ ? Comme quelqu’un d’aussi chiante que ça, qu’elle doit ménager sans arrêt ? Elle qui se tue pour Zaza à chaque fois. Elle qui supporte de la voir sortir avec tous les ratés de la ville ? Sans rien dire ? Depuis une putain de décennie ? La colère recommence à monter en flèche et elle a envie de lui balancer que si elle avait eu autant de principe avec tous ces cons, notamment Ali, bah elles en seraient sans doute pas là. Mais par un miracle inexpliqué, elle arrive à tenir sa langue tandis que Zaza continue, aggravant clairement la situation : T'as merdé de fou et tu t'en rends même pas compte. Arg ! Elle étouffe un grognement de colère et se met les deux mains devant les yeux pour canaliser l’énervement qui la fait surchauffer. Parce que j’ai pas merdé ! Joder ! Qu’elle gémit par-dessus la voix de Zaza. Elle avait RAISON de faire ça, et elle l’a fait pour les bonnes raisons. Pour elle, et pour la protéger, vu qu’elle n’était pas foutu de se défendre elle-même. Elle ne pouvait clairement pas annoncer à Zaza qu’elle venait de taper son petit copain pour la sortir de cette situation, pourquoi elle, elle s’en rend pas compte ? Elle laisse ses bras retomber dans le vide en même temps que son amie. Elles se toisent un moment. MJ lève les mentons, cette fois elle est réellement allée au bout des efforts qu’elle pouvait faire, et elle n’en fera clairement pas d’autre, c’est acté dans sa tête. Elle est furieuse contre Zaza. Furieuse de ce qu’elle vient de lui sortir.

Inverse les rôles deux minutes. Vraiment MJ, mets toi à ma place et dis moi que tu m'en voudrais pas ? Dis moi que tu serais pas folle de rage si en plus j'te disais que j'suis même pas désolée et que t'exagères, hein ?! MJ croise les bras sous sa poitrine et s’adosse contre la porte d’un air insolent. Zaza sait très bien ce qu’elle va répondre, et peu importe si elle pense que c’est de la mauvaise foi, sans doute que ça l’est, MJ réplique du tac au tac : Bah non, je t’en voudrais pas. Et elle ne lui laisse même pas le temps de rire de cette remarque qu’elle se décolle brusquement de la porte de la remise pour s’approcher d’elle d’un air menaçant : Tu sais quoi, déjà j’me suis excusée. Et non, j’en avais pas envie, mais je l’ai fait pour toi. OUI, ses excuses elle les a déjà fait, donc merde hein. Et elle trouve son argument parfaitement recevable. Et ensuite, j’me serais jamais foutue dans cette situation. Parce que moi, je ne tombe pas amoureuse de tocardes qui me traitent comme de la merde. Y a un court silence après ça, et y a le coeur d’MJ qui se serre, parce que finalement, elle se dit que sa situation amoureuse n’est pas forcément plus glorieuse. Que ça fait des années et des années qu’elle ravale ses sentiments hachés, et qu’elle a accepté ce que beaucoup d’autres n’auraient pas pu faire. Alors elle baisse enfin les yeux et marmonne : Enfin ça, j’en suis plus si sûre. Remarque que Zaza ne peut pas comprendre, ou ne veut pas comprendre, au point où elles en sont, MJ ne sait même pas vraiment ce qu’il en est. Mais elle inspire profondément pour chasser ces pensées de sa tête. Elle est pas comme ça normalement. Elle est au-dessus de ça, et jamais elle ne fait le moindre effort pour qui que ce soit. Elle a le sentiment de s’être vraiment dépassée pour le coup. Alors boudeuse elle croise à nouveau les bras et fixe Zaza, avec l’intention de ne pas lui céder un seul centimètre de terrain en plus.

— Parce que j’ai pas merdé ! Joder ! C'en est trop pour Zaza, elle n'a même plus envie de discuter de ça avec elle, ça ne sert à rien. — RAH ! C'est tout ce qu'elle trouve à beugler par-dessus elle, jetant sa main en l'air brusquement pour balayer les paroles de son amie. Elle ne veut même plus les entendre, elle en a marre. Marre de tout, elle sature. Et ça lui fait mal au cœur qu'elles se retrouvent dans cette situation qui semble sans issue. Aucune des deux ne semble vouloir lâcher le morceau, deux clébards en train de se disputer le même os, affamés par l'envie d'avoir le dernier mot, d'avoir raison. Elles ne se rendent même pas compte que tout ça ne va faire que les conduire à leur perte, et elles n'auront plus que leurs yeux pour se pleurer ensuite.

Zaza tente une dernière fois de lui faire entendre raison en inversant les rôles, mais elle regrette aussitôt. Parce qu'elle connait trop MJ et qu'elle sait pertinemment ce qu'elle va dire, elle va en profiter pour l'enfoncer encore plus et tenter de lui donner le mauvais rôle dans l'histoire. Mais Zaza refuse de se laisser faire aussi facilement, elle est prête à contrer chacun de ses mots, prête à se battre jusqu'au bout, qu'importe l'issue. Elle est trop en colère pour s'en inquiéter et c'est bien la première fois. MJ est vautrée contre le mur et lui lance des regards mauvais, hargneuse. — Bah non, je t’en voudrais pas. Oh, mais quelle surprise. Zaza roule des yeux et pivote à moitié, chassant à nouveau sa réponse du revers de la main, excédée. Au même moment, MJ se décolle du mur et fonce vers elle, la pièce semble vibrer au rythme de leurs émotions, comme des ondes de choc violentes. Zaza lui fait face et pose ses mains sur ses hanches, le regard déterminé. — Tu sais quoi, déjà j’me suis excusée. Et non, j’en avais pas envie, mais je l’ai fait pour toi. Alors ça, non, c'est trop facile. Zaza secoue la tête de gauche à droite, lassée de l'entendre répéter ça à longueur de temps, comme si c'était vraiment un argument. — C'est pas la peine de t'excuser si tu l'penses pas, ça vaut rien MJ. Nada. Elle articule particulièrement sur le dernier mot, pour bien lui faire comprendre que ses excuses n'avaient eu aucun effet sur elle. Elle sait pertinemment que ça va la foutre en rogne, mais elle s'en fiche. C'est ce qu'elle pense et elle non plus, elle ne s'excusera pas pour ça. Pas cette fois. — Et ensuite, j’me serais jamais foutue dans cette situation. Parce que moi, je ne tombe pas amoureuse de tocardes qui me traitent comme de la merde. Différents sentiments traversent Zaza à cet instant, difficilement identifiables, mais surtout : très désagréables. Elle pince les lèvres, heurtée par la dureté de ses mots, même si au fond, ça n'a rien de surprenant venant d'elle. Elle vient finalement croiser ses bras sur sa poitrine, optant pour une position de défense et de replis. Elle inspire, bien décidée à ne pas se laisser démonter. Elle veut s'engager sur ce terrain-là ? Très bien. Zaza aussi a des choses à dire à ce sujet-là justement. — Oh et tu sais pourquoi ça ne t'arrive jamais à toi ? J'vais te le dire MJ : parce que c'est toi la tocarde dans le couple. C'est toi qui fait du mal aux autres et c'est toi qui disparait toujours sans rien dire. Mais le dire à voix haute, c'est comme un électrochoc. Ça lui vrille un peu le cœur et déclenche en elle une certaine angoisse qu'elle avait occulté jusqu'à présent. Instantanément, la colère devient panique et ses yeux s'humidifient sans qu'elle ne puisse rien contrôler. Elle pointe son dos vers MJ de façon préventive, haussant le ton, mais sa voix tremblante la discrédite aussitôt. — Et j'te préviens, j'suis en colère contre toi, mais t'as pas intérêt à me faire le coup à moi. T'as pas intérêt à disparaitre comme tu fais toujours, sinon j'te jure que j'te retrouve et que j't'en ferais chier. Elle recule d'un pas et reprend son souffle, un peu dépassée. Elle a peur maintenant, peur que MJ répète encore ce scénario qu'elle connait par cœur. Et même si elle lui en veut maintenant, même si tout ce qu'elle dit l'horripile et qu'elle est déçue, même si elles ne se parlent plus pendant quelques temps peut-être, elle refuse l'idée que ça puisse s'éterniser, que MJ disparaisse et que tout se termine juste comme ça. Puis son cerveau traite la dernière phrase que MJ avait grommelé tout bas juste avant qu'elle ne lui réponde, ça tourne un peu dans sa tête et elle fronce les sourcils, n'y trouvant aucun sens. MJ ne lui a pas parlé d'une fille en particulier dernièrement, est-ce qu'elle lui aurait encore caché quelque chose ? Elle n'ose pas demander, le moment n'est probablement pas approprié après tout ce qu'elles viennent de se dire. Mais l'idée que quelqu'un puisse traiter mal MJ lui transperce le ventre, un truc viscéral ouais et ne rien savoir à ce sujet est encore pire.

Zaza, elle veut rien entendre. Rien de ce qui sort de la bouche d’MJ ne trouve écho dans cette tête de mule. Elle arrive pas à comprendre. Et les pseudos excuses d’MJ n’y changent rien. Parce que ce n’était pas ce qu’elle avait envie d’entendre. C'est pas la peine de t'excuser si tu l'penses pas, ça vaut rien MJ. Nada. MJ la fixe, et sa lèvre frémit d’énervement. Elle veut quoi putain ? Elle veut pas qu’elle lui mente, alors elle ne lui a pas menti. Elle lui a dit tout de suite qu’elle ne regrettait pas, et c’est toujours pas le cas. Comment regretter d’avoir refait le portrait à ce putain d’Ali ? C’était un super souvenir, un beau moment, du grand MJ. Elle a adoré faire ça, elle a adoré assouvir cette soif de vengeance, enfin lui arracher son sourire à ce type. Elle a adoré défendre l’honneur de Zaza, elle a adoré se dire qu’il ne serait plus jamais dans ses pattes. Bien sûr qu’elle regrette pas, et elle a eu l’honnêteté de lui dire, au moins. Vu que le plus gros problème, c’était pas Ali, mais le mensonge, pas vrai Zaza ? Mais MJ a l’impression de passer un examen et de n’avoir que des mauvaises réponses. De toute façon, y en a pas de bonne. Elle peut pas se forcer à être désolée. Et apparemment, ça Zaza peut pas l’accepter.

Alors la discussion s’envenime, vite. Parce que si elle veut tout savoir, d’abord, c’est Zaza le problème. C’est elle qui a des goûts de chiottes, elle qui ramène des ratés, des hommes en fait. Elle qui reste fixée dessus, qui n’arrive pas à tourner la page, et qui fait encore un sketch pour ce type qui, déjà, ne s’est pas fait prier pour la larguer suite à quelques petits coups dans les dents. Des ratés, rien que des ratés. MJ, jamais elle se foutrait dans une situation pareille. Et c’est peut-être cruelle à dire, mais elle est cruelle. Elle fait pas dans les sentiments, même si ceux qu’elle a pour Zaza lui retourne le bide chaque fois que leurs regards s’accrochent. Elle sait qu’elle a frappé fort, elle s’en fiche. Si ça peut secouer Zaza, c’est aussi bien. Elles se regardent comme ça, boudeuses l’une et l’autre, d’un côté et de l’autre de ce cagibi trop étroit pour contenir tout le ressentiment qui les entoure. Oh et tu sais pourquoi ça ne t'arrive jamais à toi ? J'vais te le dire MJ : parce que c'est toi la tocarde dans le couple. La flèche décochée trop vite lui atterrit en plein dans son égo. En plus dans son amour propre. En plein dans l’amour qu’elle a pour sa meilleure amie aussi. Le coup part trop vite, sans qu’elle ne l’ait anticipé. Il fait un mal de chien sur le coup, une douleur vive qui irradie dans tout le corps. Comme un éclair qui foudroie ses organes. Elle hausse les sourcils, fait un genre de petite moue. Réaction apathique qui ne lui ressemble pas. Le fait est que, vraiment, elle ne s’y attendait pas. C'est toi qui fait du mal aux autres et c'est toi qui disparaît toujours sans rien dire. De mieux en mieux. Le choc de cette vérité si crûment balancé s’estompe peu à peu. La colère reprend toute la place dans son organisme. Elle reste là, les bras croisés contre la porte du cagibi avec l’envie brûlante de péter quelque chose. Mais au lieu de ça, tout son corps bouillonne de l’intérieur et son regard se perd dans le vide. C’est vraiment ce qu’elle pense d’elle ? Elle veut demander, mais si elle ouvre la bouche, c’est des insultes qui vont en jaillir. Parce que elle, elle se sent vraiment insultée et blessée. Et elle supporte pas ça. Elle supporte pas qu’on la traite de cette manière. Elle ne se sent ni considérée, ni aimée, comme si elle avait pensé tout ce temps être une personne aux yeux de Zaza et qu’elle découvrait à la place un portrait d’elle d’une laideur affligeante. Diminuée, réduite. Ce sentiment, elle y est allergique. Et puis elle se dit que ce n’est pas tellement parce que c’est une fille que Zaza ne veut pas d’elle. Peut-être qu’elle veut pas d’elle juste parce qu’elle ne veut pas d’elle. Ça fait mal.

Et j'te préviens, j'suis en colère contre toi, mais t'as pas intérêt à me faire le coup à moi. Elle a toujours les lèvres scellées, sa raison l’empêche d’hurler. Encore une preuve qu’elle prend sur elle, ÉNORMÉMENT, pour Zaza, qu’elle se dit. Mais elle lève les yeux sur elle d’un coup sec, assassin. Ça se voit qu’elle veut bondir. Et si Zaza pense savoir ce que c’est que d’être en colère, elle en est encore loin. Parce qu’on ne peut pas être en colère autant qu’elle. Elle a pas intérêt hein ? Ah ouais ? Et sinon quoi ? Hmm ? Sinon quoi ? T'as pas intérêt à disparaître comme tu fais toujours, sinon j'te jure que j'te retrouve et que j't'en ferais chier. Sourire tranchant, insolent, presque condescendant. Elle lui en fera chier ? Ouais, bah ouais. Qu’elle fasse ça. Et MJ est trop aveuglée par ses sentiments qui s’emmêlent dans une immense boule électrique pour remarquer la peur de Zaza sur son visage. Trop énervée pour comprendre le message qu’elle cache dans ses mots. Non, MJ elle ne voit qu’une chose : Zaza lui fait encore la tête à cause d’Ali, Zaza la trouve méchante, égoïste, une vraie tocarde et elle ne lui pardonne toujours pas. Et c’est trop pour elle. Trop à gérer. C’est trop lourd maintenant, d’être amoureuse d’elle. Et c’est trop lourd aussi d’être sa meilleure amie. Elle veut tout envoyer bouler. Elle veut tout casser, tout péter, puisque de toute façon rien ne va dans son sens et personne ne prend la peine d’essayer de la comprendre.

Alors elle finit par esquisser un petit rire, complètement à bout de nerf. Elle décroise les bras et s’en passe un dans les cheveux en tournant la tête sur le côté, sidérée. Ah ouais ? Sa voix tremble de colère. Elle se tourne enfin vers Zaza, ses yeux envoient des éclairs. Bah r’garde-moi bien Zaza… C’est tout son corps, qui en tremble maintenant, quand elle fait fait tomber sa main avec violence sur la poignée de la porte. Elle sort comme une furie, claque la porte de toute ses forces que ça en fait trembler tous les murs. Tous les coiffeurs s’arrêtent d’un même mouvement et la regardent avec des yeux ronds. QUOI ? Qu’elle hurle en sortant. Et elle ne s’est pas aperçue qu’elle était en train de pleurer. Quand elle voit une larme couler de son menton, elle étouffe un juron et s’essuie les yeux d’un revers de main. Merde, c’est quoi ça ? Elle a raison, merde ! Elle a raison depuis le début. Et Zaza, elle voit rien. Elle comprend rien. Elle écoute rien. Et elle ne se rend compte combien ça lui a fait du mal, depuis si longtemps, qu’en décalé. Elle reste là, plantée devant la remise, et elle veut partir et s’éloigner le plus loin possible de ce qui lui fait autant de mal.

Mais elle peut pas.
Elle a peur elle aussi. Ça fait des semaines qu’elle a peur que Zaza ne passe jamais l’éponge. Elle s’enfonce la tête dans les mains. inspire et expire lentement. Et puis, elle réfléchit pas.

Elle fait demi-tour, rouvre la porte, trouve Zaza encore un peu sous le choc, dans la remise. Elle se jette sur elle, littérallement. Elle la prend dans ses bras comme une fillette qui se jette au cou de sa mère. Comme si sa vie en dépendait. Elle la prend dans ses bras et la serre du plus fort qu’elle peut, ferme les yeux, perdue, déboussolée. Parce que c’est ça, Zaza, elle a toujours été sa boussole, depuis toujours. Le seul pilier de sa vie instable et déchirée. Son seul repère quand tout le reste s’est effondrée. No quiero perderte. Qu’elle chuchote à son oreille d’une voix étranglée. Et elle desserre lentement son étreinte, tout doucement. Elle reste là, remonte ses mains jusqu’aux joues de Zaza pour la forcer à la regarde. Et MJ est là, avec de grands yeux, à essayer de comprendre quelque chose à tout ce qu’elle ressent, là, juste au creux de l’estomac. Mais elle n’est qu’une gamine sauvage. Elle sait pas quoi faire pour arranger la situation, elle sait pas quoi faire tout court.

Alors elle l’embrasse.

Elle s’approche, là, comme ça. Elle pose ses lèvres sur les siennes quelques secondes. Ferme les yeux fort, comme pour profiter de ce moment, l’analyser, le comprendre. Comme une explosion dans son coeur. C’est étrange. C’est bizarre, elle comprend pas pourquoi elle a fait ça, d’un coup. Elle qui se retient depuis tellement de temps. Elle s’éloigne dans un sursaut, comme si elle venait de prendre conscience de ce qu’elle venait de faire. Elle avale sa salive, lâche les joues de Zaza, garde ses mains suspendus dans le vide, sous le choc. Finalement elle passe une main sur ses lèvres où le goût sucré de celle de Zaza est encore là.

Merde, elle aurait pas dû faire ça.

Elle ouvre à nouveau la porte à la volée, s’enfuit rapidement, sort du salon, sans rien comprendre à la situation.

Le sourire de MJ ne présage rien de bon, Zaza le sait pertinemment. La peur se déverse de partout dans son corps, véhiculée par son sang qui circule plus vite que d'habitude, pompé et renvoyé à grande vitesse par son palpitant fébrile qui cogne fort dans sa poitrine. — Ah ouais ? La colère a totalement disparue, la panique a pris le dessus, annihilant tout le reste. Elle secoue la tête de gauche à droite, le regard suppliant. — MJ, arrête... Elle murmure, le souffle court. Tout en sachant qu'il est déjà trop tard pour inverser le cours du temps. — Bah r’garde-moi bien Zaza… Elle saisit la poignée et Zaza fait un pas dans sa direction, le bras tendu devant elle comme pour la retenir. — NO ! MJ ! Mais son amie n'écoute rien, elle a déjà franchit la porte et la claque derrière elle de toutes ses forces. Zaza recule de deux pas et ramène sa main tendue contre son cors, les doigts repliés.

MJ est partie.

Et Zaza reste stoïque, comme tétanisée. Les yeux rivés sur la porte, les yeux remplis de larmes. Qu'est-ce qu'elle a fait ? Tout ça, c'est de sa faute. Elle savait pourtant qu'affronter MJ de cette façon ne pourrait pas conduire à quoi que ce soit de positif. Et c'est tout son cœur qui se fissure subitement, ça craque dans sa poitrine dans une douleur vive et glaciale.

Zaza l'a vu faire des tas de fois, quand MJ décide de vous rayer de sa vie, de disparaitre pour ne rien avoir à assumer, elle le fait entièrement, définitivement. Elle ne revient jamais sur ses mots, sur ses décisions. Elle est trop fière pour ça, trop bornée aussi. Persuadée d'avoir raison. Et Zaza craint ne rien pouvoir y changer. Elle hoquette doucement alors qu'elle réalise lentement les choses, les premières larmes roulent sur ses joues maquillées, traçant des sillons dans son fond de teint. Mais alors qu'elle était en train d'essayer de comprendre tout ce qu'il venait de se passer et ce que ça allait impliquer, la porte se rouvre brusquement. Elle sursaute, l'espoir explose sous ses côtes quand elle aperçoit MJ et ne distingue aucune trace de colère sur son visage. Juste les mêmes larmes, leurs peines mutuelles qui se font écho. MJ fonce vers elle et Zaza l'imite, s'avance en écartant ses bras et les tendant vers elle pour l'accueillir le plus vite possible. — Oh, MJ ! Qu'elle échappe dans un soupir de soulagement. Elles se serrent l'une contre l'autre, très fort, comme pour étouffer leurs ressentiments et les tuer. Zaza enfouit sa tête dans la tignasse de son amie et inspire un grand coup pour se calmer.

Elle est revenue.
Pour elle et malgré les mots durent. Malgré les accusations et la colère de Zaza, elle est revenue.

Et ça réchauffe tout son corps. Les quelques mots qu'MJ lui souffle à l'oreille viennent combler les fissures, renforcer ce cœur trop fragile, que l'on peut tordre trop facilement. Elle sourit en silence, renifle un peu et la serre encore plus fort pour lui rendre ses mots. — No me perderás. Nunca. Comme le rappel d'une vieille promesse qu'elles s'étaient faites gamines.

MJ la libère, et Zaza fait de même, laissant ses mains glisser jusqu'à la taille de son amie. MJ elle, les dépose sur ses joues, son regard planté dans le sien. Et un drôle de sentiment l'envahit, comme une impression de malaise qu'elle ne comprend pas. Anticipant sans le savoir la suite des évènements. Cette suite qu'elle a refusé de voir depuis tout ce temps et ce, malgré les nombreux signaux envoyés. MJ se penche et leurs lèvres se rencontrent, dans une fusion inattendue. Les mains de Zaza se décolle aussitôt du corps de MJ, suspendues dans les airs, pétrifiées par la surprise. Elle écarquille grand les yeux tandis que MJ a fermé les siens. Elle ne bouge plus, comme si elle avait peur de briser quelque chose et c'est l'incompréhension qui l'envahit brusquement. Ça ne dure que quelques secondes, mais ça lui a semblé être l'éternité.

Putain, mais qu'est-ce qu'elle fout ?

MJ finit par s'interrompre, leurs regards qui se croisent un bref instant avant que cette première ne prenne la fuite sans un mot, sans une explication. Zaza ne bouge toujours pas, ne sachant plus quoi faire de son corps, de cette information, le temps semble s'être arrêté autour d'elle. C'est la voix de sa collègue qui pénètre timidement dans la remise qui la fait redescendre sur terre, un peu violemment. — Zaza... hm, tout va bien ? Elle hoche la tête de bas en haut, un peu ralentie, totalement abasourdie. — Oui, je-, j'arrive. Qu'elle bredouille, encore choquée.

La vérité, c'est que non, ça ne va pas. Rien ne va. Elle n'est pas certaine de comprendre l'ampleur de ce que révèle ce geste, mais elle a la sensation que quelque chose vient de se briser. Elle renifle, un peu haletante, les pensées qui partent à la dérive. Elle tente de se reprendre, mais ses mains tremblent et elle se repasse le moment en boucle dans sa tête. Et la même question revient en boucle : pourquoi ?

La suite lui fait peur, la prochaine confrontation la terrifie. Qu'est-ce qu'elle pourra bien lui dire ? Et ce sera quoi les répercussions ? Est-ce qu'elles peuvent se perdre pour ça ? Et depuis combien de temps elle voulait faire ça ?

Et elle dans tout ça ? Elle se fige un instant, puise dans ses émotions, avant de se rendre à l'évidence : le baiser n'a rien provoqué chez elle. Rien d'autre qu'une immense surprise et beaucoup d'appréhension.

Et maintenant ?

rp terminé.

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