belle imposture (velina)

Elle a scellé son cœur rapidement. Elle l’a enchaîné, verrouillé, planqué dans le fond de sa cage thoracique. Il s’est rien passé, rien. Pourtant les conséquences de son impulsivité brûlent dans son corps survolté. Zaza ne lui parle plus. Le vide qu’elle laisse est comme une morsure de pitbull qui lui aurait arraché une partie du flan au passage. MJ se sent bancale. Et surtout en colère. Heureusement, les événements en ville lui donne un magnifique exutoire. La batte contre les vitrines de main street, le feu dans les poubelles, la hargne sur son visage. MJ passe le plus clair de son temps dans la rue, là où le manque de Zaza ne peut pas lui serrer les entrailles. Mais au travail, elle s’emmerde. Elle a tout le temps de penser au rejet terrifiant qu’elle subit. Au silence radio qui veut dire “je ne t’aimerais jamais, jamais comme toi tu m’aimes”. Avachie sur sa chaise de bureau, un pied les pied sur son bureau, elle répond mollement au téléphone et passe deux trois commandes pour des clients. Ils se font rares. Y a un an de ça ils étaient une quinzaine, aujourd’hui à peine quatre à bosser à plein temps. MJ fait tâche, elle et son petit boulot d’assistante, qui débarque avec l’arcade ouverte et la lèvre fendue. Mais le patron l’aime bien, et ne trouve rien à redire sur son travail. Peut-être bien qu’il sait que c’est pas le moment de l’emmerder.

Quand à la pause déjeuner elle tombe sur l’une des tantes Molina, MJ voudrait s’enfuir. Mais elle attend son panini face au foodtruck près de son bureau. Elle a déjà payé. Ah tiens, MJ t’es là. Alors Zaza elle est bien installée chez toi ? Coup de du droit dans le myocarde. Passé les quelques secondes où MJ tente d’atterrir et d’intégrer l’information, y a un silence gênant qui s’installe. Heureusement interrompu par son panini qui est prêt. MJ le récupère, prise de court, baragouine que ouais, Zaza est bien et qu’elles en profitent pour faire de bonnes soirées ensemble, prétexte une urgence au travail, et s’échappe rapidement.

Elle a envie de jeter son panini par terre et de l’écraser avec ses Docs tellement elle est énervée par cette info qui lui a échappé. Comment ça, Zaza squatterait chez elle ? Pourquoi elle n’est plus chez les Molina ? Comment elle a pu se faire virer de sa vie aussi facilement ? Et qu’est-ce qui se passe ? Étranglée par une colère contre elle-même et cette situation, MJ termine tout de même son panini devant son ordinateur. Y a Molly, de la com, qui lui propose de manger avec eux en salle de réunion. MJ aboie qu’elle veut qu’on lui foute la paix, personne ne lui reparle pendant trois heures.

Elle hésite longtemps, avant d’envoyer un message d’une apparente légèreté qu’elle a tapé d’une traite les doigts tremblants de colère. Leurs échanges la foutent dans un état d’énervement tel qu’elle en balance sa souris d’ordinateur sur le sol. Encore une fois, personne n’ose faire de réflexion, et quand elle s’agite dans tout le bureau à la recherche d’une souris qui n’aurait pas été éclaté sous sa colère et qu’elle n’en trouve pas, elle donne un coup de pied dans sa chaise de bureau qui roule jusqu’à la porte du patron. Hmm, Maria, tout va bien ? Visiblement, non, qu’elle voudrait répondre. Au lieu de ça elle attrape sa lourde veste qu’elle enfile, et son sac à dos. Ça fait juste rire qu’on puisse pas trouver une puta de souris ici. Qu’elle répond du tac au tac en envoyant son sac sur l’épaule. Son entreprise vend des fournitures de bureau. Son patron semble mal à l’aise et tente timidement de chercher dans l’armoire la plus proche. Vale, j’vais m’en acheter une pour demain. Là j’en ai marre. Esta bien ? Sans qu’elle ne l’ait remarqué jusqu’ici, toutes les paires d’yeux sont entrain de la fixés mal à l’aise. Elle inspire longuement en attendant la réponse de son patron. C’est vrai qu’il est encore tôt pour quitter le bureau. Mais Philip est sympa, il répond rapidement : Oui, oui, pas de problème. T’as bien bossé aujourd’hui. Sourire condescendant, MJ sait que c’est faux et elle n’a certainement pas besoin que son patron lui chante ses louanges pour se sentir mieux, comme si elle était là à attendre son approbation paternaliste. Elle quitte les locaux d’un air mauvais et claque la porte derrière elle.

Elle ne va pas s’acheter une souris d’ordinateur. Elle piquera celle de Pip demain matin. Si elle voulait s’échapper du bureau c’était pour foncer à North End là où Zaza lui a dit qu’elle crêchait. Elle n’est pas toujours convaincu qu’elle ne squatte pas chez ce cono d’Ali, mais puisqu’elle a finalement accepté qu’elles se rejoignent, plus tard, chez le père de l’autre con de Dom Riggs, ça l’a un peu calmé. Elle préfère encore la savoir remise avec ce cas social plutôt que ce psychopathe d’Ali. Ça aurait été l’ultime trahison. Et pourtant elle sent son coeur renversé pendant tout le trajet qu’elle fait à pied, le visage fermé. Zaza a à peine attendu une semaine avant de foncer voir un ex. Comme pour se passer le sale goût des sentiments d’MJ de ses lèvres. Ils ont forcément dû remettre le couvert, sinon pourquoi elle irait dormir chez lui ? Chez son père c’était plus safe que de dormir dans l’appartement voisin au sien. Bah ouais, dans la tête d’MJ ça tourne forcément autour d’elle, y aurait quoi comme autre explication ? Zaza l’évite, la fuit. Mierda, depuis quand c’est elle qui se fait zapper de la sorte ? Fierté débordante et énervement au creux du bide guide ses pas. Elle se souvient du chemin, enfin plus ou moins, doit fouiller dans le fond de son téléphone et de sa mémoire quelques fois. Elle ne sait pas à quoi s’attendre, ce qu’elle sait c’est qu’il faut reprendre les vieilles habitudes, comme si tout n’était encore que à cause de ce qu’elle a fait à Ali. Y a pas eu de baiser, y a rien eu, puisque de toute façon Zaza ne veut pas d’elle.

Elle vérifie son reflet dans un rétroviseur au moment de tourner dans la bonne rue, mais ça l’énerve rapidement parce que son visage est boursouflé de bagarres. Elle ne porte que sa grosse veste, un t-shirt, un short et un collant déchiré. Elle ne prend jamais le temps de vérifier à quoi elle ressemble. Peut-être bien que c’est pour ça que Zaza voudra jamais d’elle ? Pff, elle en sait rien et ça l’énerve encore plus. Alors elle s’avance vers la maison en sale état des Riggs. Là où apparemment Zaza a décidé de se la jouer femme au foyer pour son vieil amour. Elle inspire profondément pour effacer sa colère - ça ne marche pas - avant de taper du poing sur la porte qui menace de s’effondrer sous la montagne de ressentiment qu’elle y met.

Zaza ouvre. MJ pince les lèvres et enfonce les mains dans les larges poches de sa veste. Estoy aqui. Qu’elle lance en première, de toute évidence. Comme un malaise, elle regarde sur le côté depuis la dernière marche du perron, hausse les épaules toujours les mains dans ses poches. Alors, ça se passe bien chez la belle-famille ? Elle aurait voulu dire ça avec un ton plus léger. Malaise. Du coup elle prend les devants fait le pas qui la sépare du pas de la porte, force un peu le passage, contourne Zaza et dit trop tard : Tu m’invites pas à entrer ? Trop tard elle est déjà dans le sas.

Elle regrette immédiatement. Se dit qu'elle n'aurait pas dû répondre. Ou inventer un truc, dire qu'elle ne comprend pas, que sa tante doit confondre. Mais Zaza n'aime pas mentir à MJ. Lui cacher des choses est déjà assez pénible, mais alors lui mentir ouvertement : elle ne peut pas. Elle a bien vu ce que ça avait donné quand MJ l'avait fait avec elle. La douleur en découvrant le secret avait été d'une violence insoupçonnée. Pas à cause du secret en lui-même. A cause du choc qu'avait provoqué la réalité des choses : MJ a des secrets pour elle. Elle chasse tout ça de sa tête, n'a pas envie de ressasser ça encore une fois. Elle a déjà bien assez à faire avec leur dernier face à face.

MJ l'a embrassé.
Et elle ne réalise toujours pas.

Elle n'a pas eu le temps d'y penser vraiment. Les derniers jours ont été riches en émotions. L'incident à la banque occupe tout son esprit, les images qui tournent en boucle derrière ses rétines comme un mauvais film. L'angoisse dès qu'elle pointe le bout de son nez à la fenêtre de reconnaitre la silhouette de Sean, là sur le trottoir, à l'attendre. Elle n'a pas quitté la maison de Dom depuis qu'elle y a mis les pieds. Même pas sur le perron, rien. Elle vérifie en permanence que la porte soit bien fermée à clé et n'ouvre jamais les fenêtres du rez-de-chaussée. Elle a trop peur.

Mais maintenant elle a tout le loisir d'y penser. Parce que MJ va passer et qu'elle n'a rien à faire en attendant pour s'occuper. La maison est vide, ni Dom ni son père ne sont présents et elle regrette presque un peu. Elle se laisse tomber en arrière sur le lit qu'elle squatte et fixe le lit du dessus. Machinalement, ses doigts viennent effleurer ses lèvres, comme pour l'aider à reconstituer le souvenir avec précision. La sensation. Son dos se raidit et se elle relève brusquement, ne supportant pas cette inertie.

Elle se met en mouvement, descend en bas et commence à nettoyer et à ranger. C'est devenu une habitude et la maison a déjà meilleure allure. L'impression que les pièces sont moins sombres. Ou c'est peut-être juste elle qui a fini par s'y habituer, elle ne sait pas. Elle fait la vaisselle et la range, balaie tout l'étage du bas, débarrasse les bouteilles d'alcool qui s'entassent et essuie la table basse du salon. Elle colle affreusement à cause de tout le sucre de l'alcool qui s'est accumulé au fil des années ; négligée.

Elle remonte dans la chambre, nerveuse. Se change parce qu'elle se sent sale maintenant. Et pour la première fois de sa vie, elle s'inquiète de sa tenue face à MJ. Quand elle réalise ça, son front se plisse dans une esquisse contrariée. MJ était une des rares personnes au monde devant laquelle elle ne s'inquiétait pas vraiment de ça. Seulement par moment, quand elle la trouvait bien plus belle et bien mieux foutue qu'elle ; toujours campée dans ses shorts en jean. Elle l'enviait souvent, ne lui disait jamais. Et très vite ça n'avait plus d'importance, parce qu'elle l'aimait trop pour laisser ça gangréner leur relation. Mais aujourd'hui, c'est différent et ça ne lui plait pas. Elle essaye plusieurs tenues, rien ne va. Ça lui donne envie de pleurer de frustration. Comme un caprice désespéré. Mais elle n'a pas le temps de se laisser aller à ça, parce que déjà ça cogne à la porte.

Elle sursaute, ne l'attendait pas si tôt. Elle se regarde une dernière fois dans la glace, se trouve laide dans son jeans mom et son petit top gris. Elle tire sur les manches de celui-ci, se dit qu'en la voyant comme ça MJ regrettera peut-être son geste. Comme si allait découvrir pour la première fois à quel point elle n'est pas jolie après toutes ces années passées ensemble. Ça n'a aucun sens, elle le sait bien. Mais elle ne contrôle rien.

Elle n'a plus le temps de se changer encore, descend rapidement sachant que la patience n'est pas vraiment une des qualités de son amie. Elle s'arrête nette devant la porte, se triture les doigts nerveusement. Elle a peur. Peur que tout change, peur que plus rien ne soit jamais pareil. Peur de la perdre. Alors qu'elle a tellement besoin d'elle.

Elle inspire un grand coup pour se donner du courage, repense aux messages de MJ qui feintait de ne pas savoir de quoi elle voulait parler. C'est en ne sachant pas à quoi s'attendre qu'elle ouvre enfin la porte. MJ est là, et elle est presque surprise de constater qu'elle est pareille que la dernière fois. A peut-être son visage qui laisse entrevoir des traces explicites de violence. Ce n'est pas étonnant, mais Zaza s'inquiète quand même. C'est d'ailleurs la première chose qu'elle regarde, avec souci. — Estoy aqui. Le malaise est contagieux et s'étire entre les deux filles. Zaza reste stoïque entre le mur et la porte d'entrée, ne sachant pas quoi répondre. C'est la première fois qu'elle se retrouve aussi muette face à elle. Comme si elles étaient étrangères. Ça pince son cœur, ça gèle toute sa poitrine.

Elle ne veut pas que les choses changent.
Mais elles ont déjà changé.

— Alors, ça se passe bien chez la belle-famille ? L'attaque est lancée et Zaza fronce les sourcils, interloquée. — Qué ? Qu'elle demande du tac-au-tac, ne comprenant pas immédiatement. Il lui faut quelques instants avant de percuter. MJ croit qu'elle s'est remise avec Dom. Si elle savait. Elle ouvre déjà la bouche pour protester mais la tigresse brune lui coupe la parole et s'incruste. — Tu m’invites pas à entrer ? Zaza se fait légèrement bousculer au passage, l'obligeant à se décaler pour que MJ puisse passer. Elle pince les lèvres mais ne dit rien, se contente de souffler par le nez, un poil agacée. Elle en profite pour glisser sa tête dehors, observe la rue, à gauche à droite, s'assure que personne n'a rien vu, puis referme à la hâte. Elle tourne la clé dans la serrure et seulement après pivote pour faire face à son amie.

Silence.

Un ange passe avant que Zaza ne se mette en mouvement et parte en direction de la cuisine. En doublant MJ, elle grommèle. — C'est pas ma belle-famille. Lui jette un bref regard noir avant de s'engouffrer dans la pièce, MJ sur ses talons. Elle ouvre un placard et ajoute. — J'me suis pas remise avec Dom. Elle précise, au cas ou sa première phrase ne fut pas assez claire. Elle attrape un verre et se retourne. — Tu veux boire un truc ? Elle referme le placard et claque le verre sur la table, il semblerait que l'irritabilité de MJ soit communicative. Elle souffle tout en énumérant. — On a, hum, de l'eau... Elle ouvre la porte du frigo. Du jus d'orange. Elle referme la porte du frigo et prend appui dessus avant de conclure sur un ton un brin blasé. Et une tonne d'alcool. En réalité, vu leur état respectif, il serait sûrement préférable de leur servir à chacune une tisane pour se détendre.

Zaza lui sert ce qu'elle réclame puis s'éloigne et vient prendre appui contre un des plans de travail. Elle croise les bras sur sa poitrine, affiche une mine un peu boudeuse. Elle voudrait faire semblant que tout va bien elle aussi. Parler de tout et de rien, comme toujours. Mais le sujet lui brûle la langue. Elle tremble un peu, pas sûre d'elle du tout. Elle craint de déclencher un tsunami, ou bien de se heurter à un mur. Elle s'interroge aussi, ne sachant pas si aborder le sujet est une bonne idée ou pas. Peut-être qu'à force de faire semblant que ça n'est jamais arrivé, elles finiront par y croire. Elle passe sa langue sur ses lèvres dans un tic nerveux et finalement, demande. — On va en parler ou tu continues de faire comme si tu n'savais pas de quoi j'parle ?

Ça cogne dans sa poitrine.
Elle a l'impression que MJ peut l'entendre.

C'est pas ma belle-famille. Elle ne peut réprimer le sourire qui s’étire discrètement sur ses lèvres quand Zaza lui dit ça. Elle le fait disparaître en se pinçant les lèvres dès que le regard noir de son amie se retourne sur elle, au moment d’entrer dans la cuisine, avec un air d’un coup plus détendue, presque un peu coupable. Définitivement soulagée. Y a rien de rassurant pourtant. Parce qu’elle devrait l’avoir compris depuis le temps : ce n’est pas simplement parce que Zaza s’entiche d’autres hommes qu’elle ne veut pas d’elle, qu’elle ne veut même pas voir ce qu’MJ ressent pour elle. C’est simplement que y a rien chez MJ qui l’attire. Et ça devait lui sembler tellement à côté de la plaque qu’elle puisse être amoureuse d’elle qu’elle en a loupé tous les signes. Des signaux qu’MJ camouflait mal, depuis trop de temps maintenant. C’était pourtant évident, pas vrai ? Comment elle aurait pu faire, pour ne pas tomber amoureuse d’elle ? MJ la trouve magnifique, trop, c’est presque ridicule et ça l’énerve. Si au moins ce baiser raté avait pu la dégoûter, qu’elles repartent sur d’autres bases, et que son cœur puisse arrêter de saigner. Mais pour le moment elle ne peut se concentrer que sur cette petite victoire, celle sur cet idiot de Dom qui n’a pas volé à nouveau sa Zaza. Elle emboîte le pas dans la cuisine, plus légère, reste sur le seuil en tenant les bretelles de son sac à dos comme si elle s’apprêtait à partir. Zaza est occupée à fouiller dans les placards, MJ en profite pour se refamiliariser avec cette maison qu’elle n’a pas pénétré depuis un bail. La dernière fois ça devait dater de cette belle époque où Dom était en prison et donc, beaucoup plus son ami qu’aujourd’hui, un coup où il avait dû lui demander un service. J'me suis pas remise avec Dom. Zaza martèle. Tant mieux, ça fait aussi plaisirq que la première fois. Alors qu’MJ se balance sur ses pieds d’avant en arrière elle lève les sourcils d’un air totalement détaché et hausse les épaules : Vale, tu fais comme tu veux. C’est un peu ironique venant d’MJ, mais elle se la joue innocente, même si ses micro expressions trahissent cette joie qui l’anime soudain. Ça ne change pourtant rien à la situation actuelle et à cette tension qui flottent entre elles. Tu veux boire un truc ? On a, hum, de l'eau… Du jus d'orange. Zaza fouille dans cette cuisine mal agencée, MJ la regarde simplement faire en faisant la moue. Elle voit bien que Zaza ne va pas bien. C’est forcément à cause du baiser, pas vrai ? Comme si l’idée même de l’embrasser était tellement insupportable que ça la rendait gourde. Bref, l’euphorie de savoir Zaza encore célibataire est vite rattrapée par ces sentiments à sens unique qu’elle ressent encore, derrière sa fierté mal placée. Et une tonne d'alcool. L’idée est tentante sur le moment, pour calmer les nerfs. Mais finalement MJ pointe simplement le jus d’orange. Du jus, esta bien. Elle a l’alcool mauvais.

Avant d’attraper le verre que Zaza lui tend, elle laisser tomber son sac à dos sur le sol, dans un coin. Leurs doigts s’effleurent quand elle attrape le jus. Soubresaut contrôlé, MJ regarde ailleurs. Elles sont d’un côté et de l’autre de la pièce, d’un côté et de l’autre d’une relation à deux vitesses. Finalement, le secret si lourd à garder était peut-être moins lourd que ce silence qui s’installe entre elles. Le visage d’MJ se referme. Elle retire sa veste et l’envoi sur la chaise en formica rongée. Se pose dessus juste après. On va en parler ou tu continues de faire comme si tu n'savais pas de quoi j'parle ? C’est pas tellement l’absence de réaction de la part de Zaza, sur le coup, qui a fait mal. C’est la honte qu’elle a ressenti juste après. MJ est trop fragile sur ce genre de chose, elle qui n’hésite pas à clamer ses idées haut et fort est trop empotée pour parler sentiment. La moindre hésitation est vécu comme un rejet violent. Typique chez les gamins du système, qu’on dit. Elle est une statistique de plus, le coeur bousillée par l’abandon permanent, anesthésié par son instinct de survie, enflammé par le sang bouillant qui coule dans ses veines. Elle serre les dents, mécontentes, soupire.

Elle s’avachit dans la chaise, prend une petite seconde. Finalement, elle se tourne, le visage impassible vers Zaza, la regarde par en-dessous, un poil insolente : T’as dit que tu m’expliquerais ce que tu fais ici, et pourquoi tu mens à ta famille. Qu’elle rappelle calmement, et c’est bien la seule raison qui l’a amené jusqu’au trou des Riggs. Ça et ce besoin vital de revoir ce visage poupon qu’elle aime tant, mais surtout pour comprendre. Elle croise les bras sous sa poitrine et s’adosse contre le mur derrière la chaise. Du coup je t’écoutes, si tu t’es pas remise avec Dom c’est pourquoi ? J’pense pas que son padre soit d’une super compagnie. Elle est catégorique, et ne relève même pas la question que Zaza lui a posé. Parce que oui, clairement, elle continue à faire comme si elle ne savait pas de quoi elle parlait. C’est trop difficile de se prendre son amitié pure et platonique en pleine face. Trop difficile de s’entendre dire ce qu’elle sait déjà au fond d’elle. J’aime les hommes, MJ. Elle fera ça bien, elle sera sans doute gentille, avant de s’énerver sur le nombre d’années depuis lesquelles MJ lui cache un truc pareil. Et puis elle dira qu’elle ne veut pas lui faire du mal, qu’elle ne veut pas que ça soit bizarre, qu’elles devraient peut-être prendre du recul toutes les deux. Laisser à MJ le temps de guérir. Mais la seule technique qu’elle connaît pour guérir est celle de la sauvageonne qu’elle a toujours été : la fuite. Et puisque son besoin de contrôle sur Zaza est encore plus grand que sa honte pour le moment, ses jambes restent là mais son coeur est déjà loin.

Elle le voit ce sourire que MJ peine à dissimuler. Elle n'est même pas certaine qu'elle le veuille vraiment. Autrefois, elle n'y aurait pas prêté attention. Mais là, ça la dérange un peu. Parce qu'elle se pose trop de questions sur ce qu'il y a derrière. Et ça crée une sorte de malaise chez Zaza, qui ne sait pas quoi faire de cette information, qui soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Elle se tend tout en évoluant dans la cuisine, insistant bêtement sur le sujet. Peut-être parce qu'elle ne trouve rien d'autre à dire. MJ quant à elle, semble étrangement plus calme qu'à son arrivée, contrastant avec la nervosité grandissante de la cubaine. — Vale, tu fais comme tu veux. Bien sûr oui. Zaza la foudroie du regard. Il n'y a pas eu besoin de ce baiser pour que MJ se mêle de sa vie amoureuse. Elle l'a toujours fait - et même un peu trop. Zaza a toujours vu ça comme une réaction protectrice venant de sa part. Maintenant, elle n'en est plus si certaine. Et si durant toutes ces années, MJ n'avait fait que jouer un jeu avec elle ? Cette idée la bouleverse sincèrement, au moins autant qu'elle lui arrache le cœur. Elle n'ose y croire, ne veut pas que ça puisse être vrai.

Ce baiser, ce n'était probablement rien.
Le coup de l'émotion lié à leur dispute.
Un acte spontané et impulsif sans arrière-pensée.
Ce n'était rien qu'un baiser.

MJ opte pour le jus d'orange et Zaza rouvre le frigo pour en extirper la bouteille. Elle la sert d'un geste sec et quelque peu maladroit, fait tomber quelques gouttes en relevant la bouteille, la ferme, la range un peu brusquement dans la porte qu'elle envoi ensuite voler. Celle-ci claque et tout le frigo se met à trembler, menaçant de s'écrouler. Mais il tient le coup, probablement habitué à se faire malmener par le corps alcoolisé de son propriétaire.

Zaza se plante ensuite face à MJ, l'ambiance est électrique. Elle passe outre sa crainte. Outre le bordel de ses émotions qui s'entrechoquent dans sa tête. Elle rassemble tout son courage et ose enfin poser sa question. Elle parait sûre d'elle, mais ce n'est qu'une façade et elle sait que MJ en a parfaitement conscience. Elle l'a connait trop, jusque dans ses moindres recoins, même les plus sombres. Cependant, elle n'est plus convaincue que ce soit réciproque. MJ semble avoir trop de secrets pour elle et ça la déstabilise. Au moins autant que ça la met en colère.

MJ fait mine de ne pas lui prêter attention, comme si elle n'avait rien entendu. Elle a visiblement bien décidé d'ignorer le sujet. Classique venant d'elle. MJ est la pro de l'évitement, de la fuite. Elle n'affronte que ce qui ne la fragilise pas. Elle finit par lui accorder de nouveau son attention, non sans avoir soupirer de façon des plus éloquentes auparavant. Le regard qu'elle pose sur elle pue l'insolence et Zaza sait déjà qu'elle ne va obtenir aucune réponse. — T’as dit que tu m’expliquerais ce que tu fais ici, et pourquoi tu mens à ta famille. La poitrine de Zaza se gonfle sous l'effet de la contrariété. Elle inspire bruyamment, retient l'air deux secondes avant de souffler longuement par le nez. — Du coup je t’écoutes, si tu t’es pas remise avec Dom c’est pourquoi ? J’pense pas que son padre soit d’une super compagnie. MJ adopte une attitude décontractée qui l'exaspère au plus haut point. Elle lui en veut de faire ça. De tout compliquer, de refuser de la confronter elle. Les secondes s'écoulent, lentement, s'étirent comme pour mieux creuser le fossé qui les sépare déjà.

Finalement, elle hoche lentement la tête de gauche à droite en signe de désapprobation. De déception aussi. — Alors ça va être comme ça tout le temps ? Elle croise les bras, sérieuse. — Je pose des questions auxquelles tu ne réponds pas puis tu poses des questions auxquelles je ne répondrai pas ? Elle fait la moue, ses lèvres qui tirent vers le bas pendant qu'elle secoue légèrement la tête. — Wah, super. Merci d'être venue, cette conversation va bien nous faire avancer. Zaza refuse d'être celle qui cède et qui commence à répondre. Si elle le fait, elle n'obtiendra plus jamais rien en retour. Elle ne doit pas craquer si elle veut que MJ le fasse.

Elle décroise ses bras et tend la main pour attraper le dossier de la chaise devant elle. Elle tire dessus et s'installe rapidement face à MJ. Elle vient ensuite pose ses avant-bras sur le bois collant et ses doigts s'entremêlent. Elle peut contempler de plus près les blessures de son visage. Elle a envie de demander. De s'assurer qu'elle a bien tout désinfecté. Mais il ne faut pas qu'elle s'éloigne du sujet principal. Elle s'inquiètera après. Elle la jauge un moment, hésite. Ce qu'elle veut dire ne va pas plaire à MJ. Mais le sujet étant sensible, elle se dit que ça la forcera peut-être à réagir, à arrêter de faire celle qui n'entend rien. Elle déglutit et s'élance. — C'que t'as fait à Ali. Elle marque une pause, scrute chaque parcelle de son visage pour surveiller ses expressions. — En réalité, c'était pour qui ? Pour moi... ou pour toi ? L'affront est peut-être brutal, sûrement maladroit. Mais Zaza est fâchée, elle a tenté de faire ça bien mais elle n'a pas la patience en ce moment pour se heurter au caractère de MJ. Trop sur les nerfs et pas assez de sommeil. L'impression d'entendre quelqu'un rentrer dans la maison chaque nuit. Ça la rend folle. Et les réactions de son amie n'aide en rien. En d'autres lieux, d'autres temps, les choses auraient pu être gérées différemment. Tant pis.

Elle comprend tellement d'où vient l'énervement de Zaza. Sans doute de son incapacité à gérer la situation. Peut-être qu'elle s'en veut de ne pas avoir vu les signes évidents, de ne pas avoir compris ce que tout le monde disaient autour d'elle. Des sous-entendus à peine masqués de Dom, déjà à l'époque, aux gaffes énormes de Willy. Des lapsus d'MJ aux provocations de tous les autres. C'était tellement évident Zaza, tellement. En tout cas, c'est ce qui fout en rogne MJ. Ne pas savoir si elle toujours su, dans le fond, mais qu'elle faisait semblant. Dans ce cas, ce baiser à réduit à néant ce dangereux équilibres entre elles. Ou tout simplement qu'elle n'ait pas su, qu'elle n'ait pas vu. Parce que merde, elle ferait ainsi une terrible meilleure amie.

En tout cas l'ambiance est électrique, et les mouvements d'humeur de Zaza n'arrangent rien. Pour une fois qu'MJ tente de se contenir, son verre de jus d'orange dans la main, assise sur cette table, son air faussement nonchalante scotché sur son visage couverts d'ecchymoses. Elle prend sur elle, elle évite soigneusement le sujet que Zaza a passé des années à esquiver. Ne pas relever les gestes tendres, les regards entendus, les sentiments à moitié avoué. Merde, elle ne fait que ce que Zaza fait depuis des lustres, depuis quand ça la gêne de faire comme si de rien n'était ? Alors ça va être comme ça tout le temps ? MJ fait une grimace insolente, faussement candide, l'air de dire je vois pas de quoi tu parles. Et elle prend une gorgée de jus d'orange. Je pose des questions auxquelles tu ne réponds pas puis tu poses des questions auxquelles je ne répondrai pas ? Petit rire en demi-teinte. Ça lui va pas, à Zaza, de faire la forte tête. Elle n'est pas comme ça, c'est tout. Elle cumule, s'emporte, mais ce n'est pas une forte tête. Et à vrai dire, c'est depuis qu'elle s'est donnée comme mission de le devenir que tout a commencé à vriller entre elle. Parce qu'MJ n'aura jamais l'attitude qu'elle attend, elle ne fera jamais ce qu'elle veut. Sa tête est plus dure que la sienne, plus dure que toutes les autres. Alors ce n'est pas tellement étonnant, quand elle répond d'une voix doucereuse : Bah t'as qu'à répondre. C'est son job, à Zaza d'être raisonnable. Wah, super. Merci d'être venue, cette conversation va bien nous faire avancer. Qu'elle répond du tac au tac, la cubaine. MJ est une adolescente qui se fait enguirlander par un professeur à ce moment là, elle s'enfonce davantage dans sa chaise , d'un bout du pouce elle essuie une goutte de jus d'orange qui coule le long du verre plein de tartre. Elle a un mouvement d'épaule presque imperceptible, désintéressée. Dans le fond, elle est surtout déçue.

Elle ne la regarde pas, les deux brasiers fixés sur le jus d'orange. Elle lance seulement un coup d'œil quand elle entend la chaise se poster devant elle, et puis soupire. C'est quoi, un interrogatoire ? Elle en a passé pas mal ces derniers, avec cette hystérie générale qui règne en ville, ça lui suffit comme ça. Même si elle refuse de l'affronter, elle sent les yeux de Zaza sur elle, tout près, trop près. Papillons dans le fond du ventre, mêler à un genre d'appréhension qu'elle n'aime pas. Totalement exposée, elle a l'impression de s'être arrachée le cœur à main nue, d'être totalement à découvert. Une bête de foire. Elle déteste ce sentiment qui a pavé son enfance. Le silence qui s'installe juste après lui retourne l'estomac. Et elle aurait presque pu être soulagée que Zaza le brise la première si seulement elle n'avait pas dit : C'que t'as fait à Ali. La réaction est viscérale. La paume de sa main claque sur le bois et elle s'étire en arrière en poussant un long gémissement et en se tenant la tête, désespérée. C'est comme si elle était allergique au nom de ce type. Il cristallise à lui seul toutes ces frustrations accumulées. Le nerf de la guerre. Joder ! Mais tu la fermes jamais avec ce mec ? Elle a l'impression qu'il gangrène toutes leurs conversations. Ce type est un virus, un champignon venimeux et elle n'en peut plus d'entendre parler de lui. L'énervement revient en flèche, comme un shoot de rage qu'on lui aurait injecté directement dans la carotide. Mais ce qu'elle ajoute ensuite a le don de la couper net dans ses excès de colère : En réalité, c'était pour qui ? Pour moi... ou pour toi ? Ses bras restent suspendus dans l'air et son regard retombe comme une masse dans ceux de la cubaine. Rictus sidéré. Elle fait lourdement retomber ses mains sur la table, si fort que le verre de jus d'orange en tremble, se renverse un peu.

La vérité, c'est qu'elle ne sait pas comment répondre à cette question, si seulement elle était un peu honnête avec elle-même.

Mais ce qu'elle y met sous cette question, MJ ne le supporte pas. Ce genre de reproche, comme si MJ n'était qu'une sale égoïste, jalouse maladive, prête à tout pour arriver à ses fins. C'est peut-être vrai, elle n'en sait rien. Mais que Zaza ait cette image d'elle la dégoûte. Elle jette un coup d'œil à son sac, prête à partir sur le champ. Mais elle reste vissée sur la chaise, comme si elle avait un pieu à travers le corps. Elle ne peut pas bouger. Elle met un temps fou à répondre. Sa respiration difficile à cause de cette colère qui l'étouffe. Elle croise les bras, dans un signe de replis évident. Le mâchoire serrée elle foudroie Zaza du regard. Para ti. Elle dit ça sèchement. Et dans le fond, elle sait que Zaza ne la croit pas. Qu'elle ne croira plus jamais ce qu'elle dit. Elle ne sait pas si ça a commencé à cause d'Ali ou à cause du baiser, mais y a un truc qu'a foiré entre elle. La seule chose qu'elle en retient, c'est qu'elle avait bien fait de mentir. Et que d'avouer ses sentiments, ça craint. Tu vois, que j'réponds à tes questions. Ultime provocation, comme un test de confiance que Zaza a déjà raté.

Alors, pendant cette joute visuelle qui se joue, MJ prend le temps de l'observer. D'observer ce visage verrouillé devant elle. Elle a l'impression d'avoir un accès refusé au jardin secret dans lequel elle se promenait autrement librement. Ça la blesse. Elle voit qu'elle semble à bout. Elle ne sait pas ce qui la met dans cet état. Ça ne peut pas être que à cause de cette histoire. Des deux filles, c'est MJ qui a le cœur brisé. Et ça n'expliquerait pas pourquoi elle a quitté le domicile familial. Et ne pas savoir ce qui se passe dans la vie d'Esperanza est une torture bien plus terrible que de n'être vue que comme une amie. Du coup, c'est à ton tour. Le coup des questions. MJ se rapproche à son tour, imite Zaza, coudes sur la table. Dis-moi ce qui t'arrive Zaza. Sa voix est un peu plus douce, concernée, inquiète. Ouais, elle ne supporte pas d'être tenue à l'écart, mais elle ne supporte pas non plus de ne pas pouvoir l'aider. Parce qu'elle s'est toujours battue pour elle. C'est comme ça depuis qu'elles sont toutes petites. Le réflexe est instinctif. MJ attrape le poignet de Zaza dans un geste de réconfort, pour capter son attention. J'vois que y a quelque chose qui va pas, et j'peux t'aider. Mais à peine sa voix éclate sur la fin que son regard glisse jusqu'à leurs mains. Un geste banal autrefois, qu'elle pouvait se permettre. Mais la tension qui parcoure leurs deux corps lui glace le sang. Elle retire doucement sa main, le cœur mutilé.

— Bah t'as qu'à répondre. Ça lui serre le cœur. Elle ne se sent pas considérée, coincée dans un rôle dont elle ne veut plus et qu'elle a parfois un peu trop subis. MJ s'entête et ça n'a rien de surprenant, lutter contre elle est une bataille épuisante et la victoire est loin d'être gagnée. Zaza cède trop vite, MJ ne cède jamais. Le combat est déséquilibré, la différence de niveau s'apparente presque à de la triche. Mais pour le moment, Zaza tient bon, réfléchit à une stratégie. Elle ne l'aura pas par la confrontation. MJ est trop douée, surentrainée. Il faut qu'elle la joue plus finement si elle veut pouvoir obtenir les réponses désirées.

Elle hésite quelques secondes et finit par se décider à se poser devant elle, sérieuse. Les mots trébuchent sur sa langue, peinent à se ranger dans le bon ordre, chaque formulation lui semble pire que la précédente. Il lui faut faire l'effort de tout envoyer promener dans sa tête pour trouver le courage de se lancer.

Dès que le prénom d'Ali est prononcé, la réaction d'MJ est immédiate, virulente. Comme si elle venait de lui foutre une gifle. Zaza sursaute à moitié quand la main de son amie claque le bois de la table. Elle serre les dents, s'efforce de rester impassible. Elle a l'habitude de ses humeurs concernant ce sujet des plus délicats. MJ n'a jamais pu le supporter. Elle gémit et lui fait tout un cinéma, à l'image d'une grande actrice de tragédie. — Joder ! Mais tu la fermes jamais avec ce mec ? Les paupières légèrement tombantes, Zaza roule des yeux, blasée. Elle inspire et préfère ignorer sa remarque, de toute façon Ali n'est pas vraiment le sujet de sa question. Elle l'aurait su si elle lui avait laissé le temps de terminer sans l'interrompre. Elle a l'impression que tout son corps se vide de sa chaleur naturelle lorsqu'elle pose enfin sa question. L'appréhension lui glace le sang, elle redoute sa réaction. Son cœur s'affole un peu alors que tout ce qu'elle obtient est un silence pesant et un visage sidéré. Zaza regrette aussitôt d'avoir posé cette question. Elle baisse les yeux une seconde, juste le temps de souffler et de se donner du courage. Elle les remonte, juste à temps pour voir MJ envisager la fuite. Elle se redresse de façon imperceptible, prête à se jeter sur elle pour l'empêcher de partir. Elle refuse que Maria l'évite de cette façon. Contre toute attente, elle ne fait rien, abandonne visiblement l'idée et se referme sur sa chaise, bras croisé et mine revêche. — Para ti. Zaza la fixe sans réagir, avant de laisser trainer son regard sur la table, un peu songeuse. Elle réalise tristement qu'elle ne la croit pas. Elle n'est pas convaincue non plus qu'elle mente, elle ne sait juste pas. C'est la première fois qu'elle ressent ça. Elle a toujours bu toutes les paroles d'MJ, presque religieusement. Elle aurait pu lui dire que la terre était plate, elle l'aurait cru. Juste par principe. Presque par loyauté. Mais cette fois, sa réponse flotte mollement dans son esprit, sans rien signifier. Et ça brise quelque chose en elle. Le coeur de leur amitié qui semble se fissurer, fragilisé par les derniers séismes qui l'ont secoué. Elle souffle sans un bruit, affligée. Tout ce qu'elle redoutait semble se produire. — D'accord. Qu'elle murmure sans conviction, sachant pertinemment que son amie n'y croira pas non plus. Elle pince un peu les lèvres, abattue. — Tu vois, que j'réponds à tes questions. Elle relève la tête vers elle, un sourcil haussé et l'air sceptique placardé sur son visage. L'air de dire : me prend pas pour une conne non plus. Elle n'a absolument pas répondu à sa principale interrogation. Mais Zaza est patiente, elle saura mener l'interrogatoire jusqu'à y parvenir, et tant pis s'il faut emprunter tous les détours pour y arriver. Elle a tout son temps.

— Du coup, c'est à ton tour. Le visage de Zaza se renfrogne aussitôt. Elle pince les lèvres en guise de refus, comme pour les sceller à tout jamais. Elle ne dira rien. MJ l'imite et s'avance sur la table, réduisant la distance qui les sépare. Zaza soutient son regard avec une assurance fragile. — Dis-moi ce qui t'arrive Zaza. La voix de MJ s'adoucit, teintée d'une inquiétude sincère que Zaza pourrait reconnaitre entre mille émotions. Cette même inquiétude qui précède toujours la colère, lorsque Zaza avoue ce qui la chagrine et que MJ décide de foutre le feu à la terre entière pour la venger. Sa gorge est prise en étau. L'envie de tout lui avouer lui brûle la langue. De se lever, courir se réfugier dans ses bras et pleurer en racontant tous les détails de l'histoire. La laisser s'occuper d'elle, la réconforter, gérer le problème. Mais cette fois-ci, elle ne bouge pas. Faire ça, ce serait prendre le risque de condamner MJ. Soit à se faire tuer, soit à tuer. Elle la connait, sa vie est menacée, MJ ne laissera jamais Sean repartir vivant si elle lui tombe dessus. Et elle refuse de perdre MJ ou de lui infliger ça. Elle préfère encore tout lui cacher, s'engueuler avec elle, prendre le rôle de la méchante de l'histoire et la perdre, que d'être responsable de sa chute. Son regard descend de façon immédiate lorsque la main de son amie entoure son poignet. Frisson. Elle fixe la main, sa peau brûle sous ses doigts. Les pensées explosent dans sa tête, c'est le chaos, tout se mélange et elle n'y voit plus clair. Est-ce qu'elle va se demander à chaque fois qu'elles s’effleureront ce que ça signifie ? Ce que ça provoque chez MJ ? Si c'est innocent ou non ? Elle ne veut pas se demander tout ça. Elle veut pouvoir la toucher librement sans que ça ne crée le moindre malaise, comme avant. Comme depuis toujours jusqu'à maintenant. Elle ne veut pas perdre ça aussi. Elle a trop besoin des bras d'MJ pour se résigner à faire une croix dessus.

— J'vois que y a quelque chose qui va pas, et j'peux t'aider. Oui, elle peut. Mais Zaza ne veut pas. Sa main libère doucement son bras, se retirant dans un mouvement blessé et prudent. Zaza ne veut pas de ça. Ne veut pas que MJ se sente rejetée, pas amicalement en tout cas. La dernière chose que Zaza souhaite, c'est de lui faire du mal et cela risque d'être un équilibre difficile à trouver, particulièrement précaire. Par réflexe, elle entend la main libérée dans un geste rapide et vient se saisir de celle de son amie, la serrant fort pour l'empêcher de la fuir. Elle n'a pas répondu à son baiser, c'est vrai. Mais elle ne veut pas la perdre pour autant. Elle relève ses yeux de gamine dépassée par le monde pour les poser dans ceux rassurants de son acolyte de toujours. Elle ne veut pas mentir. Elle ne veut pas inventer une histoire. Il y a eu assez de mensonges jusqu'à présent, elle n'en veut pas d'autres. Ils font trop mal lorsqu'ils finissent par éclater à la surface, comme une grenade, soufflant tout sur son passage.

— J'peux pas t'le dire. Ça sort de façon précipitée et maladroite. — Et ça n'a rien à voir avec... tout ça. Sa main libre brasse l'air dans un vague cercle. Tout ça, c'est le baiser, c'est Ali. C'est toutes ces choses qui leur sont tombées dessus, les éloignant l'une de l'autre. Elle préférait le préciser, afin d'éviter tous malentendus. Elle a déjà eu sa dose à ce niveau-là. Elle déglutit, inspire bruyamment et souffle, cherchant ses mots. Sa langue humidifie brièvement ses lèvres, son regard qui dévie un instant alors qu'elle réfléchit, avant de revenir très vite se poser sur elle. — Je sais que ça peut te paraitre insensé mais... j'le fais pour te protéger. Sa deuxième main vient attraper celle de MJ, celle qui était toujours libre. Elle la serre aussi, comme une promesse. Elle se penche un peu en avant et parle plus bas, comme pour accentuer l'importance de ce moment, de cet aveux. — Tu m'as toujours protégée, depuis tout c'temps. Alors s'il te plait, pour une fois, juste une fois... laisse-moi inverser les rôles.

Elle sursaute en entendant un bruit provenant de la porte d'entrée. Elle relâche subitement ses mains et se précipite dans le couloir, affolée. Elle comprend très vite qu'il ne s'agit que du père Riggs qui rentre après sa journée de boulot. Elle souffle, rassurée, une main posée sur son coeur. Elle retourne dans la cuisine, fait signe de la main à MJ de se lever. — Viens, le père de Dom est là. Il va probablement venir se poser dans la cuisine pour boire son verre et comater toute la soirée, la tête sur la table. A moins qu'il n'aille s'effondrer dans le canapé rapidement.

Elle s'engouffre dans les escaliers, MJ sur ses talons. Elle passe devant la chambre qu'elle squatte, hésitant un instant mais préférant finalement aller se réfugier dans celle du père. Les humeurs de MJ sont imprévisibles et peuvent parfois être destructrices. Si elle était amenée pour une raison quelconque à briser quoi que ce soit appartenant à Tyrone, elle n'aurait plus qu'à disparaitre de Detroit pour toujours afin d'éviter le courroux de Dom. Elle referme la porte derrière elles et vient s'appuyer dessus, les épaules basses. Elle observe MJ, la poitrine comprimée. — MJ, je-. J'ai besoin de comprendre... il faut qu'on en parle. J't'en supplie. Elle a trop de questions qui trottent dans sa tête, ça devient assourdissant. Angoissant même.

Sacrée numéro qu’elles jouent là, à s’avouer des moitiés de vérité, et des mensonges déguisés. MJ tente de prouver quelque chose, avec sa réponse qui ne convainc personne. Zaza ne cherche même pas à faire comme si elle la croyait. Y a aucun effort pour ça. Elle expédie juste ce mensonge qu’elle mâche et avale, sachant d’avance qu’elle ne trouvera pas la sincérité qu’elle est venue chercher. De toute façon, Zaza, elle n’a jamais voulu de la vérité, non ? MJ garde son rôle, sûre d’elle malgré le sourcil arqué de son amie qui veut tout dire. Elle garde les bras croisés un instant. De toute façon, elle a fait sa part du job, si on peut dire ça comme ça. Et malgré tout, l’inquiétude qu’elle éprouve pour sa meilleure amie terrasse le reste. Ça la ferait presque oublier. Oublier le contexte de ce rendez-vous improvisé. Oubllier ses sentiments piétinés, oublier le silence qui casse son coeur en deux. La nouvelle priorité est posée. Elle veut savoir ce qui se passe, parce qu’elle n’a jamais vu Zaza aussi terrorisée. Elle se dit que ça ne peut pas venir que d’elle. Alors elle pose cette foutue question, et ses gestes sont instinctifs. Elle est louve protégeant sa petite. MJ a toujours eu des allures de cheffe de meute. Zaza sait la canaliser, mais MJ sait surtout la protéger. Son rôle, son seul et unique rôle. Mais tout ce que la cubaine fait, c’est fixer leurs mains qui se touchent. Ce malaise rend MJ fébrile, liquide, terriblement triste. Elle allait retirer sa main, dégoûtée par la situation qu’elles sont en train de vivre.

Zaza la retient.
Son cœur chavire un peu, renversé par ses sentiments contradictoires. Aussi douloureux qu’ils puissent être. Aussi intense encore. Décidément, elle a dû mal à faire semblant. Pas comme avec toutes les autres filles qu’elle a planté. MJ est la pro pour faire disparaître ses sentiments en un claquement de doigts. Méthode de survie. Elle a pu zapper son propre frère aussi facilement qu’elle zappe une conquête, juste pour avoir moins mal. Zaza, elle n’y a arrive pas. Pas comme ça en tout cas. Alors elle retient son souffle une seconde. J'peux pas t'le dire. Elle accuse le coup comme elle peut. Depuis quand elle ne peut pas lui dire quelque chose ? Hein ? C’est difficile à accepter. Non, c’est impossible. Et ça n'a rien à voir avec... tout ça. Sourire malade à en crever. Elle ne la croit pas du tout. Son regard se perd dans le vide, quelque part entre les yeux suppliants de Zaza et leurs mains liées. Elle sent l’énervement qui revient en flèche, si vite, comme une montée de fièvre fulgurante. Les lèvres pincées, elle siffle : Dime! Elle est autoritaire, et perdue à la fois. Elle ne sait pas comment la convaincre, elle n’a pas l’impression que Zaza lachera le morceau. Et pourtant ça à l’air d’être un truc terrible. Parce que si ce n’est vraiment pas lié à tout ça. Si ce n’est pas à cause de ce baiser, si ce n’est pas à cause d’Ali, si ce n’est même pas à cause d’MJ… Alors quoi ? Qu’est-ce qui peut terroriser Zaza à ce point sans qu’elle ne puisse en parler à MJ ? Sans qu’elle ne veuille en parler à MJ. Ali, encore, elle peut le gérer. Tout ça, elle peut s’arranger. Mais quels monstres Zaza cache-t-elle dans son placard aujourd’hui ? L’incertitude la rend folle, la colombienne. Autant que ce sentiment d’impuissance qui la gagne. Je sais que ça peut te paraitre insensé mais... j'le fais pour te protéger. MJ claque sa langue contre son palais, agacée. Elle déteste ce qu’elle entend. Et honnêtement, elle lui répondrait bien que Zaza lui a fait tout un sketch quand elle elle a caché des choses à propos d’Ali pour la protéger. Mais ses pensées sont toutes occupées à recoller les morceaux, à essayer de trouver la solution elle-même. Mais elle n’a aucun indice, rien qui peut lui faire deviner ce qui a bien pu se passer. Sans doute que Zaza capte à quel point MJ est perturbée par la situation. Elle attrape d’un geste pressé sa deuxième main. Ses boyaux se tordent. Elle se sent nauséeuse. Elle n’ose toujours pas regarder son amie, elle a trop peur que les éclairs dans ses yeux ne la foudroie sur place. Tu m'as toujours protégée, depuis tout c'temps. Alors s'il te plait, pour une fois, juste une fois... laisse-moi inverser les rôles. Enfin, le regard coléreux d’MJ se relève sur Zaza. Elle n’est pas contente, vraiment pas. Et elle répond du tac au tac, d’une voix faussement calme, d’une voix basse, qui contient en elle toute la révolte du monde : Y a pas moyen. Elle la connait mal, si elle pense qu’MJ va la laisser faire.

Un bruit qui provient de l’entrée, MJ ne l’entend quasiment pas, trop occupée à envoyer des regards noirs à Zaza. Mais celle-ci ne s’en préoccupe pas, elle a littéralement bondi de sa chaise, surprise par ce bruit, paranoïaque, et est allée vérifiée de ce pas ce que c’était. Elle laisse donc MJ seule sur sa chaise, et elle tape à nouveau son dos contre le dossier de mauvaise humeur, elle secoue la tête et tente de se calmer, mais elle n’y arrive pas. Le père de Dom, apparemment. MJ expire par le nez d’un air soulé. Il choisit bien son moment, ce con. Elle se lève de mauvaise grâce et attrape son sac à dos pour faire disparaître les preuves de sa présence et suit Zaza jusqu’aux escaliers. Elle continue à réfléchir trop vite pendant tout le trajet jusqu’à l’étage, jusqu’à ce qu’on l’emmène dans la chambre du vieux. Mais aucune hypothèse ne peut naître dans son esprit tant elle n’a aucune information sur le problème. Elle pénètre donc dans la chambre en dépassant Zaza, envoie son sac sur le lit brusquement. Elle fait un pas devant elle. Inspire. Et puis elle se retourne violemment pour faire face à son amie. Tu rêves si tu crois que je vais juste laisser couler. Ouais, jamais elle pourrait faire un truc pareil. Ça serait comme se trahir elle-même et tout ce qui la constitue. Pour la protéger ? La protéger hein ? Zaza fait ça pour la protéger ? Elle se sent insultée rien qu’à y repenser. Elle crache sur l’inquiétude déplacée de Zaza et sur ses secrets qui la mettent hors d’elle. MJ n’a besoin de la protection de personne. PERSONNE. J’vais pas te lâcher, et j’vais continuer à te demander ce qui se passe jusqu’à ce que tu craques. En fait, je vais plus jamais parler d’autre chose. La revoilà insolente, impossible, insupportable. MJ qui ne lâche jamais, qui parle trop et trop fort. La tête plus dure que le béton.

Mais comme tout à l’heure, MJ et Zaza ne parlent plus de la même chose. Contre cette porte, y a qu’une seule réponse qu’attend la cubaine, et semble qu’elle aussi ne compte pas parler d’autres choses. MJ, je-. J'ai besoin de comprendre... il faut qu'on en parle. J't'en supplie. Ça arrête une seconde MJ. Elle fait les gros yeux, penche légèrement la tête sur le côté. Mais… mais merde Zaza ! Pourquoi elle comprend pas que la meilleure chose à faire est de justement ne plus jamais parler de ce baiser. Revenir en arrière, faire ce qu’elle a très bien réussi à faire ces dix dernières années : ne rien voir. MJ serre les dents, et se met les deux mains devant le visage, étouffe un petit gémissement plaintif. Elle en a marre putain. Parler sentiment elle sait pas faire, et l’attitude de Zaza ne lui donne de toute façon pas du tout envie. Qui a envie de se prendre un rateau ? Parce que y a pas d’autres solutions. Elle sait parfaitement la conversation qu’elles pourraient avoir et elle aime autant se l’éviter. Ouais ne plus y penser, jamais, s’éviter l’humiliation impossible à digérer. Parce qu’MJ a trop de fierté pour ça, et que ses sentiments sont encore trop forts. Elle n’a pas encore pu les enterrer, elle s’évertue à le faire, mais Zaza cache tout à gratter le terrain fertile de secrets avec ses doigts. Elle est chiante celle-là. Ne tenant plus en place, MJ recommence à faire les cent pas et se passe une main dans sa tignasse. Ça lu prend un ou deux aller-retour avant de s’immobiliser face à Zaza. Elle ouvre les bras d’un air fataliste : J’sais même pas de quoi tu veux parler. Qu’elle lâche, et ce n’est pas pour faire comme si rien ne s’était passé. Non, c’est juste que y a rien à en dire. Rien qu’elle n’ait envie d’entendre, en tout cas. Mierda, j’sais pas, moi… Elle commence, pas trop sûre de vouloir terminer sa phrase. Et finalement, elle laisse retomber lourdement ses bras dans le vide. D’une voix plus calme, elle ajoute : … J’sais pas ce que t’as pas compris. C’était clair non, ce baiser ? Et par cette phrase elle valide ce que Zaza sait au fond d’elle : oui, elle a des sentiments pour elle. C’est à ça que servent les baisers sur la bouche, à les exprimer. Elle n’a pas de porte de sortie cette fois, elle est obligée de se prendre les sentiments d’MJ frontalement. Et clairement, c’est aussi dur pour l’une que pour l’autre. MJ ne tient pas longtemps face à elle. Elle finit par se poster sur le bord du lit en se laissant tomber lourdement à côté de son sac. Elle pose ses avants-bras sur ses cuisses, mal à l’aise. On a pas besoin d’en parler. Moi j’ai bien compris, t’inquiètes. Elle ne lui a pas rendu son baiser, elle ne lui a plus parlé pendant des jours. Le message est passé, et son cœur déjà tuméfié.

— Y a pas moyen. C'était prévisible. Zaza reste plantée là encore quelques secondes avant de se laisser retomber en arrière dans sa chaise, sans relâcher les mains de son amie, tout en poussant un long soupir fatigué, comme si elle savait à l'avance le combat éreintant qu'elle allait devoir mener. Mais le père de Dom lui ouvre une perspective parfaite d'évitement. Elle sursaute, d'abord effrayée avant de comprendre de qui il s'agit. Elle s'apaise aussitôt et embarque MJ avec elle dans la chambre du père pour retrouver un peu de tranquillité.

Mais cet aparté n'a pas suffit à calmer MJ qui rentre comme une furie dans la pièce avant de balancer son sac à travers la pièce - elle a vraiment bien fait d'éviter la chambre de Dom et Tyrone. — Tu rêves si tu crois que je vais juste laisser couler. Zaza a refermé la porte derrière elles avant de venir s'appuyer dessus. Elle inspire un grand coup et bloque sa respiration dans un mouvement exaspéré, tout en roulant légèrement des yeux. — Sans déc. Qu'elle finit par lâcher en expulsant l'air comprimé dans ses poumons. Elle baisse la tête et passe brièvement sa langue sur ses lèvres, ses yeux qui se posent un peu partout sauf sur MJ, laissant sa tignasse retomber un peu devant son visage pour mieux se cacher. Le regard insistant de MJ la transperce et la rend nerveuse. Elle aurait probablement mieux fait de mentir, d'inventer une connerie, mais elle n'en a pas eu le cœur. Elle ne sait pas comment elle va pouvoir s'en dépêtrer - probablement qu'elle ne pourra pas. — J’vais pas te lâcher, et j’vais continuer à te demander ce qui se passe jusqu’à ce que tu craques. En fait, je vais plus jamais parler d’autre chose. C'est plus fort qu'elle, Zaza se redresse et se met à rire doucement. Une sorte de rire tendre et désabusé à la fois. Elle sait pertinemment que MJ en est capable et au fond, elle trouve ça plutôt adorable. Cet entêtement donne à MJ des airs de petite fille guerrière et elle a du mal à la prendre au sérieux tant elle trouve ça mignon.

Elle évite cependant de rebondir dessus, préférant esquiver le sujet autant que possible. A vrai dire, elle, c'est un tout autre sujet qui l'intéresse. MJ lui fait les gros yeux mais Zaza lui tient tête, imperturbable. Elle la regarde poser ses mains sur son visage pour étouffer un petit cri plaintif et ça lui pince le cœur de la voir se mettre dans un tel état. Surtout à cause d'elle. Elle baisse les yeux, un peu peinée par toute cette situation qui la dépasse complètement. Elle a juste terriblement peur et c'est pour ça qu'elle a besoin de crever l’abcès - contrairement à MJ qui semble plutôt décidée à le laisser grossir jusqu'à ce qui leur explose à la gueule tôt ou tard. MJ est une vraie spécialiste à ce petit jeu. Elle se met à faire les cents pas sous le regard un peu las de Zaza qui attend simplement que la pression retombe un peu. Elle finit par se décider à s'arrêter et lui faire face de nouveau, mais toujours pas calmée. — J’sais même pas de quoi tu veux parler. La réaction de Zaza est immédiate, elle lève les bras avant de les laisser retomber bruyamment contre ses cuisses tout en jurant. — Putain ! Ça commence à l'énerver ce petit jeu. Elles ont passé l'âge de ce genre de gamineries, elle les pensait un minimum capable de se parler en toute franchise sans qu'elles aient à craindre un quelconque cataclysme. Faut croire qu'elle s'est plantée, comme lorsqu'elle croyait qu'MJ était 100% honnête avec elle. Sur quoi d'autre s'est-elle plantée encore exactement ?

— Mierda, j’sais pas, moi… J’sais pas ce que t’as pas compris. Tout, à vrai dire. Elle a des dizaines de questions qui se bousculent dans son esprit. Est-ce qu'elle l'aime ? Si oui depuis combien de temps ? Ou est-ce que c'était juste une pulsion comme ça ? Un truc pas réfléchit qui n'a pas vraiment de sens caché ? — On a pas besoin d’en parler. Moi j’ai bien compris, t’inquiètes. Ça lui fait mal de la voir comme ça, prostrée sur le bord de ce lit. Toute la pièce empeste déjà le désespoir du père Riggs et MJ semble comme happée par cette ambiance pesante.

Zaza ne réagit pas, elle se contente de fixer MJ en silence, les yeux un peu dans le vague.

Pourquoi est-ce qu'elle ne l'aime pas comme ça elle aussi ?

Elle plisse un peu le front, dérangée par une foule de pensées. Tout serait plus simple si c'était réciproque. Si elle avait envie de ça elle aussi. Elle n'aurait plus à se prendre la tête avec tous ces mecs qui lui charcutent le cœur. Plus à craindre que Carla se tape un autre de ses crushs. Plus à courir après Ali. Plus à cacher à Dom qu'elle craque un peu pour son pote. Plus à cacher à Deandre qu'elle est sortie avec son pote. Plus à craindre de finir sa vie toute seule. Elle est convaincue qu'elle serait heureuse avec MJ, après tout elle l'a bien été toutes ces années à ses côtés en tant qu'amie.

Mais elle ne ressent rien et elle s'en veut pour ça.

Cette pensée la rend triste, elle baisse les yeux, songeuse. Elle prend appui sur une jambe, puis sur l'autre, nerveuse. Après une brève hésitation, elle se décolle de la porte et rejoint MJ sur le lit. S'assoit à côté d'elle sans la regarder, frotte un peu ses mains sur ses cuisses parce qu'elles sont devenues moites. Son cœur cogne un peu plus fort dans sa poitrine mais pas pour les bonnes raisons. C'est surtout l'appréhension de faire une grosse connerie qui lui noue les tripes à cet instant. Elle se décide enfin à tourner la tête vers MJ, l'observe avec la drôle de sensation de rouler à toute vitesse dans un mur. Sa main droite se lève et vient glisser une mèche rebelle d'MJ derrière son oreille. Elle n'est pas certaine de savoir à quoi elle joue, mais au moins MJ ne lui parle plus des raisons qui l'ont poussé à se retrancher chez Dom et à mentir à toute sa famille. La diversion est terrible mais fonctionnelle. Elle déglutit avant de se pencher en avant pour déposer un baiser sur la joue d'MJ. Ses lèvres se décollent, trainent un peu, son souffle tremblant qui glisse sur la peau de son amie et lentement, sans forcer, la main qui trainait vers son oreille se pose sur sa joue et l'incite à tourner la tête vers elle.

Leurs bouches s'effleurent, Zaza retient son souffle, complètement perdue. Une seconde de flottement avant de finalement franchir les derniers millimètres. Ses yeux se ferment et elle revient sceller leurs lèvres dans une étreinte douce et forte à la fois, à la recherche d'une quelconque émotion.

Mais rien.
Pas d'explosion dans sa poitrine.
Pas de papillons dans le ventre.
Le calme plat, l'indifférence.
Et ça lui brise le cœur.

Elle a envie de pleurer, de se maudire d'être aussi bête et incapable d'aimer la seule personne dans ce monde qui l'aime vraiment pour tout ce qu'elle est. Mais au lieu de briser l'échange, elle l'intensifie, son corps qui se rapproche de celui d'MJ dans un jeu malhonnête.

Peut-être que si elle se force, ça finira par marcher.

Elle ne s’est jamais sentie plus démunie et paumée aujourd’hui. Elle a l’impression de ne plus rien contrôler et cette sensation, elle a tenté de lui échapper toute sa vie. Mais elle s’est faite rattrapée aujourd’hui, avalée, et tout dégringole. Depuis que Zaza sait pour Ali, depuis ce moment bien précis, tout lui échappe. Zaza est intraitable, rancunière aujourd’hui et même si elle clame que ça n’a aucun rapport, elle lui ment ouvertement, refuse l’aide de sa plus vieille amie. Alors quoi ? On fait quoi ? Parler de ce baiser qui brise le coeur d’MJ, elle n’en a pas envie non plus. Elles ont la tête aussi dures l’une que l’autre à présent, et elles sont manifestement dans une impasse. Cette amitié à deux vitesses a complètement déraillé. MJ craint la prochaine décision qui sera prise. Alors y a rien à faire d’autres que de se laisser tomber sur ce lit avec une forme de résilience forcée. Silence de quelques instants qui provoque un bruit sourd dans le fond de son coeur. Puis, Zaza s’approche. Doucement, comme si elle marchait sur des oeufs. Elle s’assoit à côté d’MJ, et les boyaux de la colombienne se tordent de cette proximité qui semble désormais interdite. Elle continue à fixer devant elle, gladiateur au milieu de l’arène, elle sait pas si elle doit continuer le combat, ou déposer les armes. Semble de toute façon que c’est Zaza qui décidera de l’issue du combat et elle n’aime pas ça.

La main qui remet une mèche derrière son oreille la glace et l’électrise à la fois. Les paupières d’MJ tombent, ses sourcils se froncent. Elle ne sait pas quoi comprendre, elle reste interdite. Si tout le reste disparaissait, peut-être qu’elle profiterait de ce moment. Mais tout le reste est un brasier qui détruit tout en elle. Dis-moi juste la vérité. Qu’elle demande, incapable de faire abstraction. Elle le chuchote, presque, comme si cette conversation était très loin maintenant. Le baiser sur sa joue balaie ce qui lui reste de détermination. Elle veut lutter mais elle ne peut pas. Tout son corps frissonne de ce contact soudain. Tout s’entrechoque. Envie primaire, excitation non contrôlée. Son coeur s’accélère subitement. Elle peut pas s’empêcher de se dire que Zaza sait maintenant, et qu’elle ne peut pas mal interpréter quoi que ce soit, se cacher derrière une naïveté exagérée. Elle fait tout ça en connaissance de cause, et ça change tout.

Son souffle la caresse, elle avale sa salive. Elle ne sait pas quoi faire, immobile. Mais Zaza guide ses gestes, attrape sa joue, lui tourne la tête. Lèvres contre lèvres, une caresse d’une demi seconde qui provoque une nouvelle déflagration. Enfin les paupières tâchés des combats menés d’MJ s’ouvrent à nouveau, ses pupilles glissent le long du visage de Zaza, se plantent dans son regard. Ses yeux ne comprennent pas. Elle voudrait dire un mot mais rien ne sort, rien qu’un souffle vibrant d’une appréhension retenue.

Elle a l’impression d’être sur une mine, et qu’au moindre mouvement tout explosera.

C’est Zaza qui l’embrasse. Un vrai baiser, ni volé, ni imposé. MJ se laisse faire, figée par la surprise, assommée par ce qu’elle n’avait pas vu venir. Y a comme une vague qui s’écrase à l’intérieur de son corps, contre ses os, elle est emportée instantanément. Ce baiser elle l’a rêvé trop de fois pour vraiment comprendre ce qu’elle ressent à ce moment-là. Elle est prise dans un vortex qui la secoue dans tous les sens. Et ça prend encore quelques secondes de plus avant qu’elle reprenne du mouvement. Une main qui se lève, tremblante d’une excitation qui naît au creux de son bas-ventre. Ses doigts s’infiltrent dans la crinière épaisse de Zaza, retiennent son visage. Elle ne veut pas s’arrêter. C’est trop bon sur le moment. Cette chaleur qui se répand dans tout son être, comme un putain de soulagement, une bouffée d’air après des années d’apnée. Torsion des organes. Tout s’enflamme. Pourtant, elle comprend presque tout de suite. Elle sait que y a rien qui se passe en face. Zaza est sa meilleure amie, elle comprend. Mais elle refuse. Et Zaza redouble d’effort, elle intensifie ce baiser et maintenant c’est comme si toute la pièce prenait feu autour d’elles. Un feu aussi destructeur que rassurant. Foncer dans des situations merdiques, c’est sa spécialité à MJ. Elle sent que ca marche pas, elle sent qu’elle est la seule pour lui l’explosion se fait, la seule à sentir les papillons battre des ailes. Ça la fout dans une colère amère qui lui noue la gorge, et lui déchire les côtes. Mais elle n’a pas la force d’interrompre ce baiser pour lequel Zaza semble tout donner. Elle n’a pas la force de faire le bon choix, parce que de toute façon, y a pas de bon choix. Dans tous les cas, ça fera un mal de chien.

Alors elle s’accroche à la joue de Zaza comme on s’accroche à un faux-espoir. Elle s’imprègne de chaque sensation, de ses lèvres pulpeuses qui s’écrasent sur les siennes, de sa jambe qui lui donne des frissons. Sa main libre vient trouver à l’aveugle l’une des cuisses de Zaza, remonte jusqu’à ses hanches, sa taille. Elle savoure ce moment comme une drogue dévastatrice mais dont le shoot dépasse tous les autres. Le baiser s’éternise, et elle contrôle de moins en moins la situation. Lorsque leurs lèvres se décollent, le visage d’MJ se love dans le cou de Zaza, le couvre de baiser appuyés, humides, qui font mal. Mal à en crever car elle sent que rien ne va. Et finalement, alors que sa main remonte de sa taille jusqu’à la nuque de Zaza, elle s’y accroche un dernier instant, les doigts crispés dans cette chaire qu’elle doit quitter. La seconde d’après elle ferme ses yeux de toutes ses forces et se jette à son cou pour la serrer contre elle.

Ça sonne comme un adieu. Un adieu à ce corps qu’elle n’aura jamais vraiment. Zaza peut bien mentir comme elle veut, y a des trucs qui ne sont juste pas crédibles.

Quand elle se sent prête, elle inspire et se recule, les mains sur les épaules de Zaza, et elle la regarde, d’un air dépité. Et maintenant, on fait quoi ?

Elle ne comprend pas.
Elle ne comprend pas comment MJ a pu lui cacher ça toutes ces années. Elle ne comprend pas comment elle a pu ne rien remarquer. Et elle ne comprend pas pourquoi ce n'est pas réciproque. Pourquoi l’ambiguïté n'a pas fini par s'immiscer de son côté aussi ? La sexualité d'MJ n'a jamais été un secret, alors après tout ce temps passé ensemble, les choses auraient pu dériver pour elle également. Mais non. Ce qu'elle ressent pour MJ ne dépasse pas le stade d'une amitié tendre et solide. Et ça la désespère.

Alors elle cherche à provoquer quelque chose en elle. Se dit qu'en forçant la flamme, celle-ci finira peut-être par s'allumer. Elle a peut-être seulement besoin d'ouvrir les yeux, de se remettre en question. D'accepter une part d'elle qu'elle n'aurait peut-être jamais soupçonné. Mais leurs lèvres ont beau s'embrasser, rien ne s'éveille. A part une tempête sourde, témoin du malaise grandissant entre ses côtes. Zaza s'accroche, persiste, elle se butte sur cette idée comme elle le fait bien souvent dans tous les aspects de sa vie. Et MJ ne se fait pas prier. Elle a glissé l'une de ses mains dans ses cheveux, répond à cet échange avec la même intensité. Et plus encore, parce que la sienne n'est pas simulée. Zaza le perçoit très nettement, ce décalage. Elle sent la chaleur émaner de son amie, ce brasier qui finira par la réduire en cendres et qui s'épuise contre le glacier qui recouvre la peau de Zaza.

La main d'MJ sur sa cuisse la fait frissonner, mais pas pour les bonnes raisons. Le geste est langoureux, chargé d'envies qu'elle ne partage pas. Elle se tend, déconcentrée. La main continue sa course, caresse ses hanches pour terminer sa course sur sa taille. Son pouls s'accélère, parce qu'elle commence à flipper. Elle se demande ce qu'elle vient de déclencher et si elle saura tout stopper. Elle n'a jamais été douée pour dire non aux gens qu'elle aime et cette vérité l'angoisse subitement bien trop. Elle se laisse faire, un peu confuse, dépassée par la tournure des évènements. Les lèvres de son amie finissent par la quitter et c'est comme un soulagement. Mais cette sensation ne dure qu'un temps, parce qu'elles viennent se perdre dans sa nuque, d'une façon un peu trop appuyée. Elle a rouvert les yeux et fixe le mur en face d'elle, complètement perdue et incapable de réagir. Elle a trop peur de lui faire mal. Elle se contente de prier pour qu'MJ s'arrête à temps. Elle laisse ses mains retomber sur ses propres cuisses, comme une poupée de chiffon qui attendrait qu'on lui dise quoi faire. La main qui vient se nicher derrière sa nuque pour intensifier le contact lui provoque comme une décharge qui vient remplir ses yeux de larmes. Elle retient à moitié son souffle, passive.

Mais MJ la connait trop bien. Pas dupe, elle cesse enfin cette mascarade qui n'aura pas eu d'autre effet que de leur faire encore plus mal. Elle se jette à son cou et Zaza comprend. Elle l'imite, ses bras qui l'enlacent puissamment alors qu'elle échappe quelques petits sanglots, complètement chamboulée.

Elle ne comprend pas comment les choses ont pu en arriver là. Il n'y a pas si longtemps, tout allait encore très bien. Tout va changer désormais, elle en a la conviction profonde et ça compresse le cœur, effrayée à l'idée de pouvoir tout perdre. De pouvoir la perdre.

MJ finit par rassembler son courage, inspire un grand coup et se recule, ses mains se posent sur les épaules de Zaza. Cette dernière renifle, vient essuyer ses yeux d'un geste rapide pour effacer toutes traces de faiblesse et souffle discrètement, comme abattue. — Et maintenant, on fait quoi ? Elle hausse les épaules et vient mordiller nerveusement l'intérieur de ses lèvres. Son regard est fuyant, elle réfléchit. Mais elle n'a pas de solution miracle. Elle déglutit péniblement, sa gorge est serrée par l'émotion. — Je n'sais pas MJ. La voix est faiblarde, saturée d'insécurité. Ses mains viennent attraper les poignets de MJ et elle l'incite doucement à relâcher ses épaules. Puis elle serre ses mains dans les siennes, comme pour s'ancrée dans la réalité. — Moi j'veux pas t'perdre MJ, t'es trop importante pour moi. Mais... Son regard se voile à nouveau. ...mais si j'sais pas, si tout ça te fait trop mal et qu'tu penses que c'est mieux pour toi qu'on s'voit plus ou-, ou je sais pas en fait. C'est toi qui voit, je crois. Elle baisse la tête, un peu résignée. Elle n'a pas le droit d'imposer sa volonté à MJ. Pas le droit de la forcer à continuer de faire semblant. Et même si la simple idée de prendre une route différente d'elle lui déchire l'âme, elle le ferait. Si c'est pour MJ, elle pourra tout faire. Tout encaisser. Elle a toujours été douée pour s'oublier au profit des autres. — Te quiero mi vida. Qu'elle susurre tout bas avant d'attraper ses joues et de déposer un baiser sur son front. Ça sonne comme un prend soin de toi avant tout. Elle recule son buste, ses mains s'attardent un peu, rabattent quelques mèches de cheveux en arrière, dans des mouvements maternels.

Un bruit de vaisselle qui se casse la fait sursauter. Avec tout ça, elle avait oublié que le père Riggs était là. S'il monte dans sa chambre et les trouve ici, la situation risque de devenir encore plus étrange. Elle se lève, un peu nerveuse. — J'suis désolée MJ, c'est vraiment pas l'idéal pour discuter de tout ça tranquillement. En plus si Dom débarque et nous trouve là il va être insupportable. Elle gesticule un peu avant de s'approcher de la porte, elle l'entrouvre et tend l'oreille pour s'assurer que personne ne vient avant de la refermer. Elle a entendu Mr Riggs râler dans la cuisine, il a dû faire tomber une de ses bouteilles, ou un verre. Elle ira ramasser plus tard.

Je n'sais pas MJ. Peut-être que dans le fond, y a pas de solution. Y a sans doute des amitiés qui se relèvent de ce genre de truc, MJ n’est pas la première à tomber amoureuse de sa meilleure amie, pas vrai ? Mais à ce moment précis, elle se dit qu’elles n’y arriveront jamais. Le poignard dans le cœur fait un mal de chien et elle se sent mal, dans cette chambre, face à Zaza. Ça boue dans ses veines, ça boue dans son ventre. Les larmes de Zaza, qui en chiale de l’avoir embrassé. Le ton de sa voix, et la pitié qu’MJ en perçoit. Elle veut tout casser dans cette pièce, dans leurs coeurs. Briser celui de Zaza comme elle vient de briser le sien. Elle ne veut même pas la regarder pour ne pas déceler un genre de compassion qui la foutrait à terre. Elle n’a jamais supporté ça, et de la part de Zaza, c’est encore pire. Moi j'veux pas t'perdre MJ, t'es trop importante pour moi. Mais... Elle ferme les yeux, les sourcils froncés d’une colère qu’elle contient du mieux qu’elle peut. Elle expire par le nez, tente de calmer l’agitation sous sa peau. ...mais si j'sais pas, si tout ça te fait trop mal et qu'tu penses que c'est mieux pour toi qu'on s'voit plus ou-, ou je sais pas en fait. C'est toi qui voit, je crois. Elle ouvre à nouveau les paupières et les pose sur Zaza en se demandant comment elle a pu croire que c’était une bonne idée de lui balancer un truc pareil. En plus d’avoir son coeur complètement à découvert, la faiblesse que Zaza lui prête la fout en rogne. Ça fait cinq ans, si ce n’est plus, qu’elle ravale ses sentiments. Elle est assez forte pour ça, elle est assez forte pour être la meilleure amie de Zaza. Mais, tu sais quoi ? Elle est aussi assez forte pour la perdre. Sourire frémissant. Vale. Qu’elle expédie rapidement, comme si elle voulait ouvrir la bouche le moins possible. Elle sait qu’elle pourrait se mettre à hurler à tout moment. C’est pas son truc ce genre de chose, pas son truc d’être la faiblarde de l’histoire. Pas son truc de prendre des râteaux. Elle se sent mal à en crever. Et elle ne sait même pas ce qu’elle veut lui répondre. C’est fini ou pas ? On va s’en relever ou pas ? Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle veut leur foutre le feu à toutes les deux, là maintenant. Et a la maison des Riggs aussi, tient, par la même occasion, et juste pour faire chier. Te quiero mi vida. Non, c’est pas vrai. Elle l’aime pas. Pas comme elle devrait. Pas comme MJ l’aime. Elle se laisse faire cependant, quand Zaza s’approche pour lui déposer un baiser sur le front, encore plus humiliant que tout le reste. Elle a l’impression d’être une petite fille qu’on doit consoler. Putain elle voudrait s’arracher les tripes. Son corps tressaille au moment du contact, et elle ne répond rien. Elle attend simplement que ça passe en espérant que son corps ne se défendra pas tout seul de ce qu’elle vit comme le pire des affronts. Quand Zaza se recule pour remettre une mèche de cheveux derrière ses oreilles, MJ lève les yeux sur elle. Un regard par en-dessous, un regard noir. Noir et rouge des larmes qui veulent couler, mais qu’elle retient. Elle ne sait pas ce qu’elle ressent, ça forme trop de chose dans sa tête, dans son cœur. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’elle se sent mal, et que c’est de la faute de Zaza.

Heureusement un bruit de vaisselle arrête Zaza dans ses gestes. MJ a l’impression de pouvoir respirer à nouveau quand elle la lâche. Elle détourne le regarde et s’essuie le nez d’un revers de manche. Elle reste mollement assise quand Zaza se relève. Elle se met à fixer le parquet, et y a des picotements désagréables qui se propage dans tout son être. Elle va exploser. Ça va péter, elle en est sûre. Faut qu’elle parte d’ici. Et quelque chose d’autre la cloue sur le lit. Quand elle aura quitté cette pièce, elle n’a aucune idée de si elle reverra Zaza un jour. Parce que là, elle lui en veut un max.

J'suis désolée MJ, c'est vraiment pas l'idéal pour discuter de tout ça tranquillement. En plus si Dom débarque et nous trouve là il va être insupportable. Petit sourire en coin. MJ lève la tête et regarde Zaza, un air méprisant scotché sur le visage. C’est marrant, cette façon qu’elle a, d’être obsédée par ses ex. Tous ces putains d’ex qui ont pu profiter d’elle, qui ont pu l’avoir. Et pas elle. Cette injustice la rend folle, autant que cette jalousie maladive. MJ se relève d’un bond excédé. T’as raison, faudrait pas que tes relations avec Dom se dégradent à cause de moi. Encore un sourire cynique. MJ se rue sur son sac à dos qu’elle enlève sur une épaule. Une fois fait, elle se dirige vers la porte, sans un regard pour Zaza. Elle la regarde pas, elle l’écoute pas, elle veut rien tendre. Elle veut juste se barrer d’ici avant que la situation ne dégénère. Elle attrape la poignée de la porte et l’entrouvre. J’me casse, t’inquiète pas, j’me ferai pas remarquer. Et elle disparaît dans le couloir sans laisser à Zaza l’occasion de lui répondre.

Elle a l’impression d’étouffer.

Elle se met les deux paumes devant les yeux, avance d’un pas rapide dans ce couloir, dévale les escaliers, s’arrête au milieu pour s’assurer que la voie est livre et elle trottine jusqu’à la porte d’entrée pour se glisser à l’extérieur. La porte refermée, elle prend une grande inspiration. Ça y est, elle la sent, cette nausée. Ce sentiment qu’elle va mourir, parce qu’elle est sûre d’avoir perdu Zaza à jamais. Elle pardonnera jamais ça. Elle pardonnera pas le fait qu’elle ne l’aime pas. Elle pourra pas passer outre, elle se connaît. Elle respire avec de plus en plus de difficulté se passe une main dans les cheveux, sort du pavillon. Mais la rage est trop forte, beaucoup trop forte. Elle étouffe un cri de rage dans son poing, et puis agite les mains devant elle comme si elle voulait faire passer une envie de pisser ou un éternuement. Putain, faut qu’elle se calme. Elle se penche en avant, les mains sur ses cuisses. Essaye de respirer normalement. Mais elle y arrive pas. Et puisqu’elle est devant la boite aux lettres des Riggs, elle donne un coup de poing dedans. Une fois, deux fois, la tôle se plie sous son poing et elle la termine d’un coup de pied jusqu’à ce que le pied en bois ne craque.

» mariposas muertas. (velina)
» mes désirs font désordre (velina)
» l'échappée belle.
» LA MISÈRE EST SI BELLE.
» notre belle démence (beth)