[ objectif lune ]

i_ Issu d'une famille pauvre mais soudée, les galères il connaît mais ses parents n'ont jamais laissé le foyer sombrer dans la misère. Il les a vus enchaîner les boulots aussi difficiles qu'éphémères, et s'est fait la promesse de ne pas avoir à se tuer à la tâche comme eux. Ni comme son frère aîné, Tyrone, qui n'a pourtant pas suivi l'exemple parental. Dom l'a vu se mettre à traîner dans les coins les plus dangereux de Detroit, l'a surpris à regarder par-dessus son épaule dans la rue et à planquer des choses sous son matelas. Il l'a vu changer, jouer le caïd du haut de ses dix-sept ans, frapper dans les murs et gueuler sur leur mère. Et puis il l'a vu se faire trouer comme une passoire, sur le pas de la porte. Ça fait déjà près de quinze ans mais le souvenir reste intense – la voiture arrêtée face à leur baraque, les silhouettes trop sombres, le bruit des balles puis le sifflement à ses oreilles. Il était planqué sur le porche, voulait surprendre son frère et le confronter. Aux premières loges du massacre, il a enfoui ce souvenir avec beaucoup d'application parce que c'était le seul moyen de ne pas devenir fou. Il en garde une peur terrible des armes à feu – pas franchement pratique à Detroit – et un profond vide intérieur.

ii_ La tristesse a rongé ses parents. Son père est tombé dans une dépression si violente qu'il n'en sortira certainement jamais, hanté par le fantôme de son fils décédé, il a fini par en oublier Dom et ne plus lui donner d'attention. Sa mère est devenue aussi parano qu'étouffante, à le couver constamment, lui poser trop d'interdits et frôler la crise d'hystérie à la moindre inquiétude. Il s'est retrouvé paumé entre les deux et n'a pas su gérer la situation – n'a pas eu les clés pour s'en sortir non plus. Il n'a jamais réellement fait son deuil. Il ne s'en est pas donné le droit, a tout ravalé inconsciemment, pour ne pas ajouter au malheur qui prenait déjà toute la place chez eux. La mort de son frère n'a pas trouvé justice, l'enquête a été bâclée et personne n'en a jamais rien eu à foutre. Ce sont des histoires de gangs comme on en voit tous les jours à Detroit ; c'est si banal que ça en devient sordide. Pas de coupable, pas de vengeance, pas de satisfaction. Rien d'autre que l'absence.

iii_ Son besoin d'attention est entré en conflit avec sa soif de liberté – partagé entre la sensation d'être invisible et celle d'étouffer. Il est devenu turbulent, insolent, s'est mis à désobéir chroniquement et à faire parler de lui par tous les moyens possibles et imaginables. Créativité débordante, il a multiplié les stratagèmes aussi douteux que ridicules, mais ça marchait. Il a essayé de devenir artiste mais n'en a jamais eu la fibre, a fait une sextape qu'il a diffusée lui-même dans son lycée, tenté des cascades qui lui ont valu trop de passages aux urgences, s'est enchaîné à un immeuble condamné à la destruction en espérant attirer les journalistes – sans succès. Il a volé, triché, provoqué, tout saccagé ; s'est élevé au rang de héros pour les adolescents comme lui, a fait de son nom une légende urbaine qui perdure dans ses anciennes écoles. Ça lui a valu un tas d'ennuis, des cicatrices et beaucoup de passages en maisons de correction. Le premier est celui qui a été un moment décisif : sa mère ne l'a pas supporté. Elle n'a pas pu aller au-delà de ses peurs et ses névroses, terrorisée à l'idée de voir son deuxième fils finir comme le premier. Il avait seize ans, leur confrontation a été un désastre et elle a choisi de partir, convaincue que Detroit aurait sa peau et celle de sa famille. Elle lui a proposé de la suivre, pour prendre un nouveau départ. Il a refusé.

iv_ Après le départ de sa mère, il n'y avait plus personne pour lui mettre des barrières. Ils ont gardé contact mais distance oblige, elle n'a plus jamais eu le même impact dans sa vie – et son père n'a jamais cherché à regagner son autorité. Pourtant c'est ce dont il avait besoin, ce qu'il cherchait sûrement en le provoquant encore et encore, sans jamais en tirer quoi que ce soit. Il a tout fait pour renouer avec lui, mais n'y est jamais arrivé. Aujourd'hui ça reste compliqué entre eux, teinté d'un froid que Dom vit mal, d'un silence qu'il ne peut pas s'empêcher de combler constamment. Il lui rend visite de façon régulière, s'assure que tout va bien, prend soin de lui comme il peut. C'est bancal mais il fait de son mieux ; de la même façon qu'il tente de rester proche de sa mère, sans être assez assidu pour que ça soit convaincant. Il se rabat parfois sur le reste, les oncles tantes et cousins, les grands-parents rescapés. Les Riggs ne sont pas fusionnels mais l'esprit de famille est là, et Dom se tourne parfois vers eux pour se ressourcer. Les grandes réunions lui donnent l'impression de retrouver la place qu'il a perdue dans son propre foyer.

v_ Netty est une épine dans son pied, dans son cœur, qu'il n'a jamais réussi à enlever – faut dire qu'il a jamais vraiment essayé non plus. Il pensait pas qu'ils finiraient liés à vie. Déni de grossesse, ils ont eu la surprise un mois avant l'accouchement et il l'a baratinée pour la rassurer, mais n'a jamais eu les épaules pour assumer. Une fois qu'Iman, leur fille, est venue au monde, il a vite déraillé. Absent, fuyard, il ne l'aidait ni financièrement, ni humainement. Du haut de ses dix-huit ans, il préférait s'amuser et quand elle l'a confronté, il a tout bonnement déserté. Toujours dans la même ville, jamais vraiment loin, mais jamais à leurs côtés. Jusqu'à disparaître complètement quand il a fini en taule. Ce n'est qu'après sa sortie qu'il a décidé de revenir vers elles, parce qu'une petite fille lui paraissait plus gérable qu'un bébé dont il ne savait pas quoi faire. Il a ramé un moment avant de regagner la confiance de Netty, usant et abusant de son baratin, ses excuses à deux balles et ses sourires de gamin. Il a réussi à nouer un lien privilégié avec Iman, parce qu'il ne lui pose aucune limite et ne l'engueule jamais sur rien – forcément, elle le voit comme son héros. Le problème c'est qu'il fait n'importe quoi et qu'elle est plus responsable que lui, à seulement dix ans. Il la met trop souvent en danger sans vraiment s'en rendre compte, agit comme si elle avait la maturité d'une adulte et lui fait une confiance aveugle. Tout ce qui se passe lorsqu'elle est chez lui reste entre eux, c'est un accord tacite qu'ils ont adopté et même si Netty sait qu'il n'a rien du père exemplaire, elle n'imagine pas jusqu'où peuvent aller les débordements. De toute façon il ne respecte aucune de ses directives, pas même le planning qu'elle cherche à lui imposer. S'il n'a pas envie de prendre Iman alors que c'est ce qui était convenu, il fait le mort. Et à l'inverse, il n'hésite pas à aller la récupérer quand ça lui chante, sans prendre la peine de prévenir Netty. Alors souvent elle gueule, lui aussi, puis il joue l'innocent et lui fait du charme jusqu'à l'attendrir, et ça recommence. C'est un cercle vicieux dont ils sont incapables de se sortir. Ils gardent une proximité malsaine, tournent en rond, prisonniers de sentiments qui ne veulent pas s'effacer.

vi_ Pincé pour vol de voiture, conduite sans permis, sous l'emprise d'alcool et de cannabis, dont une quantité trouvée dans la caisse. À cause de ses antécédents trop lourds, ça lui a valu une condamnation de cinq ans fermes et il n'est pas tombé seul, a entraîné son acolyte de toujours avec lui. Il se doutait qu'il finirait par faire de la taule mais il pensait que ce serait pour quelque chose d'un peu plus glorieux, qui lui donnerait de quoi se vanter. Une fois derrière les barreaux, il a vite déchanté. La fosse aux lions est sans pitié, mais il a appris à s'y adapter et naviguer entre les requins sans trop d'encombres. Sorti un an plus tôt pour bonne conduite, ça ne l'a pas calmé, mais ça l'a poussé à mieux surveiller ses arrières. Il reste toujours aussi instable, n'a pas de chez lui et squatte partout où il le peut. Il alterne entre les différents proches qui acceptent de l'héberger – quand il ne leur force pas simplement la main en s'imposant. Il n'est qu'un parasite, profite de la générosité des autres jusqu'à en abuser, et joue la victime quand on essaie de le foutre dehors. Une fois qu'il a tissé sa toile, c'est foutu.

vii_ C'est en apercevant un foodtruck à la casse que l'idée a germé – ça lui a semblé être la parfaite couverture pour dealer. Il l'a récupéré, l'a retapé avec un peu d'aide et son affaire s'est mise à tourner. Sa clientèle est plutôt paisible, qu'il s'agisse des mangeurs de frites, des fumeurs de weed, ou d'un mélange des deux. Il ne cherche pas à vendre autre chose que de l'herbe, parce que c'est plus simple et qu'il peut tout gérer lui-même. Il la cultive dans la cave de son père, plus ou moins à son insu ; il est quasiment sûr qu'il s'en est rendu compte mais ils n'en ont jamais parlé. Le plus souvent, on peut le trouver dans la deadzone. Il a tendance à éviter d'amener son camion dans North End et Mexicantown à cause des gangs, mais il n'a jamais su se tenir bien longtemps. Il aime trop mordre les limites, venir se loger à l'orée des quartiers interdits sans y entrer, comme s'il les narguait. Pour l'instant il n'attire pas vraiment l'attention, parce que son business se fait à petite échelle et de façon ambulante. Mais avec sa folie des grandeurs, ça ne durera probablement pas.

viii_ Tout a commencé en maison de correction, quand lui et son meilleur ami se retrouvaient casés ensemble, quand les règles étaient trop strictes et le temps trop long. L'un était bon en rap et en improvisation, l'autre n'avait que la fibre du social et le sens du spectacle. C'est donc Dom qui a lancé la machine, en jetant son acolyte dans des clash qu'il n'avait pas demandés, en transformant ça en événement à ne pas rater. Il a continué de le faire à l'extérieur, puis a réadapté le fonctionnement quand ils se sont retrouvés en taule. C'est une fois dehors qu'est née la Reptilianz Inc. Ils ont réaménagé un bâtiment abandonné de Delray, pour y organiser des soirées toutes les semaines. Les rap battles se sont améliorées au fil du temps et des participants, et aujourd'hui leur réputation leur permet d'amener un bon public. Dom joue l'animateur et l'agent de communication sur les réseaux, il y met du temps et de l'énergie, parce qu'il y croit. Parce qu'il voit grand.

ix_ Abonné aux histoires compliquées et aux filles bien souvent caractérielles, il a l'habitude des crises et des grands éclats. Pourtant, sa dernière histoire en date a surpassé toutes les autres. Quelques mois ont suffi pour que lui et Colette s'attachent et puis s'arrachent, entre hurlements et fou rires, pulsions meurtrières et jeux d'enfants. C'était fort, peut-être même trop, parce que Coco est folle. Sûrement pour ça que Dom lui est tombé dans les bras ; sûrement pour la même raison qu'il s'en est échappé. Il l'a trompée, elle l'a surpris en plein acte, un grand classique. Mais elle a complètement disjoncté. Une paire de ciseaux plantée dans le torse, un poumon perforé et un passage aux urgences plus tard, il a obtenu un ordre de restriction contre elle. Le problème c'est qu'elle ne le respecte absolument pas, et qu'il la laisse faire. Elle le suit et le harcèle souvent, lui pourrit la vie, cherche à lui nuire autant qu'à le récupérer. Il ne prend pas la situation au sérieux, s'amuse des plans qu'elle met en place et ignore les conseils de ses proches. Dans le fond, il n'a pas vraiment envie qu'elle s'en aille – même si elle le fait parfois flipper.

x_ Aimant à emmerdes un peu malgré lui, il ne cherche jamais les problèmes de manière frontale. C'est son comportement général qui finit toujours par lui attirer les foudres des mauvaises personnes, sans que ça soit vraiment volontaire. Il a un don pour se fourrer dans des situations pas possibles, et quand il finit la gueule cassée il comprend pas, jure qu'il n'y est pour rien – et le pire c'est que souvent, il se pense sincèrement innocent. Même s'il aime jouer avec le feu, il est loin d'être kamikaze. Son côté merdeux n'a pas disparu malgré les années et lui joue des tours, quand ce n'est pas lui qui provoque le destin. C'est sûrement pour ça qu'il s'entend si bien avec les générations qui suivent la sienne. Il a tendance à traîner avec beaucoup d'ados et jeunes adultes, assez immature pour être sur la même longueur d'ondes qu'eux. Et surtout il aime jouer le rôle du grand frère, du modèle, de celui dont il faut écouter les conseils alors qu'il foire tout ce qu'il entreprend. À bientôt trente ans, il se comporte toujours comme un sale gosse. Faut croire qu'il grandira jamais.