initiation. (gigi)

J'émerge lentement, un peu ensuqué. Je me tourne dans mon lit, prêt à m'étaler pour prendre toute la place, sauf qu'au lieu de ça je me pète la gueule par terre. J'étouffe un râle d'étonnement et me redresse à moitié, perplexe. C'est seulement là que je réalise que je n'étais absolument pas dans mon lit, mais simplement dans le canapé du salon. Je plisse le front et grogne un peu, sonné par ma chute et par ce réveil quelque peu abrupte. Je me redresse tant bien que mal, soufflant par le nez. La pièce est plongée dans l'obscurité, seule la lumière de la télévision qui tourne en fond l'éclaire. Le salon est vide. Je me frotte le visage, m'étire, baille avant de chercher mon téléphone. Pas dans les poches, pas par terre, pas sur la table basse. Je peste, grommèle, et je le retrouve finalement entre deux coussins du canapé. Les yeux un peu bouffis, je viens les frotter d'une main tandis que je regarde l'heure sur mon écran. 23h47. J'ai dû sombrer dans l'après-midi après la courte nuit que j'avais passé. Sauf que maintenant que j'ai dormi plusieurs heures, impensable de retourner dormir. Je quitte le salon, laissant la télé allumée - elle l'est tout le temps de toute façon - et grimpe à l'étage. Y a de la lumière dans la chambre de Macha, mais vu ce que j'entends à l'intérieur elle est déjà occupée avec quelqu'un. Je tente la chambre de May, personne. Je vais dans celle de Sam et je le retrouve à comater, complètement défoncé. Je baisse la tête, une main appuyée contre le chambranle de la porte, un peu dépité. Pourquoi y a jamais personne de disponible quand j'en ai besoin. Je referme la porte en la claquant, histoire de bien lui montrer mon mécontentement - sauf qu'il ne capte rien, évidemment, il est défoncé.

Tout en redescendant les escaliers je tente d'appeler May. Messagerie. J'vais la tuer. Cette meuf est insupportable. Je gonfle mes joues et soupire bruyamment, excédé. Une fois en bas des escaliers je m'arrête, cherchant une solution de secours. Un léger sourire étire mes lèvres alors qu'une idée me monte à la tête. Gigi, évidemment. A priori avec elle, à cette heure-ci en pleine semaine, y a quand même de fortes chances qu'elle soit chez elle. Je sors en trombe de la maison après avoir récupéré les clés qui trainent sur le meuble de l'entrée. A force qu'on change de voitures je ne sais plus lesquelles sont à nous. Je tente quelques voitures qui errent dans le coin avant de trouver la bonne. Je m'engouffre dedans et démarre rapidement avant de foncer en direction de sa baraque. On est jeudi, y aura un truc au Bloc et je crois que je ne l'ai encore jamais emmenée là-bas. Ce sera l'occasion de l'initier aux plaisirs des rave party.

Je pile en bas de chez elle, enclenche le frein à main et sors de la voiture en la laissant en route - et en double file. Le hic, c'est qu'elle vit chez ses grand-parents, si je viens sonner à la porte ça va les réveiller aussi et ils vont nous prendre la tête. Je tente de l'appeler mais elle ne répond pas. Je fais le tour jusqu'à arriver en-dessous de sa fenêtre. J'hésite à gueuler, avant de me dire que je vais juste rameuter tout le quartier. Bon. Je regarde autour de moi et attrape le premier truc qui me tombe sous la main. Je ne fais pas trop gaffe à ce que c'est, une pierre ou un nain de jardin peut-être. Pas le temps de m'attarder dessus, je prends déjà mon élan avant d'envoyer le truc sur sa fenêtre. Ça fait un gros bruit et je crois que, potentiellement, je viens de fissurer sa vitre. Mais ça n'a pas cassé, c'est le principal. Je recule avant de me prendre mon projectile sur la gueule et j'attends. Ma patience se limitant à trois secondes, je m'énerve déjà. Je me mets à tourner sur place, à la recherche de mon projectile pour lui renvoyer - et tant pis si je pète la vitre cette fois-ci. Je ne le retrouve pas dans l'obscurité et ça m'agace. Par chance, une voix m'interpelle un peu plus haut. Je relève la tête, Gigi est là, penchée à sa fenêtre.

Je me détends aussitôt et retrouve le sourire. J'écarte les bras dans un signe accueillant et je lui lance. — Yo, Gigi ! J'étais à ça de grimper jusqu'à sa fenêtre. — Ramène ton cul, j't'emmène au Bloc ! Ce n'est pas une proposition, plus une obligation. Je n'ai jamais aimé qu'on me dise non de toute façon. Je joins le geste à la parole en faisant un mouvement de main pour l'inciter à se dépêcher de me rejoindre. Au même moment, j'aperçois une silhouette passer devant une fenêtre du bas. Je m'accroupis aussitôt en pestant. — Merde ! Je viens poser mon index sur ma bouche pour faire signe à Gigi d'être discrète. Je m'approche prudemment et viens jeter un coup d’œil furtif. L'un des vieux n'est pas couché et regarde la télévision. Je le vois attraper un truc dans la cuisine, une tasse je crois, avant de retourner se vautrer dans le canapé. Je me relève et me décale un peu pour ne pas être visible. Parlant bien plus bas, je fais signe à Gigi de descendre. — Dépêche ! Moi je n'ai pas eu besoin de monter jusqu'à sa fenêtre, mais quelque chose me dit qu'elle, elle va devoir en descendre. Je campe en bas, prêt à la réceptionner si ça tourne mal.

Elle sursaute.
Parce que y'a eu un bruit, elle est sûre. Elle a la tête dans l'cul parce qu'elle s'est couchée tôt. Y'avait rien à foutre d'autre de toute façon, alors autant pioncer plutôt que de regarder des vieux documentaires avec les ancêtres.

Elle se frotte fort les yeux pour mieux y voir, parce qu'elle est encore à moitié endormie. Y'a eu un impact quelque part, mais elle sait pas où. Premier réflexe, elle prend son portable. Un appel manqué de JJ. Ha putain. Ça l'a fait chier d'avoir loupé ça. Mais en voyant l'heure, finalement c'était y'a même pas deux minutes. Alors elle se lève, allume sa petite lampe de chevet en forme d'hérisson mignon. Y'a personne dans sa chambre. Mais la fenêtre est fissurée. Bordel. Elle se lève, ouvre la fenêtre en fronçant les sourcils et n'est pas franchement étonnée d'y trouver JJ. – Putain JJ, qu'est-ce' tu fous ? Elle crie pas mais chuchote fort. La gars il sourit, ouvre ses bras. — Yo, Gigi ! Et elle n'est plus en colère. Elle a envie de rire parce qu'il est con ce mec. Il se pointe chez elle, pète sa vitre sans aucun scrupule. — Ramène ton cul, j't'emmène au Bloc ! C'était clairement pas dans ses plans. Mais c'est ça qui lui plait avec ses nouvelles fréquentations, ils débarquent à l'improviste et la trainent dans des trucs louches. Ça fait des souvenirs.

Elle a pas le temps de répondre qu'elle voit que le gars s'accroupit. — Merde ! Elle se penche un peu plus, comprend que y'a de la vie en bas. Putain mais les vieux ne dorment pas à cette heure ? La gamine quitte la fenêtre sans répondre. Elle sait bien de toute façon que JJ ne lui laisse pas vraiment le choix. Alors elle se prépare, enfile un jean troué et un pull, attrape son sac à dos tout abîmé. — Dépêche ! Qu'il crache alors qu'elle arrive à la fenêtre. Elle lui fait un beau doigt d'honneur en fronçant les sourcils. – Ouais bah trois secondes, j'arrive !

Elle balance son sac à dos à travers la fenêtre, il atterri aux pieds de JJ. Puis elle se faufile hors de sa chambre, pose ses pieds sur le rebord et attrape la gouttière. Elle sait y faire maintenant, pour s'échapper de sa prison d'argent. Alors elle glisse, se rape les mains mais elle s'en fou.

En trois pas, elle se retrouve devant JJ et récupère son sac à dos, sourire aux lèvres. – C'est quoi l'Bloc ? Elle connait pas, se dit que c'est un repère de toxico, de gens malfamés. Elle veut voir, découvrir. Puis elle est avec JJ. Elle l'aime beaucoup ce gars, parce qu'il est con, qu'il est aussi souvent en colère, comme elle. Alors elle s'identifie à lui, cherche son soutient et son appartenance. Parce qu'elle est comme ça Gigi, elle a besoin de se sentir aimer par les mauvaises personnes.

Elle a besoin de trouver une famille, tout simplement.

Je la presse un peu, elle me balance son majeur et je ricane. — Ouais bah trois secondes, j'arrive ! Je jette mes mains en l'air dans un mouvement impatient, j'ai pas trois secondes. Je vois une masse noire passer par sa fenêtre et tomber dans ma direction, par réflexe je recule interloqué. Le bruit de l'impact est étouffé, ce n'est rien d'autre que son sac. J'espère qu'elle n'avait rien mis de fragile dedans et qu'elle n'espérait pas que je le réceptionne. Parce que c'est raté du coup. Je relève la tête, plisse les yeux et l'observe s'élancer dans une descente périlleuse. Je ne m'inquiète pas particulièrement pour autant, à peine conscient du danger. La partie elle pourrait tomber et se tuer - ou au moins se blesser gravement - m'échappe totalement. Je m'impatiente un peu en bas, continue de gesticuler pour l'inciter à aller plus vite. Elle finit par atterrir, toute souriante et ramasse son sac, le jette sur son dos et pose son attention sur moi. — C'est quoi l'Bloc ? Mon visage qui s'illumine alors que je passe mon bras autour de ses épaules et me met en marche pour l'inviter à faire de même, direction la voiture. — L'meilleur endroit pour faire la fête en ville, tu vas a-do-rer ! Je ne vois pas comment ça ne pourrait pas être le cas, cette possibilité ne m'effleure même pas l'esprit. Je me garde de lui préciser à quel point l'endroit peut être craignos et pas adapté à une gamine de son âge, ce sera la surprise. Une bonne surprise, j'en suis convaincu.

Je la relâche quand on arrive à la voiture et on grimpe dedans. Je prends le temps de m'allumer une clope, je lui en refile une et lui tend l'allume cigare - j'ai encore paumé mon briquet - pour qu'elle puisse se l'allumer. Je ne me souviens pas de si elle fume ou non, je n'ai jamais trop fait attention, mais dans mon entourage tout le monde fume je crois et ça ne me traverse pas l'esprit que ça puisse ne pas être son cas. — C'pas censé être les soirées étudiantes ou j'sais pas quoi l'jeudi ? Comment ça s'fait que tu pionçais si tôt ? L'école tout ça, c'est tellement loin pour moi que je n'y connais plus grand chose. Je ne réalise pas vraiment qu'elle n'a que 15 ans et qu'au lycée, il n'y a pas de soirée étudiante. Faut dire que je suis tellement habitué à croiser des gens jeunes au Bloc que ça m'étonne presque qu'elle n'y soit jamais allée. Elle ne fréquente peut-être pas ce genre de jeunes. Ce sera l'occasion pour elle d'y remédier, de faire de nouvelles rencontres - bien plus intéressantes que les potes qu'elle a l'air d'avoir pour le moment.

Je nous met dans l'ambiance en poussant la musique à fond dans ma vieille bagnole. Une sorte d'épave qu'on a récupéré dans le hangar que Daire squattait pour faire ses petits trafics. L'important, c'est qu'elle roule, je n'ai jamais eu d'autres exigences. Et de toute façon, vu ce que je fais subir à toutes mes caisses, vaut mieux qu'elles ne valent rien. Véritable danger public de la route, je ne respecte rien - probablement lié au fait aussi que je n'ai ni mon permis ni même mon code -, conduis ivre la moitié du temps défonce les pare-choc en me garant toujours à moitié sur les trottoirs. Et ce soir ne fait pas exception, emporté par la musique, mes mains lâchent le volant sans arrêt, la voiture fait des écarts, se retrouve sur la voie d'en face et je redresse le volant toujours au dernier mouvement dans un mouvement sec, la voiture qui zigzag, frôle celles garées le long des trottoirs. Mais on arrive à destination sans casse, et sans avoir croisé de flics - ce qui est préférable au vu du couvre feu imposé dans toute la ville.

La soirée au Bloc se fait dans la plus totale illégalité et ça ne fait que rendre tout ça encore plus palpitant. Je me gare de travers et coupe la musique, on sort, je suis survolté, impatient d'aller me jeter dans la foule enragée qui vient perdre la raison pour une nuit. De l'extérieur, on entend le son des basses étouffées et je me frotte les mains. — Laisse ton sac dans la bagnole, tu vas t'le faire voler là-bas. Ou elle finira par le perdre quelque part. Puis je lui fais signe de me suivre et on s'engouffre dans l'endroit.

L'air est saturé, chargé d'une ébauche peu conventionnelle. La musique est puissante, à vous en arracher les tympans et les corps déjà défoncés s'excitent dans tous les sens. C'est un bordel ambiant sans nom, les dégaines des gens sont douteuses et je me sens dans mon élément. Gigi elle, fait un peu plus tâche dans le décor. On va y remédier. Je repasse mon bras autour de ses épaules histoire qu'on ne se perde pas dans la cohue et je me penche à son oreille. — On va t'trouver un truc à boire. Je me dirige vers la zone où les boissons sont distribuées, mais comme toujours, je n'ai pas un rond sur moi. J'inspecte les lieux, vérifie les verres qui trainent, tout est vide. Ok, plan B. Je repère une gonzesse qui danse un verre plein à la main, elle est avec deux copines. Je m'approche, lui arrache des mains en gueulant un merci chargé d'insolence. Elle beugle, fonce vers moi et je l'arrête en écrasant ma main en plein milieu de son visage. Je la repousse violemment en arrière, déjà bourrée, elle titube et s'écroule dans les bras de ses amies qui ne sont pas dans un meilleur état qu'elle. J'en profite pour m'éloigner, remets mon bras autour de Gigi et je lui tends le verre, grand sourire sur les lèvres. — Et voilà, madame est servie ! Aucune idée de ce qu'il y a dedans. Que ce soit au niveau de l'alcool ou de toute autre substance. C'est chose courante ici, les drogues glissées dans les verre à l'insu - ou non - de leurs propriétaires.