anton / if i ever get redemption it will be inside the grave

01_ Les Böhm, c'est une histoire de gars, un truc de bonhomme. Anomalie génétique ou hasard total, la plupart des gamins qui viennent au monde dans cette famille sont des garçons. Il y a le daron et trois oncles, il y a Anton et ses trois frères, il y a les cousins trop nombreux pour être tous listés. Dans les quinze dernières années, il n'est venue qu'une seule fille, la seule cousine, un peu forcée de s'adapter dans ce bordel machiste et patriarcal. Il y a pourtant des femmes dans la famille. Copines, conjointes, elles sont là et elles se serrent les coudes. On dirait qu'elles n'ont pas voix au chapitre pourtant il faudrait être con pour ne pas réaliser que la daronne d'Anton contrôle savamment son petit monde. De toute façon, tu ne peux pas être un paillasson et survivre à de tels bourrins. Faut du caractère, de la hargne, faut savoir gérer cette troupe d'idiots hyperactifs, ce mari véhément, cette énergie turbulente.

02_ Elles ont beau vouloir inculquer des valeurs, les daronnes Böhm n'y peuvent pas grand chose et les gamins deviennent des saletés à l'adolescence. Ils y passent tous, ou presque, c'est un rite, une tradition, un truc formateur vers l'âge adulte. Sans exception, ils traitent mal les filles, les font pleurer, les font criser, brise des coeurs pour s'amuser. En général, ça passe assez vite, il suffit d'en trouver une capable de tenir la distance, de renvoyer les coups bas. Seulement voilà, Anton est récalcitrant, difficile à cerner, difficile à canaliser. Là où ses frères avaient arrêté les conneries de ce genre depuis belles lurettes, lui ne semble pas ralentir, trop occupé à jouer les fuckboy pour se soucier d'un truc sérieux, stable et durable.

03_ Le daron picole beaucoup trop, ça le rend agressif, ça le rend insupportable. C'était inévitable que sur les quatre, il y en ait au moins un qui se retrouve avec les mêmes tares que lui. Evidemment, c'est tombé sur le petit dernier. Anton ne sait pas boire. Enfin si, il sait très bien le faire. Trop bien. Il ne sait pas s'arrêter. Et quand il boit, l'alcool l'empoisonne jusqu'à le rentre absolument infecte. Il black out trop tôt, fait des conneries, fait du mal aux gens... Contrairement au père pourtant, il sait qu'il a un problème avec ça. Il le sait même depuis longtemps. Quand il avait dix-sept ans, il s'est réveillé dans un plumard qui n'était pas le sien à côté d'une fille qu'il ne connaissait pas. La meuf était en train de pleurer, recroquevillée sur elle-même, les bras autour des genoux et quand il a voulu approcher pour savoir ce qui n'allait pas, elle lui a envoyé un coup de pied dans la gueule, entre horreur et terreur. A ce jour, il ne sait pas exactement ce qu'il a fait, aucun souvenir, aucune façon de s'en rappeler. Il se revoit juste en train de chopper ses affaires et de se barrer, vite, le nez en sang, les sourcils froncés.

04_ Les bagnoles, ça a toujours été la véritable histoire d'amour des Böhm. Le daron bossait dans une usine automobile avant de perdre son taf dans une énième crise économique et après un moment de galère profonde, il a ouvert un petit garage, embauchant d'abord ses frangins puis faisant bosser, au fur et à mesure, ses gosses. L'entreprise s'est développée, depuis. Maintenant, il y a un vrai garage, des clients, du taff, de quoi s'occuper toute la journée. Bercé dans ce monde, Anton n'a pas voulu le quitter, faut dire qu'il a grandi en faisant du skate entre les tâches d'huile de moteur et les mécaniques éventrées.

05_ L'affiliation aux Juggalos des Böhm n'est même pas suggérées, le daron est impliqué depuis bien trop longtemps pour que le doute plane encore. C'est pas qu'ils sont racistes, c'est juste qu'ils sont persuadés de valoir plus que les minorités. Make America Great Again et tout ce bordel. Suprémacistes convaincu, ils hurlent contre le grand remplacement, les privilèges accordés aux minorités, les putains de gays qui peuvent maintenant se marier, les mexicains qui viennent prendre le boulot d'américains pur-souche. Et comme personne ne voit la vérité, comme personne ne fait rien, ils se mobilisent pour sauver le pays, eux. Ouais, de vrais héros des temps modernes, avec toute l'imagerie douteuse et tous les discours haineux.

06_ Quand le daron a commencé à lâcher du leste, à s'éloigner de son garage pour picoler toute la journée, à perdre un peu la tête, ce n'est pas l'ainé qui a pris les devants. Non, les initiatives sont venues de Anton, c'est lui qui a décidé de faire du garage une devanture pour des petits trafics qui peu à peu, prennent de l'envergure. Le jeune mécanicien abonné à la petite délinquance a trouvé comment lier les deux mondes, comment joindre ses deux talents. Ils volent des bagnoles, peu importe les moyens, peu importe les dégâts et dommages collatéraux et puis dans le garage, loin des regards trop curieux, lui et ses frères se débrouillent pour qu'on ne les reconnaisse plus, histoire de pouvoir les revendre tranquillement, sans pression. C'est facile quand on a un peintre en carrosserie, quand on peut fabriquer de nouvelles plaques, quand un des bro joue même les faussaires et s'est reconverti, lâchant les fake IDs et se mettant aux faux papiers pour les voitures qu'ils tirent.

07_ Faut dire que depuis depuis qu'il est gamin, Anton, il n'arrête pas les conneries, les plans à la con, les trucs pas très nets. Seulement voilà, la différence entre lui et tous les merdeux du coin qui finissent en taule, c'est qu'il n'est pas assez con pour se faire chopper. Plutôt du genre à faire tomber les autres dans ses magouilles. Il se retrouve leader, pas malgré lui ceci dit. Petit dernier qui se venge, il aime bien avoir de l'influence. Pousser les gens à faire de la merde, jeter les plus faibles en pâture. C'est bâtard mais tant pis, loi du plus fort, du plus apte, il n'invente rien. Contrairement à ses frères, il n'a encore jamais été arrêté, ce qui lui confère beaucoup trop d'assurance et confiance en lui. Courses clandestines, petits cambriolages, tout est bon pour s'occuper quand on se retrouve désoeuvré dans un quartier de merde où il n'y a que les pires qui s'en sortent.

08_ Reste un dernier aspect d'Anton qui ne voit pas souvent le soleil. Non, on ne parle pas son attirance alcoolisée pour certains gars, ça c'est privé, ça ne sortira jamais, il refuse. Non, faut plus se concentrer sur sa créativité, qui ne se limite pas aux entourloupes et plans foireux. Anton écrit. Pas des romans, hein, non, c'est pas son genre. Il écrit des textes, bercé dans le rap 2.0, celui où les petits blancs se font une place, celui de Soundcloud et des tatouages sur la gueule. Il a pas l'intention d'essayer de percer, parce qu'il refuse de partager tout ça, parce qu'il n'a pas non plus envie de se faire tabasser par la mifa qui ne comprendrait pas, parce que c'est à la fois trop urbain (lire trop black) et trop fragile (lire trop gay) pour ce clan de bourrus élevés au hardrock. C'est son jardin secret, une échappatoire quand la violence n'est pas assez pour se vider la tête.