don't think twice (samih)

Je le sens quand le manque commence à le tirailler. Le manque surgit de plus en plus tôt, de plus en plus vite. Sam il gère que dalle. Il se ment à lui-même. C’est pas une nouveauté. Ça lui occupe l’esprit, ça prend tellement de place dans sa tête qu’il s’occupe même plus de moi. Il s’agite, il compte ses médocs, il pèse sa poudre, il range ses seringues, enfermé dans sa chambre, avec des coups d’œil incessants vers la porte. Putain d’parano. Et quand j’vois tout son attirail, étalé devant nous, ça me serre le bide. Je sais comment ça se passe. Quand il s’assomme, moi je coule. Muselé, étouffé. J’sombre dans un genre de néant. Je déteste quand il prend quoi que ce soit. Je le déteste, des fois. Mais ses faiblesses créent des fissures. Il remarque rien, il n’y fait même plus gaffe. À mes spasmes soudains, à mes coups d’sang. Des microgestes, en permanence, pour manifester mon mécontentement. Et puis des fois, on fait juste deux choses à la fois. Comme là, il se retourne vers la porte, et j’attrape ses médocs, une grande poignée, et je geste ça à travers la pièce. Il sursaute quand les gélules éclatent sur le parquet. Quoi ? Putain ! Il se lève avec feignantise pour ramasser mes conneries, mais je shoot dedans avant qu’il ne puisse se baisser.

Breakdown. Il est plus là.
Je m’étire, soudain plus à l’aise. Je change de t-shirt, je déteste celui-ci. Torse-nu, je m’accroupis sur le sol et regarde tous les médocs. Je soupire un grand coup. Je me retourne, y a sa boite de métal, celle qui contient de l’héro. J’pourrais balancer ça ouais. Il en rachèterait dans la seconde. Ce connard est pas foutu de se trouver des amis, mais alors des dealers il en a toujours des dizaines dans son répertoire. On vient juste d’emménager ici, il connait déjà tout le réseau de drogues dures et opiacés. Putain d’abruti. J’attrape les médocs donc, et les fourre dans la poche de mon jean. Je sors de la chambre et regarde à droite et à gauche. Y a May qui passe, je lui offre un sourire pas vraiment sincère, elle fronce un peu les sourcils et passe son chemin, je trace jusqu’aux toilettes. Là je vide le contenu de mes poches et tire la chasse avec un petit sourire euphorique. Dans ta gueule, baltringue. Après ça le retourne tranquillement dans la chambre, attrape les clopes de Sam et en met une entre mes lèvres. Je me laisse tomber de toute ma hauteur sur le lit, rebondissant sur le matelas à ressors qui grince. J’allume la clope en attrapant son téléphone et je commence à supprimer quelques numéros. Dans ses messages, je tombe rapidement sur sa conversation la plus récente (ce mec n’a vraiment pas d’ami) avec, je cite “Brennyn (dealer)”  je lève les yeux au ciel. Il en connait beaucoup des Brennyn, lui ? J’ouvre la conversation. Putain ce con a passé commande récemment, et vu que j’ai vidé ses stocks, à tous les coups il va retourner la voir. En plus il préfère les dealer fille, j’le sais. En bon petit machiste, il se dit que contre une nana, il a plus de chance de s’en sortir si on lui fait un coup de pute. Pas très #MeToo ça, hein Samih ?

J’envoie un message en premier pour mettre un terme à leur belle relation, à Bren-truc et Sam. Je laisse tomber le téléphone sur la couverture avec le sentiment du travail accompli.

Sam ouvre les yeux, il est en travers du lit. Il se redresse d’un bon. Ses mains tremblent quand il ouvre la boite en métal. Il pousse un long soupir de soulagement quand il se rend compte que la poudre est encore à l’intérieur. Ouf. La seconde d’après il tourne la tête vers le coin de sa chambre, là où il a vu les médocs pour la dernière fois. Son coeur s’emballe, ils sont plus là. Il cherche trois minutes à peine avant d’abandonner, par flemme et aussi parce qu’il sait très bien ce qui s’est passé. Il se passe une main sur le front, et sent cette peur qui se répand comme un mauvais virus. Merde, merde, merde. Il va manquer. Il attrape son téléphone sans réfléchir, et envoie un message routinier à Brennyn, espérant qu’elle ne s’étonnera pas d’une nouvelle commande si rapide. Au pire, qu’est-ce que ça peut lui foutre ? Qu’il se rassure comme il peut. Et effectivement, Brennyn n’en a absolument rien à foutre. Le rendez-vous est rapidement pris pour plus tard dans la soirée. C’est à ce moment là que Sam se rend compte qu’il est torse-nu, il commence à avoir froid. Alors il reprend le t-shirt jeté un boule dans un coin et l’enfile à nouveau.

À dix heure trente, il s’éclipse et rejoint rapidement le spot idéal pour tous les deals de Detroit. L’Ambassador Bridge réunit les ratés de la ville. Sam est en avance, comme d’habitude. Il a la liasse de billets dans une main, enfouie dans la poche de sa veste à capuche, et il attend patiemment, plus ou moins patiemment. Les minutes semblent durer des siècles. Il regarde d’un côté et de l’autre. Et quand elle surgit derrière lui il sursaute et étouffe un Shit ! machinal en levant les yeux au ciel. Il lui fait un simple signe du menton pour la saluer. Yo. Désolé du retard. Qu’elle sort simplement. Et ça lui saute aux yeux. Elle est défoncée. Elle fumait. Il reconnait les symtômes de ma marijuana. Les yeux rouges, paupières tombantes, l’air vague, la tête lourde. Il inspire profondément. Elle aurait pu partager le joint avec lui. Quelle connasse qu’il se dit. Et à la place, il sort simplement : Ouais. pour signifier qu’il a bien remarqué son retard. Mais c’est ça le truc avec les dealers : on peut rien leur dire. Parce qu’ils seront toujours ne position de force. C’est toi qui a besoin d’eux, et pas l’inverse. Rien que ce type de relation ça suffit à l’énerver l’autre. Sam le sent sous sa peau. Bref, j’ai l’compte. Qu’il sort rapidement. Sam n’aime pas s’éterniser. Il est parano, même s’il l’est de moins en moins. Il veut que ça soit vite régler. Dope contre argent. Deux minutes. Alors il tend la liasse de billets qu’il gardait dans ses mains moites. Mais avant que Brennyn n’est plus la prendre…

Glitch.

Je jette d’un geste rageur les billets au loin, sur les bords du fleuve. Mon visage, notre visage, se transforme. L’air mauvais, les sourcils froncés. Je m’approche de Brennyn d’un air menaçant. J’vois pas pourquoi j’devrais subir ça. Sam a l’air de pensé que j’suis un genre de maladie qu’il a développé. Comme une tumeur. Que je ne suis qu’un symptome. C’est faux putain. Et ça semble naturel pour lui qu’il gère et que je me laisse faire, qu’il est le seul décisionnaire. C’est faux ! J’attrape le bras de Brennyn, je serre un peu trop fort. J’croyais que le message était passé, j’veux plus que tu me recontactes, et j’veux plus de ta merde ! Ecoute-moi, putain. Regarde-moi ! J’veux exister dans son regard, j’veux exister dans tous les regards, et que Sam arrête d’essayer de me faire disparaître.