LA MISÈRE EST SI BELLE.

カトラリー

01_ jude a neuf ans. il enterre un chat dans un coin du terrain vague. quand ils ont fourré l'animal dans son sac, il était déjà mort. comme ça tu dînes ce soir, qu'ils ont dit, condamnés depuis leur naissance par la misère du racisme étasunien, pourtant fiers de leur plaisanterie. lui n'a pas vraiment ri.

02_ jude a treize ans. la tâche de sang sur son pull ne veut pas partir. il ne s'est rien passé. il apprend tout juste à faire du vélo, il a trébuché. c'est _____ qui l'a repêché. un clochard que ses mamans ont décidé d'héberger. il lui a appris à compter, écrire, rouler, fumer, frapper, mentir, cacher. c'est un peu son père. pourquoi son nom ne veut-il pas lui revenir? il l'a oublié comme on oublie de se réveiller.

03_ jude trace des notes sur le coin d'une table de cours. il a composé une mélodie aux accents de violence. dans sa tête, les monstres de ses nuits blanches peuplent les volutes noires de sa frénésie musicale. il a mal à la tête mais il produit: euphorie.

04_ jude a seize ans. il tire sur un joint avec sa maman, il observe le papier peint du salon. il se détache paresseusement d'un mur qui pleure la misère. la misère est si belle. elle lui donne envie d'écrire un poème. mais il sait que les bouts de papier ne le feront pas manger, lui et sa famille d'anges inadaptés.

05_ jude a dix-sept ans. ses cheveux sont longs, ses ongles sont noirs, ses cils sont couverts de paillettes. il a ce sourire ravageur qui ravive la volonté de vivre chez les gens. si on prête attention à son visage, on remarque que ses paupières maquillées sont lourdes. elles portent le poids de l'univers et menacent de se fermer à tout moment.

06_ jude a dix-huit ans. ça me manquera de te faire l'amour, a -t-il entendu entre deux coups. la souffrance en bande sonore, il a souri : euphorie. rien ne pouvait lui faire plus plaisir. son extase est incomprise. le bleu et le violet sur son visage pâle choquent, une dent manquante et la dévotion au fond des yeux. tout est flou. il a l'impression d'avoir de la valeur.

07_ jude a vingt ans. il allume une bougie et prie, cigarette entre les lèvres. chrysanthèmes dans le creux de la main, autel aux dieux créateurs, il pense à les invoquer pour chasser les monstres de ses cauchemars éveillés. ses rendez-vous nocturnes avec morphée sont perturbés par les lampadaires qui s'allument dans son champ de vision. il discute avec ses mirages de névrosé.

jusqu'au dernier gramme 

08_ la feuille est si belle, plus j'écris plus j'salis,
fleur de décibels, ma rage les contamine.
jude s'endort sur la pierre tombale de son meilleur ami. la tristesse est trouble et le deuil artificiel. quand tu vis je vis, quand tu meurs je meurs, qu'il répétait. mensonges aux arômes adoucissants.

09_ jude a vingt-et-un-an. trop âgé pour redécouvrir le plaisir, trop jeune pour se reconnaître dans les miroirs. il connait son pouvoir : soleil de poche, il récupère les gens brisés mille lieux sous les mers. il fait si froid dans sa cage thoracique, peut-être bien que son cœur a arrêté de se nourrir. il dévore ceux des autres. arrière goût de culpabilité.

10_ jude a vingt-deux ans. il passe ses journées les volets fermés, jeux vidéos qui bousillent la rétine, pièce enfumée. il a trop d'amour à donner, trop envie de s'abîmer. sa tendresse est infinie, sa douceur douloureuse, son cerveau endormi, grignoté par les créatures.
ça va pas trop j'roule un tehr, trop d'haine pour neuf mètres carré.