charlie davies (( six feet under ))

01_ on ne règle pas ses problèmes avec ceux qui les ont crées. Son père ne lui porte guère d'estime ; parce qu'elle apprécie la compagnie de la gent féminine « tu me dégoûtes » et des personnes de couleur « tu fais honte à ta famille, tu les laisses rentrer dans ton corps et dans ton cœur, te souiller », parce qu'elle ne fait pas honneur à son autre famille, les juggalos mais surtout, parce qu'il la tient responsable du décès sa mère. C'est toujours le même refrain, il la déteste pour ça et en même temps, il ne peut s'empêcher de l'aimer, elle lui ressemble trop.
Et elle ne peut s'empêcher de l'aimer et de le détester aussi, parce qu'elle ne peut se détacher de son emprise, de lui trouver des excuses et de blâmer les autres pour leur relation merdique : l'alcool, les juggalos et les autres. Même s'il peut compter sur son gang, sa famille pour prendre soin de lui, les juggalos ne feront jamais dans le social. Et elle a trop bon cœur pour le laisser dépérir. Si seulement elle pouvait le faire quitter ce gang maudit, si seulement elle pouvait l'en extraire.

02_souvent, elle a l'impression qu'une fatalité étrange lui colle à la peau, comme si son passé et son avenir étaient déjà consignés quelque part dans un grand livre du destin. En amour comme en toutes choses, Charlie n'a jamais eu de chance. Elle n'avait pas assez d'argent pour aller à l'université, n'avait pas d'assez bons relevés de notes pour prétendre à une bourse. Si elle déteste tant son monde, il est celui dans lequel elle se sent le plus à l'aise. Au sein des juggalos, de la pauvreté et des revendications, même si elles lui sont propres et ne sont pas nécessairement partagées par son gang, elle ne se sent pas exclue, bien au contraire. Ainsi, même s'il lui arrive de rêver d'une vie meilleure, Charlie ne se fait pas de grandes illusions : sortir de la précarité étant déjà l'une des plus grandes batailles de ce monde.
Elle n'a pas eu plus de chance en amour et s'est souvent faite avoir. Plus jeune, elle a même essayé les hommes, tant elle voulait l'assentiment de son père, tant elle voulait être aimée. Charlie a longtemps fantasmé sur l'idée qu'on la sauverait, qu'on l'extirperait de cette vie merdique. En grandissant, ce sentiment s'est évanoui et a laissé place à la fatalité. Les rêves sont des chimères, et les chimères ont la fâcheuse tendance à ne se pas réaliser.

03_ lorsque c'est le destin qui frappe, nul mortel ne peut se libérer du malheur. Œil pour œil, dent pour dent. Ce mantra archaïque, barbare, l'a bercée depuis sa tendre enfance. Charlie a toujours évité de se mêler à la foule vindicative. Elle n'a que bien trop souvent vu les dérapages sanglants de son gang, les excès de violence des uns et des autres déchirer la ville et souvent, sa propre famille.

« Fais honneur à ta famille. C'est de la faute de ces négros si le monde part en vrille. » Charlie avait tenté de s'y soustraire une nouvelle fois, détournant la tête lorsque le jeune homme à la peau d'ébène, les yeux gonflés sous les hématomes, croisa son regard. Si le sang ne l'effrayait aucunement, le spectacle n'en était pas moins horrifiant. Charlie ne s'entendait plus penser et les brimades de son père et des autres, envers le jeune homme et elle-même lui donnaient le tournis. « Putain mais vasy ! » Hurla-t-il en poussant sa fille à imiter les autres, fourrant dans sa main un couteau bowie usé. Charlie protesta et se sentit soudainement acculée de toute part. Parce qu'elle ne souhaitait pas s'adonner à ce rituel qu'elle jugeait primitif, la jeune femme fut bousculée, malmenée. Pour son père, il en allait de l'honneur des siens, du sens du devoir. Si le jeune homme avait massacré l'un des leurs, il devait être massacré à son tour, en famille. Charlie songea un instant à prendre ses jambes à son cou mais comprit à cet instant que si elle refusait une énième fois de soutenir son clan dans ses actions, elle ne pourrait plus jamais revenir, au moins aux yeux de son père. Et si elle ne pouvait plus revenir, elle ne pourrait plus jamais revoir Tonya, sa sœur cadette. Aussi, enivrée par les cris et l'adrénaline, ainsi qu'un sentiment de toute puissance face à un homme ligoté et à moitié inconscient, Charlie céda aux pressions du groupe et enfonça la lame dans l'abdomen du jeune homme. « Ça, c'est ma fille ! » S'apprêtant à gratifier sa fille d'une tape sur l'épaule, Charlie se sentit rentrer en transe. Et elle donna un deuxième et un troisième coup de couteau au jeune homme avant de lacérer son visage en hurlant, les larmes perlant sur son visage juvénile. « Tu as ça dans le sang. Tu ne peux lutter contre ta nature profonde. » Charlie lâcha brusquement le couteau qui retomba contre le sol. Elle n'était pas comme son père, comme eux. Charlie eut l'impression de recevoir elle aussi un coup de poignard. Elle avait ça dans le sang. Et elle se détesta pour ça.

04_ la résilience, c'est de ne pas laisser les combats de la vie te détruire. Son père lui a cassé les dents quand il l'a surprise dans le lit avec une femme. Ce souvenir reste ancré en elle jusque dans ses veines. Tout d'abord, parce qu'il n'y a rien de plus humiliant que d'être battue lorsque l'on est nu, en position de faiblesse et parce qu'elle n'a pas pu sourire à nouveau avant qu'elle ne se fasse remplacer les dents manquantes, soit deux années plus tard, avec les économies de toute une vie et avec l'aide de sa précieuse Mhaimeo qui a vendu tout ce qu'elle possédait pour voir son unique petite fille sourire à nouveau.

05_ la vie est une ivresse continuelle : le plaisir passe, le mal de tête reste. Charlie loue un appartement minuscule dans Krainz Woods, non loin de celui de son père, à peine quelques blocs plus loin. Elle a pris son indépendance malgré elle lorsqu'il l'a mis dehors après une énième dispute sous l'emprise de l'alcool, il y a deux ans. Depuis ce jour, bien qu'elle continue de s'assurer que sa sœur puisse s'alimenter correctement, Charlie a commencé à manger à sa faim - même si elle ne vit pas dans l’opulence, son père n'ayant plus la possibilité de voler dans son porte-monnaie.

06_ la vie est un escalier, les uns montent au paradis, les autres descendent aux enfers. Charlie a une sœur cadette, Tonya, âgée de huit ans. Si Mhaimeo ne souhaite pas la considérer comme un membre de la famille, prétextant ne pas partager les liens du sang avec elle, cela ne fait aucune différence pour Charlie. Qu'elles soient demi-sœurs, ou demi-rien du tout, Tonya est son rayon de soleil. Dans son malheur ; avoir été abandonnée par sa mère, avoir lutté pour survivre tant les vivres manquaient à certaines périodes, Tonya n'a jamais manqué d'amour. Entourée par un père et une sœur aimante, elle n'a pas eu à souffrir de violences. Son père n'a jamais levé la main sur elle, Charlie s'en est toujours assurée. Ce qu'elle ne peut contrôler en revanche, c'est la vie au sein d'un gang sanguinaire, auprès d'un père alcoolique. Charlie a longtemps pensé à céder la chambre de son appartement à sa sœur, quitte à dormir sur le canapé pour le restant de ses jours. Elle a abandonné cette idée en se rendant à l'évidence, si elle pouvait à peine payer son loyer, elle ne pourrait se permettre d’élever un enfant. Dans la mesure ou leur père semblait vouer une sincère affection à sa sœur cadette, il lui sembla que la meilleure solution, s'entend, dans l'intérêt de Tonya, était de la laisser à leur père. Son objectif à long terme est simple : pouvoir offrir à Tonya, un jour, la vie qu'elle n'a jamais eu.

07_ mieux vaut prendre le changement par la main que de le laisser nous prendre par la gorge. Après une longue série d'échecs professionnels, Charlie est aujourd'hui fleuriste à mi-temps, faute d'avoir un poste à temps complet. Si elle condamne les juggalos pour ce qu'ils représentent et véhiculent, elle ne peut que reconnaître les avantages de faire parti d'une telle communauté. Aussi, elle accepte des missions proposées par son gang, frôlant avec l'illégalité quand elle ne sombre pas totalement dedans, afin de combler ses maigres revenus. Finir sa vie en prison ne l'effraie pas plus que ça, au moins, elle aura un toit et un repas chaud tous les jours.