Kassidy Lee- Whisper in my ear -
| Sujet: half sick of shadows ; jake Mer 1 Avr - 15:42 | |
| L’agneau blanc se fond dans un troupeau noir, insolite, la bouche béante sur un bêlement. Kassidy n’a pas l’habitude de quitter sa banquise, son Detroit monochrome, uniforme, nivéen. Elle arpente ce quartier inconnu d’un petit pas pressé, les épaules rentrées, les yeux dardés sur la nouveauté.
L’agneau blanc s’éloigne peu à peu du troupeau noir, remonte le courant de la rivière. Elle cherche le meilleur endroit pour s’abreuver, quitte à tomber sur le loup.
L’eau dont elle veut s’enivrer sourde à quelques encablures de rue. Elle a entendu parler de cette source miraculeuse alors qu’elle errait entre les bocaux de Shadewood Manor, l’oreille traînante. Deux bouches évoquaient la magie, les séances, avec une fascination teintée d’appréhension. Les raconteuses étaient penchées l’une vers l’autre, yeux dans les yeux. C’est la meilleure position pour échanger des ragots - la rumeur tombe d’une bouche dans l’autre, bascule de pupille en pupille. Kassidy connaît bien les colportages. Sa grand-mère en buvait tous les mardis après-midi en même temps que son thé, deux sucres, deux amies qui s’épanchent sur le monde dans leur salon. Et elle, elle se tenait dans l’entrebâillement de la porte, recueillait les péripéties de son voisinage, les mettaient en scène avec ses poupées.
Alors elle a tout bu. Toutes les informations qui ont trébuché jusqu’à elle, à moitié assourdies par la confidence. Et elle s’est enthousiasmée. Parce que Shadewood Manor est son petit paradis, mais qu’elle cherche toujours une déesse à vénérer, une sainte à laquelle se vouer, une vraie sorcière - Tituba, Elphaba, Baba Yaga.
L’immeuble devant lequel elle s’arrête ne tient pas sur des pattes de poulet. Il se confond dans son univers déchu, un délabrement collé aux autres, comme si deux briques effritées allaient mieux tenir en se côtoyant.
Kassidy n’hésite pas. Elle pénètre dans l’immeuble, arpente les couloirs. Lorsqu’elle tombe sur la porte qui l’intéresse avec la sensation de rencontrer le destin, l’agneau se mue en bélier. Elle frappe, frappe, frappe contre la paroi, avec une insistance qui trahit une excitation grandissante. Son pouls jaillit, ses pupilles se dilatent. Fascination et crainte cisaillent le noeud coulant que forme ses tripes. Et si la sorcière n’était qu’une décoration d’Halloween ? Et si elle la regardait avec dédain, avant de la renvoyer dans son quartier, entre ses immeubles blancs, pour lui signifier qu’elles n’ont rien en commun ?
La porte s’ouvre. Kassidy ressemble à une poule qui va becqueter un asticot.
« Bonjour ! Vous êtes la sorcière ? J’ai tellement de questions ! Je peux entrer ? Oh, ça a l’air si beau, chez vous ? C’est quoi, ça ? »
Mais elle est peut-être la vermine sur laquelle elle lorgne. Elle se précipite dans l’appartement comme si elle craignait que la porte ne se referme trop vite, tourbillonne dans tous les sens pour attraper chaque détail. Ses yeux se reposent enfin sur celle qu’elle est venue chercher, la détaillent comme si elle l’avait épinglée sur une table de vivisection.
C’est donc ça, une vraie sorcière. |
|