hell to pay ; mj

Il y a une fissure dans le mur de sa salle de bains.

Elle est récente. Parce que si elle était plus ancienne il l’aurait déjà remarquée, comme il a remarqué chacune des stigmates laissées par Dom dans l’appartement. Il a l’oeil trop vif, trop acéré - et il a aussi l’habitude de scruter et gratter les plaies lorsqu’il les voit. Qu’elles soient physiques, psychiques, ou taillées dans le crépi.

Alors il n’est pas surprenant qu’il brandisse un doigt pour tâter la faille, les sourcils froncés sur des questions naissantes.
L’effritement est immédiat. Il pousse à peine, cesse d’insister dès qu’il sent un peu de brique.
Comme c’est le cas avec la plupart des blessures, toucher ne fait qu’aggraver les choses.

Et c’est ainsi qu’il n’a plus une fissure, mais un trou dans son mur.
Une sorte de judas artisanal qu’on pourrait facilement confondre avec un coup de feu égaré.

Le fait est qu’il n’y a pas de raison pour qu’un trou se creuse dans un mur qui n’a jamais été endommagé. Du moins, il n’y a pas de raison qui existe de son côté des choses. Dans son espace occupé par un homme raisonnable, un chien déraisonnable et un autre homme dépourvu de raison.

Si son mur est abîmé, c’est sûrement parce que quelque chose est arrivé dans l’appartement adjacent.

Celui de ses voisins.
Celui de MJ Velasco.

C’est vraiment dommage, qu’il n’ait jamais appris son nom en entier. On fait plus facilement des reproches lorsqu’on a le prénom de quelqu’un à rouler sur la langue. Zaza devient Esperanza pour cette raison. MJ demeure malheureusement seulement MJ, bien qu’il puisse l'accabler de qualificatifs pour combler le manque - l’autre tarée, la sale menteuse, la grosse pute ou encore pourquoi t’as fait ça espèce d’idiote, ça nous a apporté quoi exactement - ...

S’il savait qu’elle s’appelle Maria José, il pourrait en faire quelque chose.

Maria José Velasco gronderait-il à la façon d’un père déçu par sa progéniture, en tirant son inspiration des remontrances qu’il a subi enfant. Et il ferait même ça de façon convaincante, parce qu’il a la voix pour, grave et grondante. Il serait probablement incapable d’éviter une inflexion qui rappelle le grand-frère désapprobateur, dans l’impossibilité d’abandonner un rôle qu’il endosse naturellement. Maria José Velasco gronderait-il donc, avant de cracher une insulte un peu moins tendrement dépitée qu’un prénom susurré.

Mais il n’a pas Maria José. Il n’a que MJ. MJ, un trou dans son mur et la fissure qu’elle a laissé dans son coeur lorsqu’elle a débarqué ce matin-là, la bouche remplie de mensonges empoisonnés.

Il s’en veut de l’avoir crue si facilement.
Il s’en veut aussi de ne pas avoir déjà débarqué chez elle depuis le temps. Il s’est imaginé plusieurs fois tambourinant à sa porte pour lui donner ses quatre vérités. Deandre a une multitude de choses à lui dire - tout ce qu’il pense d’elle (sale pute), de sa famille proche (ta mère la pute), de sa famille éloignée (toujours plus de putes), de la Colombie (là d’où viennent toutes ces putes), et peut-être de tout le continent sud-américain tant qu’il y est (où vivent d’autres putes, parmi des putes).

Mais il n’a pas encore cherché la confrontation avec MJ. Zaza devait régler son cas, et il espère sincèrement qu’elle l’a fait correctement. Qu’elle lui a consumé le coeur avant de danser sur les cendres. Elle a voulu le détruire, alors il veut la même chose - MJ pleurante, accablée par la certitude que jamais elle n’aura ce qu’elle désire.

Il embrasserait Zaza sous ses yeux si ça pouvait lui crever un peu plus le coeur.
Juste une fois. Par rancune.
Par désir, peut-être, aussi.

Mais ça, il n’a pas envie d’y penser. Pas encore.

Il pense au trou dans son mur à la place, et à ce qui a bien pu le causer. Le dégât est une excuse parfaite pour rendre visite à ses voisins préférés. Il ne lui faut que quelques minutes pour s’y résoudre, poussé par la curiosité maladive, l’envie de se confronter à MJ, de savoir ce qui lui est arrivé et d’aggraver les choses si elles ne le sont pas assez à son goût.

Imposer sa présence dans son appartement lui semble qui plus est tout à fait approprié - de la vraie justice poétique, après qu’elle soit rentrée chez lui de la même façon. Il sourirait presque à l’idée en frappant à la porte de la colocation.

L’attente est insoutenable. Son corps se tend, ses sourcils se froncent.
C’est finalement Willy qui apparaît, déliant au passage le noeud qui se formait dans son estomac. Deandre hausse les sourcils, l’ombre d’un véritable sourire sur les lèvres. Il n’a jamais rien eu contre Willy - certes totalement opposés au niveau de l’attitude mais ne se croisant pas assez souvent pour que cela devienne gênant - et, de tous les habitants de la colocation, il est peut-être celui qu’il est le plus heureux de voir. MJ aurait fait sortir la colère aussitôt. Willy ne fait sortir qu’une sorte d’affabilité un peu familière, parce que c’est difficile de rester froid avec lui.

Un regard jeté par dessus son épaule lui renvoie un appartement silencieux.
Peut-être qu’elle n’est pas là.
Peut-être qu’elle va rentrer pour le trouver installé dans son salon, en train de faire rire son meilleur pote.
Ou mieux encore, sur son lit.

« Salut, désolé de te déranger mais y a… Un dégât chez moi au niveau du mur ? Et on dirait que ça vient de chez vous ? Du coup j’aurais bien aimé regarder ça. Je peux aider à réparer au pire hein, ça me gêne pas. C’est juste que si ça s’agrandit ça va faire un trou assez gros pour qu’on se regarde droit dans les yeux lorsque je prends ma douche. »

Et il placarde un sourire sur sa figure avec la sensation d’être une publicité mensongère. Ce qui lui permet de se faufiler à l’intérieur, à moins que sa crainte de le voir à poil n’ait convaincu Willy.

Il constate en quelques coups d’oeil que son mur n’est pas la seule chose qui se soit dégradée ces derniers temps.
Les mains de Deandre tombent sur ses hanches. Un sifflement prolongé lui échappe alors qu’il passe d’une pièce à l’autre, jette un regard curieux sur ce qu’il croise.

C’est la chambre de MJ qui semble la plus amochée. Il maintient la porte ouverte sur le champ de bataille qu’il vient de découvrir. Ses pensées filent rapidement, tentent de déterminer ce qui aurait pu causer ça.

« Bah dis donc, putain. On dirait qu’y a un ouragan qui est passé par là. »

Et on dirait aussi que personne ne sait comment réparer le désastre. Deandre jette un énième coup d’oeil dans la chambre de MJ, avec la sensation d’être un intrus devant une ruine encore fraîche. Il tergiverse, jette un regard à Willy.

« Il s’appellerait pas Zaza, l’ouragan, par hasard ? » Les épaules qu’il hausse après avoir posé la question sont faussement nonchalantes. Tout comme les paumes qu’il frotte, exagérant son air un peu embêté, comme si ça le dérangeait de voir toute cette destruction. « J’peux t’aider à réparer, si tu veux. Les autres le font pas ? »